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GOSWIN-JOSEPH-AUGUSTIN BARON DE STASSART (1).

Le baron de Stassart, par sa naissance, appartient à cette époque de deuil qui vit mourir l'illustre Marie-Thérèse ; son enfance se rattache à une époque plus douloureuse encore, celle de la révolution la plus sanglante peut-être que mentionnent les annales des peuples. Le jeune de Stassart put en apprécier les effets jusque dans le sein de sa famille, qui, à l'approche des armées républicaines, en 1794, suivit le torrent de l'émigration et alla se fixer temporairement en Westphalie. Toutefois, sans se laisser intimider par le danger qui subsistait encore dans Paris, il ne craignit pas d'aller s'établir sur les bords de ce cratère à peine fermé, et de s'y livrer à l'étude des lettres, qui devaient, plus tard, lui assurer un nom et faire le charme de sa vieillesse.

L'empire avait surgi du milieu de tant de débris; notre jeune compatriote en suivit avec dévouement toutes les phases jusqu'à l'instant de sa ruine. Les emplois élevés qu'il fut appelé à remplir, les marques de confiance et de distinction dont il fut honoré, l'enivrement produit par les conquètes

() Né à Malines, le 2 septembre 1780, mort à Bruxelles, le 10 octobre 1854.

de cette époque, l'espèce de fascination que répandait le chef de l'État sur ceux qui l'entouraient, tout contribua à exalter sa jeune imagination et à lui imprimer des sentiments dont il ne s'est plus départi. Tel qu'il était alors, tel on l'a toujours retrouvé depuis son bienfaiteur est resté l'unique objet de ses pensées, et le règne impérial, le sujet constant de son admiration. On a pu s'étonner de cette sorte d'immobilité politique, mais le sentiment de la reconnaissance qui la produisait mérite sans nul doute nos respects.

D'ailleurs, il n'est point vrai que le baron de Stassart ait peu compris les grands mouvements qui s'opérèrent ensuite autour de lui, et spécialement dans sa patrie. Il y prit, au contraire, une part active son nom se rattache aux principaux faits qui ont porté la Belgique au degré de splendeur et de prospérité où elle se trouve élevée. Il avait vu se dérouler tous les événements qui amenèrent notre émancipation politique, et lui-même il était intervenu dans ce long enfantement si douloureux dans son origine et si dangereux quand il fut près de s'accomplir.

Si j'avais à considérer notre confrère comme homme d'État, je devrais faire passer sous vos yeux la plupart des grands événements de notre histoire contemporaine. Telle n'est certainement pas la tâche que je me suis imposée.

La première éducation du baron de Stassart se fit au sein de sa famille, par les soins d'une mère qui l'aimait avec une tendresse sans égale: c'est elle qui lui apprit à lire et lui donna les premières notions d'histoire et de géographie. Lui-même nous a conservé ces détails dans quelques feuilles retrouvées après sa mort et destinées à faire partie de ses mémoires (). Mon enfance, dit-il avec un sentiment de reconnaissance, fut entourée de témoignages d'affection;

«

() Voyez, d'ailleurs, la notice intéressante que M. Van Bemmel a écrite sur M. de Stassart et que l'Académie a récompensée par sa médaille d'or.

aussi lorsque, plus tard, je fus au collège, je cédais volontiers aux moyens de douceur, mais je savais me roidir, avec une obstination sans égale contre tout ce qui ressemblait le moins du monde à la violence. » Je cite cette remarque avec intention, parce qu'une roideur obstinée, dans certaines circonstances, était en effet un des traits caractéristiques de notre confrère. Ceux qui ne le connaissaient pas intimement pourront s'en étonner, car le sentiment qui apparaissait plus spécialement en lui et qui semblait en quelque sorte. absorber tous les autres, était celui de la condescendance.

Nous n'avons point oublié le discours qu'il prononça, en qualité de président de l'Académie royale de Belgique, dans la séance solennelle du 19 mai 1847, en présence de LL. AA. RR. le duc de Brabant et le comte de Flandre. Nous savons avec quel sentiment d'indignation il s'éleva contre Jean Breydel et contre les meurtriers du comte d'Artois à la bataille des Éperons. Nous nous rappelons également avec quelle amertume vibra la fibre flamande et avec quelle sombre murmure fut accueillie cette espèce d'acte d'accusation. Quelques amis justement alarmés des passions qu'avaient soulevées ses paroles et des attaques qui ne tarderaient pas à les suivre, lui conseillèrent inutilement de tempérer des expressions qui allaient à l'encontre de nos traditions les plus populaires. Notre confrère tint bon et ne consentit point à supprimer la moindre parole de son discours. Quand l'orage éclata ensuite, il l'affronta bravement, et si ses paroles ne furent point convaincantes, elles furent du moins empreintes d'une noble franchise. « Je n'ai jamais hésité le moins du monde à mettre au grand jour mes opinions, ditil, à l'un de ses agresseurs ('): c'est une habitude de toute ma vie. J'ai dit la vérité (ou du moins ce que je croyais être

