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par les idées politiques d'alors, se virent forcés de quitter leur patrie. Les affaires ayant changé de face, bien qu'il ne partageat point en tout l'opinion de ses camarades, il jugea prudent de s'éloigner, sans cependant avoir rien à sa charge, et pour ne pas les abandonner au moment du danger. Il quitta tout patrie, parents et carrière... >>

Les lettres qu'il apporta de Genève et les connaissances solides qui les appuyaient lui ouvrirent d'abord la demeure de quelques amis, disposés à consulter bien plus le mérite du savant que l'état politique du pays dans lequel il était né. Pagani ne tarda pas à être mis en relation avec ce que Bruxelles renfermait de jeunes gens les plus distingués: on ne s'enquit pas de ses moyens de fortune, si ce n'est pour lui procurer des élèves qui pussent le mettre à même de faire face aux besoins nouveaux qu'il s'était créés. Il donna des leçons particulières en attendant qu'il pût ètre admis à en donner dans un établissement de l'État.

Il eut parmi ses élèves M. Vandermaelen, à qui il enseigna la partie élémentaire des mathématiques en rapport avec sa profession. Il donna ainsi plus de consistance à l'Établissement géographique qui venait d'ètre formé et chercha à lui imprimer une marche scientifique. Pagani était arrivé à Bruxelles vers la fin de 1822; ses relations dans le monde n'avaient pas nui à celles qu'il sentait le besoin d'établir dans les sciences. A l'aide d'un ami, il fit la connaissance de MM. le commandeur de Nieuport, Walter, Dewez, etc.; et il se prépara en même temps les moyens d'entrer à l'Académie : c'était le conseil que lui donnaient les personnes qui l'aidaient de tous leurs efforts à faire valoir ses talents.

Le moyen le plus sûr était, en effet, de se faire connaitre d'abord de ses supérieurs dans l'enseignement; d'obtenir leurs suffrages par le succès dans plusieurs concours; de

mériter l'estime des professeurs après avoir conquis celle des académiciens, et de parvenir ensuite à s'assimiler à eux, en se montrant digne de l'assentiment du gouvernement.

Ces dispositions furent arrêtées entre Pagani et l'ami qui désirait se l'associer plus tard, à titre d'égalité, dans l'établissement dont il méditait alors la création. Pagani, jeune et sémillant, ne sut pas attendre, et crut qu'une première difficulté entrainait la ruine de l'édifice projeté. Il avait d'ailleurs réussi à ètre couronné deux fois de suite par l'Académie de Bruxelles, la première fois en 1824, pour son mémoire sur les sections annulaires. L'Académie avait posé la question dans les termes suivants: On sait que les lignes spiriques ou sections annulaires sont des courbes formées par l'intersection d'un plan avec la surface du solide engendré par la circonvolution d'un cercle autour d'un axe donné de position; on demande l'équation générale de ces courbes et une discussion complète de cette équation.

Les courbes que Pagani avait à considérer sont du quatrième degré leur équation est assez simple et leurs propriétés, encore peu étudiées, sont très-belles. Elles avaient déjà occupé le géomètre ancien Perseus, auquel on en attribue la découverte; et, chez les modernes, M. Hachette, dans son Cours de géométrie descriptive, les a examinées plus particulièrement sous le rapport de leurs propriétés usuelles (').

Pagani commence par faire remarquer que la question

(') Le rapport qui suit le mémoire de M Pagani, t. V des Mémoires couronnés de l'Académie de Bruxelles, année 1824, est signé par MM. Van Uttenhove, Garnier et Quetelet; mais il est plus particulièrement l'ouvrage du premier géomètre, qui prit soin de citer les connaissances des anciens au sujet des spiriques. La médaille d'or fut accordée à M. Pagani, et la médaille d'argent à M. Demoor, ingénieur en chef du Waterstaat. Déjà, l'année précédente, une médaille d'argent avait été accordée, sur la même question, à M. Vène, capitaine du génie, en France.

mise au concours par l'Académie renferme deux demandes distinctes 1° l'équation générale des lignes spiriques; 2o une discussion complète de cette équation. C'est avec raison que l'auteur observe que la seconde question est la plus intéressante et mérite le plus d'être étudiée. Il apporte à sa solution un soin tout particulier, mais il s'occupe des questions géométriques bien plus que des questions de pratique. On peut s'étonner, du reste, que ces courbes aient été jusqu'à présent assez peu soumises à un examen. qui permette d'apprécier mieux leur usage. Les sections coniques aussi sont restées, pendant dix-huit siècles, comme de vaines spéculations dont la science avait seule à s'occuper, et ce n'est guère que depuis les recherches de Kepler qu'elles sont descendues dans la pratique. Peut-être Pagani a-t-il mal compris son but en prenant pour épigraphe : Nisi utile est quod facimus stulta est gloria. Personne, que je sache, ne lui a fait d'observation sur ces mots, bien qu'on eût pu lui répondre par l'inscription que, dans une circonstance semblable, Pythagore, le célèbre auteur des coniques, fit graver sur les portes de son école que nul n'entre ici s'il n'est géomètre.

