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de reconnaissance à l'égard du roi Guillaume, de M. Repelaer van Driel, qui l'avait appelé en Belgique, et surtout de M. Falck, pour qui il professait l'estime la plus entière, estime qui ne peut être bien comprise que par ceux qui ont eu des relations avec ce ministre éclairé.

Garnier tenait singulièrement à ne pas mériter le reproche d'ingratitude. En professant, comme il le disait, une accession entière à l'ordre actuel des choses, il n'obéissait qu'à ses convictions; il n'était mù par aucune vue intéressée, car cette espèce de profession de foi sur ses opinions. politiques, il ne l'avait communiquée à personne. Il savait qu'on le soupçonnait d'être directement opposé au nouveau gouvernement, que ses intérêts en souffraient; mais il était trop fier, par ce motif même, pour avouer des sentiments dont on aurait pu croire qu'il voulait tirer avantage, comme cela n'arrive que trop fréquemment dans les grandes commotions politiques. Malheureusement il y a peu d'hommes d'État d'un esprit assez élevé pour soupçonner et apprécier de pareils sentiments!

Cependant, depuis 1837, l'existence de Garnier avait repris un nouveau calme. Il avait entièrement renoncé à l'espoir de reprendre ses anciennes fonctions; il se louait, du reste, de la manière dont on avait fixé le montant de sa pension. Avec tout l'ordre qu'il apportait habituellement dans ses affaires, il avait réglé ses dépenses d'après ses revenus, et sa manière de vivre était aussi simple que tranquille. On s'apercevait néanmoins que l'état de sa santé s'affaiblissait; il sortait peu, et, sans maladie grave, il avait de fréquentes indispositions, symptômes d'une constitution délabrée qui devait céder à la première attaque un peu rude. Le coup auquel il succomba fut porté dans le cours de l'automne de 1841; il fut d'autant plus douloureux qu'il prenait sa source dans ses affections les plus chères. Garnier s'était marié en

1792; il avait eu le bonheur de conserver son épouse, et il avait toujours trouvé auprès d'elle les soins les plus empressés, l'affection la plus vive. Une demoiselle, qu'il considérait comme sa fille, formait toute sa famille il n'avait pas eu d'enfants de son mariage, d'ailleurs si heureux. Le calme dont ils jouissaient ensemble fut troublé de la manière la plus fatale: une chute funeste en fut la cause. Vers le milieu du mois d'octobre, Mc Garnier, en tombant, eut le malheur de se casser la cuisse. Son mari en fut si vivement affecté que dès lors sa santé s'altéra de la manière la plus rapide. Au commencement de décembre 1841, il fut pris, pendant la nuit, d'une hémorragie interne très-intense. Je m'empressai d'aller le voir; je le trouvai très-faible; il ignorait le danger de son état. Il parlait avec tranquillité, avec gaieté même de sa position; mais s'affligeait de celle de son épouse, pour qui l'art n'avait pu rien faire jusqu'alors. C'était un spectacle bien triste, en effet, et bien touchant en même temps, de voir ces deux vieillards retenus au lit par les maladies les plus dangereuses, ignorant la gravité de leurs maux respectifs et chacun ne s'occupant que du sort de l'autre. Le calme, la gaieté même de notre confrère ne l'abandonnèrent pas jusqu'au dernier instant. « Asseyez-vous là, à côté de moi, me disait-il d'une voix fort affaiblie l'avantveille de sa mort; distillez goutte à goutte ce que vous avez à me dire, si vous voulez que je vous suive. » Le lendemain, quand je revins le voir, on me dit qu'il avait ordonné de me remettre des papiers: c'était notre correspondance depuis vingt-quatre ans que nous nous connaissions. Il avait la conscience de sa fin prochaine, et avait conservé toute sa présence d'esprit; il voulut me parler encore, et commença plusieurs phrases qu'il n'eut pas la force d'achever. Malgré la crainte que j'avais de le fatiguer, je restai assez longtemps auprès de lui, écoutant attentivement, cherchant même à

deviner ses pensées. Sa physionomie si mobile témoignait visiblement que son esprit suivait encore une série d'idées; ses lèvres étaient en mouvement pour les exprimer, mais j'entendais à peine de loin en loin un mot dont je ne pouvais saisir le sens. Il était sans souffrance, et s'éteignait insensiblement; il expira, presque sans qu'on s'en aperçût, dans la nuit du 19 au 20 décembre, vers quatre heures du matin. On voulut d'abord cacher sa mort à sa veuve; celte annonce pouvait, en effet, porter le coup mortel à une femme infirme, àgée de quatre-vingt-sept ans.

