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dont il avait l'idée, mais qu'il abandonne presque au moment d'y toucher.

Les Bulletins de l'Académie montrent encore mieux que les Mémoires de cette compagnie ce qu'on pouvait attendre de Pagani. A cause de leur forme et de leur mode de publication, l'auteur s'y trouve plus à l'aise et annonce plus librement les ouvrages qu'il a l'intention de produire.

Les Bulletins et la Correspondance mathématique méritent d'être consultés sous ce rapport; ils nous permettent de voir de plus près et sous des conditions plus démonstratives, l'auteur que nous voulons étudier. Après avoir cessé d'écrire dans les Mémoires, on voit qu'il n'a pas encore abandonné le champ des recherches mathématiques; il promet à chaque instant d'y revenir, mais sa santé trop faible l'empêche d'accomplir ce qu'il a promis (1).

L'ordre de ses idées a changé : il cherche à jouir du repos qui lui est devenu nécessaire. Un premier voyage en Italie, de 1834 à 1835, avait fait renaitre des espérances qui semblaient le quitter alors. « A l'époque des vacances de l'année 1845, il fit un autre voyage en Italie, où il eut l'occasion de se mettre en rapport avec des hommes d'un haut mérite: il avait toujours pour but d'augmenter ses connaissances. A Rome, il obtint pour la seconde fois une audience particulière de Sa Sainteté, qui lui rappela différentes circonstances de leur première entrevue, datant depuis près de dix ans. >> A son retour en Belgique, Pagani, affaibli par l'étude et les travaux d'esprit, demanda l'autorisation de s'adjoindre M. Andries, un de ses élèves. Cette permission lui fut accor

dernières quantités peuvent servir au même titre que les quantités négatives à la construction géométrique des problèmes de la géométrie analytique. »

(') Le 17 février 1837, il avait reçu le diplôme de membre correspondant de l'Académie des sciences de Turin; le 20 septembre 1841, il fut créé chevalier de l'ordre de Léopold,

dée et le soulagea. Mais, hélas! au bout de peu de temps, les fatigues et le zèle qu'il mettait à ses recherches l'échauffèrent, et il devint mortellement malade.

Depuis cette époque, Pagani semble avoir renoncé à peu près entièrement au vaste champ des sciences; il communique encore de loin en loin quelques notices ou plutôt quelques remarques à l'Académie, toutefois il abandonne ce travail aussitôt qu'il est commencé. Les notes qui figurent dans les Bulletins montrent qu'il n'a pas perdu de vue ses occupations habituelles, mais il ne se sent plus la force nécessaire pour les conduire à bonne fin (1).

Il assistait encore à nos séances; il se faisait un plaisir de se retrouver au milieu de ses anciens confrères, et prenait part à l'examen des travaux, bien qu'il désirât autant que possible que cet examen fût écrit et rédigé par un autre. Il parlait peu de ses douleurs, mais on apercevait sans peine qu'il souffrait et que le travail le dérangeait. Il vint pour la dernière fois aux séances de l'Académie, le 31 mars 1855. Quoique témoins de ses souffrances, nous étions loin de supposer que nous dussions le perdre bientôt. Il mourut à sa campagne de Wonbrechtegem, le 10 mai suivant, avec une pieuse résignation et après quelques jours de souffrance qui laissaient entrevoir sa perte prochaine.

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(') Pendant ses vacances de 1850, il fit encore un voyage en Italie, pour y refaire sa santé; il reprit ses cours au mois d'octobre suivant avec le même zèle, quoique ses forces physiques diminuassent. Le 20 novembre 1851, il eut le malheur de perdre son frère unique; il accepta ce douloureux événement avec résignation, mais sa santé en souffrit beaucoup. En 1853, il se vit forcé de demander un congé d'un an, pour aller passer quelque temps dans son pays natal. Au bout de trois mois, par des circonstances imprévues, M. Pagani revint à Louvain, mais ne reprit plus ses cours. »

JEAN-GUILLAUME GARNIER.

(1)...