En 1825, Pagani put traiter une question qui rentrait. plus spécialement dans son genre de recherches: il s'agissait du problème suivant, proposé par l'Académie : Un fil flexible et uniformément pesant, étant suspendu par l'une de ses extrémités à un point fixe, et soulevé par son autre extrémité à une hauteur et à une distance quelconques, si l'on vient à lácher cette seconde extrémité, et à abandonner ainsi ce fil à l'action libre de la pesanteur, on demande les circonstances de son mouvement dans l'espace supposé vide. Ce problème était évidemment dans les idées de Pagani, qui s'en occupa d'une manière toute spéciale, bien qu'il en fit mystère aux personnes avec lesquelles il se trouvait habi

tuellement. Je le voyais tous les jours: ma maison était la sienne; il s'y trouvait plus fréquemment que chez lui. Nous avions entrepris ensemble la lecture ou plutôt l'étude du grand travail de Laplace, la Mécanique céleste, qui nous plaisait par les questions scientifiques qu'elle faisait naître; cependant il garda le plus sévère secret sur ce qu'il faisait chez lui.

La question proposée par l'Académie, disait-il en tête de son mémoire couronné, est un véritable problème de calcul intégral, et, sous un énoncé aussi simple, elle sera encore longtemps l'écueil contre lequel viendront se briser les efforts de l'analyse actuelle. Cette assertion n'aura rien de surprenant aux yeux des personnes versées dans l'histoire des mathématiques. On a vu de tout temps les plus grands géomètres arrêtés par des obstacles qui paraissaient très-simples au premier abord, mais qui n'étaient pas moins invincibles par les forces actuelles de la science. C'est ainsi que Platon et que tous les géomètres du premier ordre de l'antiquité se sont trouvés incapables de résoudre le fameux problème de la duplication du cube; et c'est encore ainsi que, dans les temps modernes, tout le savoir de Galilée a été insuffisant lorsqu'il s'est agi de déterminer la courbe de la chainette. « Nous ne prétendons pas que cet ouvrage soit remarquable par des aperçus nouveaux, par des théorèmes auxquels on n'avait pas songé encore, mais il présente, sans aucun doute, les différents résultats auxquels les grands géomètres de l'époque étaient parvenus. » Ce qui a toujours distingué Pagani dans ses travaux de géométrie analytique, c'est moins l'invention de méthodes nouvelles qu'une exposition claire et exacte de la méthode des grands maitres; et c'est par là qu'il se faisait remarquer surtout comme professeur de sciences mathématiques.

Le résultat de ce concours n'était pas encore connu, lors

que Pagani fut nommé membre de l'Académie. Cette distinction lui fut particulièrement accordée sur la demande de MM. Dandelin, Quetelet et Van Uttenhove, nommés commissaires pour l'examen de son mémoire sur les Vitesses virtuelles, présenté en décembre 1824. Dans ce travail, l'auteur résume avec succès les recherches sur le même principe, dues particulièrement à son illustre compatriote Lagrange : on conçoit que Pagani ait eu en vue l'ensemble des recherches dont il s'occupait alors pour faire concourir vers un mème point tous les travaux de la mécanique analytique. Il y fait preuve, comme dans ses mémoires antérieurs, d'une connaissance très-approfondie des meilleures méthodes mathématiques et d'une grande élégance dans le choix des formules.

Vers la même époque, le célèbre Wronski vint à Bruxelles; il avait passé quelque temps à Londres, où, avec sa finesse habituelle, il se flattait d'avoir trompé les plus habiles mathématiciens pour les faire servir, disait-il, de complément à ceux de Paris. Il s'adressait alors à l'Académie de Bruxelles pour avoir son avis sur une invention nouvelle, et l'Académie avait jugé à propos de me nommer, avec Pagani et Dandelin, pour être ses commissaires. Nous crùmes devoir user de toute la prudence nécessaire, mais sans aller plus loin j'étais d'avis, comme Dandelin, de m'expliquer franchement sur ce point avec le savant géomètre polonais. Il nous comprit et ne fut pas offensé de notre réserve; il parla mème de quelques compléments à l'aventure de Londres, qu'il avait publiée dans une brochure qu'il nous fit voir et qui était devenue très-rare; mais il se montra moins satisfait de Pagani, qui voulut le traiter avec défiance. Wronski avait fait apporter tous ses ouvrages et prenait plaisir à citer comme terminés les travaux difficiles mentionnés par son antagoniste; il indiquait les difficultés vaincues par lui, il

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