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MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES

CHEZ LES BELGES,

AU COMMENCEMENT DU XIXe SIÈCLE.

LIVRE PREMIER.

ÉTAT GÉNÉRAL DES SCIENCES.

Après la chute des républiques de la Grèce et la ruine de l'école d'Alexandrie, les sciences et les lettres descendirent des régions élevées où elles étaient parvenues à se placer. Plus tard, les Arabes cherchèrent à conserver et à développer les importantes découvertes de leurs prédécesseurs; mais, à la suite des croisades, les chrétiens d'Occident voulurent montrer qu'ils n'avaient à leur céder ni pour la puissance du glaive, ni pour la force de l'intelligence.

On vit alors les lumières se répandre dans les différents pays et les peuples belliqueux aspirer à l'honneur d'étendre leur domaine. Les plus illustres combattants de l'Europe furent les premiers à se ranger sous les drapeaux déployés par les sciences. La Belgique, si petite par son étendue, mais qui toujours avait marché au premier rang depuis les temps de Mérovée et de Charlemagne, la Belgique mit hardiment le pied sur les terrains nouveaux qu'il s'agissait de conquérir.

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Déjà pendant que ses guerriers, avec Godefroid de Bouillon, faisaient la conquête de la terre sainte, les études historiques et les sciences avaient fait leur apparition. La carrière de l'intelligence s'ouvrait devant elle, après celle des combats, et les Belges furent des premiers à se distinguer parmi les champions qui s'y présentèrent. Non-seulement les sciences se montrèrent avec éclat, mais on vit bientôt se développer les lettres sous les auspices de Jean le Bel, de Froissart, de Philippe de Commines et de tous ces brillants chroniqueurs dont la plus grande partie appartenait à nos provinces; la peinture à l'huile s'illustra par les talents des frères Van Eyck et des Memelinck; la musique, par cette merveilleuse école dont Tinctor fut un des premiers maitres à la cour de Naples, et ensuite par cette série de musiciens célèbres qui firent, pendant près de deux siècles, le charme de toutes les cours de l'Europe. L'industrie réalisait des progrès non moins rapides, et le Belge devra de la reconnaissance à celui de ses compatriotes qui retracera cette époque brillante où le pays se plaçait en première ligne à côté des régions les plus florissantes.

Nos aïeux, dans la carrière de l'intelligence, se montrèrent avec tout autant d'éclat pendant les progrès immenses qui marquèrent le quinzième siècle : on les trouve parmi les plus ardents promoteurs de la précieuse invention de l'imprimerie (1459). Leurs services ne sont pas moins marqués au moment de la découverte de l'Amérique (1492); déjà, dès 1446, Vandenberghe avait fait connaitre les Açores, que l'on nomma les iles flamandes on trouve aussi chez eux et chez les ducs de Bourgogne les premiers vestiges du changement dans la nature des armes de guerre.

L'époque fameuse de la Renaissance se distingue par les grands noms de François Ier et de Charles-Quint. Ce dernier prince, surtout dans son active jeunesse, méritait sous

tous les rapports de briller comme l'un des restaurateurs des sciences et des beaux-arts. Quand il quitta le ciel de sa patrie, il voulut, en Espagne, s'entourer de ses compatriotes les plus illustres, et donner à son pays, même de loin, des témoignages de son estime affectueuse. Le grand anatomiste Vésale avait toute sa confiance; Mercator, Ortelius et les autres géographes de son époque attirèrent ses généreux encouragements, de même que les mathématiciens nombreux que produisaient alors ses États. La fin de son règne ne répondit malheureusement pas à des commencements aussi beaux. La Belgique continuait cependant à s'illustrer par une série d'hommes que les décrets funestes de son successeur Philippe II chassèrent successivement de leur patrie, et parmi eux se distinguait Simon Stevin, un des plus célèbres mathématiciens de son époque et le grand maître de l'artillerie de Guillaume de Nassau.

Privée de ses hommes les plus marquants par les cruelles proscriptions de l'Espagne, la Belgique cependant sut montrer, malgré ses malheurs, qu'elle n'avait point perdu de vue la culture des sciences qui avaient tant ajouté à sa gloire. Un coup fatal lui fut porté au moment même où les sciences exactes produisaient leur plus belle découverte, où le calcul infinitésimal faisait sa première apparition le géomètre De Sluze, qui avait pris une part active à ces brillants travaux et qui jouissait de l'estime de Pascal, de Descartes, de Newton, de Huyghens, mourut quelques mois après la première publication de l'ouvrage de Leibnitz sur le calcul différentiel. A partir de cette féconde découverte, les mathématiques marchèrent à pas de géant, aidées par une réunion de savants des plus distingués que les sciences aient produits; mais la Belgique n'était plus de force à y prendre part.