Les funérailles eurent lieu dans la matinée du 23 décembre. Les restes de Garnier furent suivis jusqu'au cimetière d'Ixelles par une députation de l'Académie, par des membres du corps enseignant et un grand nombre de ses anciens élèves (').

(') M. Garnier a inséré, dans le tome I des Mémoires de l'Académie de Belgique, un écrit sur les machines, lu à la séance du 7 mai 1819. Nos Bulletins renferment, en outre, de nombreuses recherches qu'il nous a communiquées sur différentes branches des sciences.

JACQUES-GUILLAUME CRAHAY (1).

J.-G. Crahay appartenait à l'Académie royale depuis le 8 mai 1835; il en fut toujours l'un des membres les plus actifs et les plus dévoués; il ne vivait, pour ainsi dire, qu'au milieu de ses travaux académiques et des occupations nombreuses que lui imposaient ses fonctions de professeur de physique à l'Université de Louvain.

Son père, Henri-Guillaume Crahay, l'avait formé à cette vie austère après avoir exercé le notariat, il avait transporté dans la magistrature la sévérité de mœurs qui forme l'un des premiers mérites de cette profession. Son extrème exactitude, sa probité rigide l'avaient conduit, sous le consulat, à la place de président du tribunal de première instance de l'arrondissement de Maestricht. Il est tout naturel qu'il cherchât à procurer à son fils les avantages dont il jouissait lui-même et qui avaient contribué à son bonheur.

A l'âge de dix-huit ans, le jeune Crahay entra donc dans l'étude d'un notaire, avec la perspective de passer par les mêmes phases que son père. Malheureusement, avec toute la soumission possible, avec toute la probité de son père, le

(') Né à Maestricht, le 3 avril 1789, mort à Louvain, le 21 octobre 1855.

fils n'en avait pas exactement tous les goûts. Le jeune homme prétait plus volontiers l'oreille aux encouragements d'un vieux professeur, du respectable Minkelers, dont les conseils allaient mieux à ses inclinations.

Il continua néanmoins, pendant dix ans, à lutter contre son propre penchant; et ce ne fut qu'après cette lutte prolongée qu'il céda aux conseils de M. Minkelers, et qu'il essaya de le remplacer. Il fut nommé professeur de physique et de chimie à l'Athénée de Maestricht, le 19 février 1817. Le roi Guillaume venait de monter sur le trône et un nouvel ordre de choses se préparait pour la Belgique.

Crahay avait commencé le notariat à dix-huit ans ; il devint professeur à vingt-huit. Il était plein d'ardeur et désireux d'enseigner des sciences qui faisaient le bonheur de sa vie. Il était heureux surtout de succéder à un professeur estimé de tous ses concitoyens et dont il avait toujours été distingué d'une manière spéciale ('). Il conserva jusqu'en 1824 celui qui avait été son maître et son ami, et il put lui prouver du moins que son choix ne s'était pas mal placé en s'arrêtant sur lui.

Dès l'année 1822, la Société linnéenne de Paris l'avait admis au nombre de ses correspondants, et dès cette année aussi, la Société des amis des sciences, des lettres et des arts de Maestricht avait commencé la publication de son Annuaire, qui obtint un succès mérité. On trouve dans cet utile et modeste recueil différents articles d'un grand intérêt, qu'on doit à la plume de notre savant confrère : il convient de citer particulièrement les articles sur les poids et mesures,

(') C'est à M. Minkelers que l'on doit, selon toutes les probabilités, les premières expériences qui ont été faites pour préparer l'éclairage par le moyen de la houille. On peut voir, à cet égard, le discours prononcé, le 10 mai 1854, par M. De Ram, l'un de nos confrères, et ayant pour titre : Considérations sur l'histoire de l'Université de Louvain.

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