(') Œuvres diverses du baron de Stassart, p. 328.

la vérité) aux ministres de l'empereur, à l'empereur luimême; je l'ai dite aux ministres du roi Guillaume; je l'ai dite à tous les hommes d'État ou prétendus hommes d'État qui, chez nous, se sont succédé au pouvoir depuis 1830. Je ne l'ai pas épargnée non plus aux tribuns populaires, et je la dirai partout où j'aurai pour mission de prendre la parole. C'est le plus sûr moyen de déplaire aux deux camps ennemis; je l'ai plus d'une fois éprouvé dans ma longue carrière; mais le temps de la justice arrive tôt ou tard, et, suivant un de ces vieux adages qu'un vieillard aime tant à se rappeler La raison finit toujours par avoir raison. » Puis continuant le combat sur le même terrain, il justifial ses tendances nationales. « Si le maintien de notre nationalité, dit-il, si la prospérité de notre pays, si nos progrès intellectuels me paraissent exiger que nous conservions de bons rapports avec la France, c'est une manière de voir comme une autre. Réfutez-la, je le veux bien, mais qu'on n'aille pas plus loin! Je déteste toute espèce de fanatisme. Je me suis élevé souvent contre le fanatisme religieux...., faut-il maintenant, faut-il qu'à l'époque actuelle où la liberté en tout et pour tous se proclame avec faste, j'aie à me plaindre du fanatisme historique! »

Il est à remarquer que cet homme qu'on regardait comme étant d'un caractère si facile, disons mème si souple, a perdu, par une sorte de fatalité, plusieurs positions brillantes, a fait même, dans certaines occasions, le sacrifice de sa popularité pour maintenir ce qu'il croyait devoir à ses convictions. N'est-ce point là une suite naturelle des lois d'équilibre qui régissent nos facultés morales? Les sentiments comprimés jusque dans leurs dernières limites finissent par réagir, et avec une violence d'autant plus grande que la compression a été plus forte. Ajoutons que ces sortes de réactions ne se manifestent que chez l'honnête homme qui

tient à rester dans un juste milieu et qui, poussé au delà des bornes dans lesquelles il voulait se renfermer, se rejette souvent dans un sens contraire pour reconquérir le terrain enlevé par surprise. Les hommes d'une forte trempe résistent mieux; et si, en cédant à la compression, ils s'écartent de leur ligne habituelle, ils ont, pour y rentrer, moins de chemin à parcourir.

Si je me suis permis de m'étendre sur les conséquences qu'ont eues, dans l'éducation de notre confrère, des moyens de violence succédant à des moyens de douceur et de persuasion, c'est que je suis persuadé que ces alternatives doivent toujours amener des résultats semblables et qu'il importe d'en signaler les exemples chez les hommes même les plus naturellement bienveillants.

Le baron de Stassart appartenait à une famille distinguée dans la carrière des armes et de la magistrature: son père était conseiller au grand conseil, c'est-à-dire à la cour suprème de justice dans les Pays-Bas autrichiens ('). Il n'avait eu sous le toit paternel que des exemples de toutes les vertus domestiques. Parmi les qualités que sa mère avait cherché à lui inspirer, notre confrère cite avec raison l'éloi

(') « La famille de Stassart, qui n'a cessé de se consacrer au service de ses souverains, depuis Philippe le Bon, s'est distinguée dans la carrière des armes et dans la magistrature; elle a fourní, outre plusieurs bons officiers, un colonel de cavalerie tué devant les lignes de Valenciennes, en 1656. Le nom de Stassart est inscrit avec honneur dans les fastes du grand conseil de Malines, du conseil privé sous Marie-Thérèse, du conseil d'État et du conseil de Namur. Cette famille, alliée aux meilleures maisons du pays, reçut de l'empereur Charles-Quint, motu proprio et pour des services rendus, confirmation d'ancienne noblesse et décora. tion d'armoiries, par diplôme du 17 novembre 1547; et de l'empereur Léopold II, par diplôme du 21 décembre 1791, le titre de baron en la personne de JacquesJoseph de Stassart, chevalier, conseiller d'État et président du conseil de Namur, aïeul du baron de Stassart actuel. » (Manuscrits.)

Le père du baron de Stassart, Jacques Joseph-Augustin de Stassart, vicomte de Noirmont, seigneur de Ferot et de Corioule, était né à Namur, le 28 août 1737, et il avait épousé, le 18 août 1765, dame Barbe-Françoise-Scholastique marquise de Maillen. Cette union produisit deux fils et quatre filles.

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