On trouve encore de loin en loin quelques hommes de mérite, mais vivant en dehors de ce milieu plein d'activité :

ils étaient comprimés par la domination étrangère. MarieThérèse chercha, plus tard, à rendre la Belgique à elle-même; mais la révolution française arrèta tous les plans concertés à cet égard. Les terribles mouvements politiques qui agitaient alors la France et les guerres qui suivirent durent ajourner tous les projets, lorsque enfin, après 1814, les esprits se calmèrent et se tournèrent vers des travaux plus paisibles (').

Réunie à la Hollande, la Belgique put alors songer à revenir librement à ses anciennes habitudes et à ses goûts de science et de splendeur. Comme sa noble alliée, elle reçut trois universités; elle s'enrichit de bibliothèques, de musées pour l'histoire naturelle et pour les tableaux, de jardins pour la botanique, d'une Académie royale pour les sciences et les lettres, d'un observatoire et de tout ce qui pouvait favoriser le développement de l'intelligence. Après quinze années d'existence commune, cette union fut fatalement rompue, et les deux États se séparèrent. Mais déjà la Belgique, dans un intervalle aussi court, avait pu remonter à son ancien état et se refaire à ses premières habitudes, dont un à deux siècles de malheurs ne l'avaient pas entièrement dépouillée; sous quelques rapports même, les malheurs qu'elle avait subis avaient retrempé sa force et lui avaient donné une vigueur nouvelle. Elle se releva donc avec plus de confiance, et les peuples lui tendirent une main affectueuse: ils lui témoignèrent une bienveillante amitié qui lui rendit son ancienne ardeur.

Pour apprécier le chemin que la Belgique avait à parcourir, afin de se mettre au rang que semblait lui marquer son passé, il faut jeter les regards en arrière et voir la marche. qu'avaient suivie les arts, les lettres et les sciences. Un pays, s'il mérite véritablement ce titre, s'il est animé d'une vie qui

() Voyez, pour ce qui précède, L'Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges, par Ad. Quetelet, un vol. grand in-8°. Bruxelles, chez Hayez, 1864.

lui est propre, doit aussi avoir sa biographie qui retrace son origine et ses progrès, l'esprit qui l'a dirigé et les travaux qu'il a exécutés en dehors des travaux particuliers de chacun de ses concitoyens. Au moment où la Belgique dut quitter le champ de la science, il s'opérait une innovation intellectuelle d'une grande importance, innovation qui peutètre n'a pas été assez remarquée. L'homme de talent, dans certains cas, cesse d'agir comme individu et devient fraction d'un corps qui permet d'atteindre aux résultats les plus importants. A toutes les époques, sans doute, les hommes. instruits ont senti le besoin de se réunir pour s'aider et s'éclairer mutuellement sur l'objet de leurs études communes. Au siècle brillant de la Grèce, nous voyons, à Athènes, les savants les plus illustres se grouper ensemble au Portique, au Lycée, à l'Académie, lieux célèbres dont les noms sont devenus caractéristiques dans nos temps modernes. Nous retrouvons, plus tard, une réunion semblable dans la fameuse école d'Alexandrie.

Rome ne semble pas avoir ambitionné les palmes de l'in-· telligence, comme s'il lui avait suffi de dicter des lois au reste de l'univers. Cependant, sous Auguste, une société littéraire aussi brillante que polie s'était formée autour de Mécène; et, sans titre officiel, elle a illustré à jamais le siècle qui l'a vue fleurir. Ces réunions, toutefois, annonçaient l'esprit élevé et la délicatesse du souverain bien plus que l'harmonie combinée des hommes éclairés qui se trouvaient autour de lui.

Il est intéressant de suivre ce mouvement nouveau de l'esprit humain et d'étudier les phénomènes qui lui ont donné la preuve des ressources immenses qu'il porte en lui et dont il n'avait fait aucun usage jusque-là. C'est à Charlemagne qu'on doit, parait-il, la fondation de la première académie, organisée d'une manière régulière. Ce grand

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