Page images
PDF
EPUB

Angleterre, à l'excellent prince Albert, enlevé trop tôt aux sciences politiques ainsi qu'à sa nouvelle patrie.

Au congrès de Londres, on sentit le besoin de réunir, avant la séance générale, les délégués des nations, pour convenir des travaux qui pouvaient intéresser les peuples. On comprenait que les statistiques officielles forment un travail différent de celui des statistiques spéciales, où chaque auteur peut considérer sous son point de vue les documents dont il veut faire usage ('). Mais, pour une statistique officielle, les besoins sont les mèmes chez tous les peuples : ils doivent être réunis de la même manière et autant que possible en adoptant les mèmes divisions, les mèmes mesures, la mème langue ce n'était qu'en admettant une identité pareille que l'on pouvait parvenir à économiser un temps considė-rable aux statisticiens et aux hommes d'État : on leur évitait la peine de rechercher les documents de tous les pays et de comparer les nombres exprimés sous différentes unités et sous les formes les plus dissemblables.

L'essai du travail fut décidé à la conférence de Londres. Chacun des délégués qui formaient le congrès des nations. prit l'engagement de fournir un aperçu des travaux statistiques officiels qui s'opéraient dans son pays et celui d'en présenter les éléments numériques. Toutes ces données furent recueillies par un même pays, que désigna l'association pour

(') Voici la distinction qu'établissait à cet égard l'un des délégués au congrès de Londres:

La statistique des États ne doit pas être confondue avec une statistique individuelle. Celle-ci doit procéder librement; elle peut traiter des questions particulières, examiner des difficultés qui appartiennent spécialement à un État donné, peut-être même à une classe d'hommes. La statistique des États, marchant dans la voie suivie par toutes les nations similaires, doit, au contraire, offrir entre ceux-ci des rapprochements faciles. Pour établir les comparaisons, on doit éviter de recourir à un grand nombre d'ouvrages et n'user que de chiffres constatés officiellement. S'il s'y trouve des erreurs, on les aura bientôt aperçues, et les hommes les plus compétents seront les premiers à les signaler. » (Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 2o série, tome XII, page 102, in-8°, 1861.)

préter son ministère à cet effet; et l'ensemble général concernant la population a pu paraître, comme essai, dans le cours de cette année, sous le titre de Statistique internationale (Population), publiée avec la collaboration des statisticiens officiels des différents États de l'Europe et des ÉtatsUnis d'Amérique (').

C'est en considérant la statistique de son point de vue le plus élevé que le prince Albert, en inaugurant le congrès de statistique de Londres, dont il était Président d'honneur, disait avec modestie, dans son discours d'installation : <«< Bien qu'en ces circonstances il eût appartenu à un membre du gouvernement, ministre de la couronne, mieux qu'à moi, d'occuper le fauteuil de la présidence et de procéder à l'ouverture de cette assemblée, comme cela s'est pratiqué ailleurs dans les précédentes sessions du congrès, cependant, la nature de nos institutions et les habitudes de notre population, au sein de laquelle le congrès devait siéger, ne pouvaient manquer d'exercer leur influence sur son organisation. Nous formons un peuple qui jouit de la vie politique la plus complète, dans laquelle toute question qui intéresse la nation ou qui a de l'importance pour elle est publiquement examinée et débattue. Toute la nation, pour ainsi dire, depuis le plus élevé jusqu'au plus humble, prend une part active à ces débats et porte à leur égard un jugement sur le résultat collectif des pensées et des opinions appelées ainsi à se produire. Ce congrès pouvait donc être une réunion particulière de délégués des divers gouvernements, discutant des questions spéciales au

(') Cet ouvrage, qui forme un seul volume in-4o, publié par le gouvernement belge, renferme les documents qu'on devrait aller chercher dans des centaines de volumes, écrits dans les différentes langues et avec des unités différentes : il présente ces divers documents, réduits autant que possible sous une même unité et exprimés dans une même langue. Dans sa forme, cet essai sur la population montrera déjà l'utilité qu'on en pourra tirer pour la statistique générale.

milieu du tumulte commun de l'activité politique, ou bien il pouvait prendre un caractère plus général en s'adressant au public et en demandant sa coopération. Le gouvernement s'est décidé pour le dernier parti et a reçu de tous côtés la réponse la plus décisive. Je crois que le gouvernement a bien fait, car il est de la plus grande importance pour l'objet que le congrès a en vue à savoir, nonseulement la diffusion des informations statistiques, mais encore la déclaration de l'utilité et de l'importance de cette branche des connaissances humaines, que le public entier s'empare des questions qui doivent être examinées, et leur prète ainsi son puissant concours. Ce que je viens de dire, messieurs, me sert d'explication et d'excuse pour l'acte que je fais en occupant le poste de la présidence, poste à l'égard duquel, sous tout autre rapport, je sens mon insuffisance. Cependant, lorsque les commissaires de l'organisation du congrès m'ont exprimé le désir que j'agisse ainsi, j'ai cru de mon devoir de ne pas refuser ma coopération personnelle, qui apportait avec elle, pour ainsi dire, l'assurance au peuple anglais que l'objet de la réunion avait les sympathies de la Reine, et témoignait aux délégués étrangers l'estime qu'elle accorde à leurs personnes et la haute appréciation qu'elle fait de la science qu'ils cultivent. Permettez-moi de leur souhaiter la bienvenue au nom du pays.

