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temps avant sa mort se terminait ainsi qu'il suit : « Je remarque, en relisant ce billet, combien la rédaction en est peu soignée, combien les idées en sont incohérentes, etc. Oh! si vous compreniez (mais Dieu veuille vous en préserver un demi-siècle encore) combien tout travail pèse à celui pour qui, il y a moins de deux ans encore, il n'avait aucun poids et ailleurs... : « A mon âge, on craint la maladie, moins parce qu'elle fait souffrir que parce qu'elle affaiblit les forces morales et vous rapproche, par une triste voie, de l'enfance. » Il ne voyait pas sans appréhension les inconvénients et toutes les infirmités de la vieillesse. La maladie à laquelle il succomba lui évita du moins les ennuis de ce triste cortège. Il fut frappé par l'épidémie régnante, et, en refusant opiniȧtrément de se soumettre au régime qu'on lui prescrivait, il mourut le 31 juillet 1849.

Sa dépouille mortelle a été déposée dans le nouveau cimetière qu'il a contribué à faire construire à proximité de la ville, sur la colline de Saint-Amand; sa tombe est placée à côté de celle de son ami Willems, dont la mort a également laissé une lacune déplorable dans les rangs des savants belges.

PHILIPPE LESBROUSSART (1).

Si l'on m'avait chargé de tracer le portrait d'un savant littérateur, d'un homme de bien, sévère pour lui-mème autant que bienveillant pour les autres, aimant son pays au point de surbordonner sa propre gloire à la sienne, lui consacrant tout ce qu'il a d'énergie et de talent, prêt à lui sacrifier sa liberté et sa vie, il m'eût été difficile de trouver un modèle plus accompli que l'écrivain qui fait l'objet de cette notice.

Ses débuts dans le monde furent peu en harmonie avec sa première éducation et avec les goûts littéraires qu'il mani

(') Lesbroussart (J. B.-Ph.), né à Gand, le 24 mars 1781, commença, au Collége Thérésien de Bruxelles, où son père était professeur de rhétorique, des études qui furent interrompues par les événements politiques. En l'an III de la république, il fut appelé (ou, dans le langage de l'époque, mis en réquisition) pour servir comme expéditionnaire dans l'un des bureaux provisoires qu'avaient organisés les représentants alors en mission à Bruxelles. Lors de la création de l'Admi-nistration centrale de la Belgique, il fut attaché au secrétariat général; et, plus tard, au cabinet particulier du citoyen Lambrechts, commissaire du gouvernement, depuis ministre de la justice et enfin pair de France. La Belgique ayant été divisée en départements, Ph. Lesbroussart fut employé dans l'administration départementale de la Dyle. En 1804, il donna sa démisson pour aller rejoindre son père, alors directeur de l'école secondaire d'Alost, où il occupa la chaire de troisième..... »

festait dès lors ('). Il entra, à l'âge de treize ans, dans l'administration départementale de la Dyle, et y passa onze de ses plus belles années. Par une sorte de compensation, il y connut Jouy, qui préludait également, par des travaux administratifs, à ses œuvres littéraires et à la composition

(') Philippe Lesbroussart était né à l'endroit nommé Padenhoek, lequel, dit-on, faisait partie de l'ancienne habitation des deux Artevelde. Ce rapprochement n'a cependant pas empêché Lesbroussart, dans son poème Les Belges, de traiter le tribun gantois avec une sévérité excessive.

Un citoyen puissant, idole du vulgaire,
Ardent, audacieux, mais surtout sanguinaire,
Et de l'obscurité, s'élançant aux grandeurs,
De son ambition signala les fureurs.

En le nommant Brutus, les peuples le servirent. . .

Le père de notre poëte, Jean-Baptiste Lesbroussart, était lui-même un littérateur distingué. Il était né à Ully-Saint-Georges, en Picardie, le 24 juin 1747, et avait été appelé, en 1778, à la chaire de poésie du Collège de Gand. On a de lui plusieurs ouvrages importants, qui lui ouvrirent, en 1790, les portes de l'ancienne Académie impériale et royale de Bruxelles. Lors de la réorganisation de cette société savante, en 1816, il fut compris dans la liste des nouveaux membres, et mourut deux ans après, en laissant la réputation d'un homme aussi estimable par sa bonté que par ses connaissances approfondies. Il avait eu, d'un premier mariage, deux enfants: Philippe, qui fait l'objet de cette notice, ainsi qu'une fille (madame Leboeuf, mère de M. Émile Leboeuf, directeur du Jardin zoologique de Bruxelles). M. J.-B. Lesbroussart eut encore, d'un second mariage, trois filles, dont l'une épousa M. Alvin, membre de l'Académie et conservateur de la Bibliothèque royale.

Les principaux ouvrages de M. Lesbroussart père sont :

1o Education littéraire, ou réflexions sur le plan d'études adopte par S. M. l'Empereur pour les colléges des Pays-Bas autrichiens. In-12. 1783. 20 Éloge du prince Charles de Lorraine. Bruxelles, 1781.