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Après mon cours d'étude au collège de Reims (Champagne), jusqu'à la philosophie inclusivement, je devais ètre jeté au séminaire pour remplir les vues de mes parents, qui se préparaient ainsi un asile dans leur vieillesse : mon assentiment était regardé comme un acte non de conviction, mais de soumission; tel était alors, par rapport aux enfants, le despotisme paternel quant au choix d'un état et d'une épouse. On fut donc surpris de rencontrer chez moi une opposition qui n'offrait prise ni aux caresses, ni aux menaces. Il fallut composer, c'est-à-dire me laisser l'option entre le droit, la médecine et les sciences. Je fis quelques pas dans les deux premières carrières, puis je me jetai dans la troisième. Pendant les deux années de mes études mathématiques, qui me conduisirent de la numération à la mécanique de l'abbé Bossut, en passant par les traités élémentaires de

(') La première partie de cette notice se trouvait au nombre des manuscrits de M. Garnier je l'ai insérée dans l'Annuaire de l'Académie royale pour 1841. Jean-Guillaume Garnier était né à Reims, le 13 septembre 1766, et il mourut à Bruxelles, le 20 décembre 1840.

culculs différentiel et intégral de Mile Agnesi ('), je rendais d'une main les leçons que je prenais de l'autre, et je dus m'applaudir d'autant plus de cette manœuvre, qu'elle m'était beaucoup plus profitable qu'à mes élèves. Je conseille donc aux jeunes gens d'en faire usage, et d'opposer ainsi l'amourpropre à la paresse. Ce cours fut clos par un exercice public très-solennel, à la suite duquel je reçus le grand prix de mathématiques et un prix de dessin d'architecture. Tel fut le terme de mes études à l'Académie de Reims. Je me rendis alors à Paris, chez un oncle qui me tint lieu de père. Après quelques cours de chimie, de botanique, de physique et de mathématiques, sous les professeurs les plus distingués de ce temps, ma carrière fut déterminée par mon appel à l'École militaire de Colmar (Haute-Alsace), en qualité de professeur de mathématiques et de fortifications; j'y restai un an et trois mois, comme l'atteste un certificat du 30 juin 1789, date de la chute de cet établissement, qui, composé en grande partie d'élèves étrangers à la France (2), dut s'écrouler sous les premières commotions de la révolution. française. Là, je me liai avec le géomètre Arbogast (3), qui venait d'ètre couronné à l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg, et qui alors jetait les fondements de son calcul des dérivations. Cet homme, l'un de nos premiers géométres, et en même temps chimiste, botaniste, physicien et littérateur dans plusieurs langues, imprima à mes études une bonne direction, me donna l'éveil sur les ouvrages des

(') Cet ouvrage est la traduction faite par Anthelmy, sous les yeux de Bossut, des Instituzione analitiche de Maria Gaetani Agnesi, morte à Milan, le 9 janvier 1799. Voyez le Dictionnaire des sciences mathématiques, par une société d'anciens élèves de l'École polytechnique.

(") Les élèves qui alimentaient cette école appartenaient aux premières familles de l'Angleterre, du Danemark, de la Suède, de la Russie, de l'Allemagne et de la Suisse. On y comptait quelques Français protestants : l'école était protestante. (3) Voyez le Nouveau Dictionnaire des sciences mathématiques.

premiers géomètres de France, de Turin, d'Italie, d'Allemagne et d'Angleterre, et, dans nos promenades, en faisait le texte habituel de nos conversations. Je lui voue une reconnaissance qui est, j'ose le dire, d'autant plus méritoire qu'elle est plus rare aujourd'hui, où les services et même les bienfaits sont soigneusement oubliés. Après ce début dans la carrière de l'enseignement, je revins à Paris, cherchant à renouer le fil de mes études que la première secousse révolutionnaire venait de rompre brusquement.

Alors commençait à gronder en France ce torrent révolutionnaire qui devait ébranler l'Europe. Les idées de réforme, jetées antérieurement dans la circulation, fermentaient dans la masse chez les uns elles étaient implicites, chez le plus grand nombre elles n'étaient encore que nébuleuses ou entrevues. Mais toujours est-il vrai qu'il y avait tendance générale vers un autre ordre de choses et, de la part de la minorité privilégiée, une résistance qui ne faisait que la rendre plus énergique. Tels étaient alors les avant-coureurs d'une explosion dont on ne pouvait encore assigner ni l'époque, ni la durée, ni le terme. Jeune encore, doué d'une imagination ardente et exaltée par les écrits du temps, je souriais à ce brillant avenir, qui annonçait des voies plus larges ouvertes à toutes les capacités. Mais des perturbations terribles et imprévues apportèrent avec elles leur correctif. Cette période d'angoisses et de dangers personnels, qu'on ne brave que pendant un certain temps, me faisait désirer la fin d'une crise qui ne s'alimentait que de destructions. Enfin ceux qui avaient semé les vents ne recueillirent que les tempêtes ils ne laissèrent que le souvenir de leurs noms et de leurs services à la fois odieux et salutaires. Lorsque la révolution eut accompli ce premier travail, qui est une de ses conditions, et que des projets d'ordre et de réorganisation vinrent occuper les esprits, je me sentis soulagé et je pus me livrer à des

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