>> C'est ici que l'idée d'un congrès national de statistique a pris son origine, lorsque les délégués et les visiteurs de toutes les nations se sont assemblés pour montrer, avec une noble rivalité, les produits de leur science, de leur habileté et de leur industrie à l'exposition universelle de 1851; c'est ici que la statistique a pris ses premiers développements, et M. Farr a rappelé avec justesse que Bernouilli, dont l'autorité est imposante, avait nommé l'Angleterre le berceau de l'arithmétique politique, et que nous pouvons citer notre

Domesday Book comme l'un des monuments existants les plus anciens et les plus complets de la science. C'est aussi ce pays qui doit recueillir les bienfaits les plus considérables des progrès de la science, et qui doit, par conséquent, vous témoigner le plus sa reconnaissance pour vos travaux.

>> Messieurs, quoique votre science soit ancienne et quoique les services qu'elle a rendus à l'humanité soient incontestables, elle est peu comprise par la multitude; elle est nouvelle par la position qu'on lui a faite parmi les autres sciences, et elle est encore soumise aux effets d'un grand nombre de préjugés vulgaires.

Elle est peu comprise, car, sous ses expressions arithmétiques représentant des faits vivants par des chiffres et des tableaux comparatifs, elle offre peu d'attrait au public. Il faut beaucoup de travail pour pénétrer au milieu de nombreuses colonnes de chiffres, beaucoup de patience pour s'y retrouver, et beaucoup d'habileté pour tirer des conclusions précises et correctes des masses de matériaux qu'elle présente à celui qui l'étudie, tandis que la valeur même des renseignements dépend tout justement de leur nombre, car cette valeur s'accroît en proportion de leur quantité et de leur étendue..... »

Ce qui précède montre assez que, depuis le milieu du dix-septième siècle, la marche des sciences a changé et que l'homme est parvenu à substituer, dans certains cas, le travail combiné de plusieurs savants, ou mème de plusieurs nations, au travail d'un simple individu, et à obtenir ainsi de grands résultats qui devaient nécessairement lui échapper. On peut songer aujourd'hui à résoudre des problèmes auxquels l'homme isolé n'aurait jamais osé prétendre, car il ne s'agit pas seulement de son savoir et de sa valeur personnelle, mais l'intelligence doit se multiplier et fonctionner en même temps d'une manière éclairée et uniforme sur plu

sieurs points, et quelquefois sur tous les points du globe à la fois, pour rendre les observations immédiatement comparables. Il faut encore que les instruments et les méthodes d'opérer deviennent uniformes pour qu'on puisse économiser un temps considérable.

Selon la nature des travaux, l'œuvre doit donc appartenir exclusivement à un seul homme, ou bien devenir l'ouvrage d'une réunion d'hommes qui s'identifient et concentrent ensemble leurs idées. Pour parvenir à cette identification, la marche à suivre sera parfois extrêmement difficile et dépendra toujours des plans de travail qui auront été adoptés avec plus ou moins de mesure et d'intelligence.

Il a paru nécessaire d'entrer dans quelques détails sur ce mode nouveau d'utiliser les sciences et sur les avantages qu'il présente. Il est ici parlé d'un petit pays, il est vrai, mais d'un pays qui, par sa position, au milieu des puissances les plus importantes de l'Europe, a mérité peut-être une attention spéciale sa part est assez grande, si on le croit utile à recueillir les documents nécessaires, à les coordonner et à les transmettre ensuite aux différentes nations.

Au moment de sa séparation des provinces hollandaises et de l'organisation de la Belgique en royaume, il y eut naturellement un moment de suspension dans la marche des sciences des modifications furent faites de différents côtés, mais quand l'ordre put se rétablir, le pays se présenta avec des changements nombreux et marcha avec plus de confiance. dans la route nouvelle qui lui était ouverte nous n'avons à considérer ici que l'état des lumières, et surtout sous le rapport des sciences.

La liberté générale fut spécialement admise pour l'enseignement le gouvernement crut devoir conserver néanmoins deux de ses universités, en y adjoignant des cours pour les travaux publics et pour l'industrie. Par suite, l'Uni

« PreviousContinue »