3o Annales de Flandre, par P. d'Oudegherst, avec un discours préliminaire, notes, chartes, diplômes, etc. 1789.

4° Eloge de Jean de Carondelet. In-8°. 1786.

Différents mémoires dans les publications de l'Académie huit ont paru dans le tome Ier des Nouveaux Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles, en 1820. Dans une note de son épître Sur la tombe de Ph. Lesbroussart, M. Ad. Mathieu fait connaître qu'on conserve à la Bibliothèque de Bourgogne, à Bruxelles, deux manuscrits de M. Lesbroussart père : 1o Du Belgium primitif, MS. in-folio, no 11383; 2o Vitae et gestorum Brabantiae ducum breve compendium, ab ann. 1615 ad ann. 1740, MS. autographe, no 15766.

de Sylla, de la Vestale, de l'Ermite de la chaussée d'Antin, etc. Nos deux poëtes ne tardèrent pas à s'entendre; et il est probable que les Muses eurent à s'applaudir de ce rapprochement bien plus que l'administration centrale à laquelle ils appartenaient. C'est à leur influence que l'on doit la création et la prospérité de la Société littéraire de Bruxelles, qui a continué ses utiles travaux pendant près d'un quart de siècle.

En 1805, Ph. Lesbroussart fut appelé à professer la langue latine dans l'école secondaire d'Alost, dont son père avait alors la direction. Il se trouvait, dès cette époque, en relation avec la plupart des hommes doués de quelque valeur littéraire en Belgique. Son goût le portait vers le theatre il composait des pièces de société dans lesquelles, à l'exemple de Molière, de Boursault, de Picard, il réunissait la double qualité d'auteur et d'acteur; ces ouvrages, toutefois, sont restés inédits.

Son premier écrit un peu important vit le jour à Paris, en 1807; c'était la traduction d'un roman anglais intitulé: Fanny Seymour ('). L'auteur avait remis en même temps à son libraire le manuscrit d'un autre ouvrage, destiné à paraître sous le titre : Adolphe et Maurice, ou lettres de deux amis; mais la censure impériale en défendit l'impres

sion.

Par une espèce de dédommagement, le grand maître de l'université l'appela, peu de temps après, à remplir la chaire de seconde année d'humanités au Lycée de Gand. Cette ville offrait plus de ressources au développement de ses talents; elle comptait un assez grand nombre d'hommes distingués par leur esprit MM. Cornelissen, Wallez, Roelants, Ferraris, Couret de Villeneuve, Kluyskens, Benau, Malin

(') 3 vol. in-12.

grau, etc. Le département avait à sa tète M. Faipoul, l'un des administrateurs les plus habiles et les plus éclairés de l'empire; et, pour secrétaire général, M. Liégard, dont les chansons n'auraient pas été désavouées par les habitués les plus spirituels du Caveau. A ces hommes il faut joindre encore le savant auteur des Antiquités gauloises, le chanoine. Debast, l'historien de la ville de Gand, le chevalier Dierickx et le chanoine De Graeve, à qui l'on doit le singulier ouvrage sur Les Champs Elysées que l'auteur transportait au milieu des Flandres (').

Tous ces hommes, voués au culte des lettres, vivaient en république, et ce qui vaut mieux, en parfaite harmonie, quoique avec des goûts bien différents : les uns, distingués par leur esprit, formaient un cercle joyeux et avaient de petits soupers où l'on sacrifiait aux plaisirs et aux graces. Les autres, plus sévères, s'occupaient d'études ardues pour suppléer à ce qui leur manquait du côté de la forme, et net faisaient aucune difficulté d'emprunter parfois la plume de leurs confrères. Ces sortes d'emprunts étaient connus et ne choquaient personne ; l'on savait notamment que Ph. Lesbroussart revoyait les pages du chanoine Debast, et ce n'était pas sans peine qu'il les mettait en harmonie avec les exigences de la grammaire (2).

J'ai dit ailleurs avec quelle obligeance notre ancien confrère Cornelissen aidait, de son côté, la magistrature urbaine dans l'accomplissement de ses fonctions, et se chargeait, dans une mème solennité publique, de faire, à lui seul, tous

(') Selon le chanoine De Graeve, la scène de l'Odyssée se passe en Belgique; Vlissingen ou Ulissingue est la ville d'Ulysse; Ninove est l'antique Ninive, etc. (*) On raconte qu'à la veille de se marier, Lesbroussart se présentait au confes sionnal du chanoine Debast; celui-ci le reconnaissant à la voix, se tourna brusquement vers lui et ce petit colloque s'établit aussitôt entre eux: Eh mais... c'est vous? Certainement. Et à quel propos? Je vais me marier. - Vous

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marier?... et qui donc reverra mes épreuves? »

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