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nous peut-être, fi leurs pareils les avoient dévancés & leur avoient applani la route. C'eft grace aux lumieres qu'ils nous ont tranfmifes, que leurs écrits ne font plus de faifon.

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Nous fourions avec dedain; quand nous entendons Jules Scaliger, dans fa Poétique latine, tracer le plan de la Tragédie d'Alcione, & demander que le premier acte foit "Une plainte fur le départ de Ceïx; le fecond des voeux pour le fuccès de fa navigation; le troifieme, la nouvelle d'une tempête; le quatrieme, la certitude du naufrage; le cinquie,, me, la vûe du cadavre de Ceïx & la mort d'Alcione. Mais fouvenons-nous que du tems de Scaliger, un fpectacle ainfi diftribué auroit été un prodige fur nos théâtres.

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Nous trouvons auffi ridicule qu'il propofe à la Comédie de peindre les mœurs de la Grece & de Rome:

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Des filles achetées comme efclaves, ,, & qui foient reconnues libres au dénouement;,, Mais dans un tems. où l'art Dramatique n'avoit aucune forme en Europe, que pouvoit faire de mieux un-Savant que d'en établir les préceptes fur la pratique des Anciens.

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On s'impatiente de voir l'Abbé d'Aubignac réduire en regles les premiers principes du fens commun. L'on ne peut fe perfuader que le fiécle de Corneille eût befoin qu'on lui apprît que "l'Acteur qui joue Cinna ne doit ,, pas mêler les barricades de Paris avec les profcriptions du Triumvi,, rat; que le lieu de la fcène doit être une efpace vuide, & qu'on ne doit pas y placer les Alpes auprès du mont-Valérien.,, Mais fi l'on penfe que le Thémistocle de Durier balançoit alors Héraclius, ces leçons ne paroîtront plus fi déplacées pour

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le tems.

C'est donc fans aucun mépris pour les Ecrivains qui ont éclairé leur fiecle, que je le crois au-deffous du nôtre. Il faut partir du point où l'on eft; & depuis deux cens ans l'efprit humain a plus gagné, qu'il n'avoit perdu en mille ans de barbarie. Mais de toutes les parties de la Littérature la Poéfie eft celle dont la connoiffance & le goût, fans ceffe exercés par l'ufage, ont fait parmi nous le plus de progrès. Ainfi des préceptes répandus dans les Poétiques anciennes, les uns font devenus inutiles & les autres infuffifans. a iij

Une Poétique digne de notre âge, feroit un système régulier & complet, où tout fut foumis à une loi fimple, & dont les regles particuliéres, émanées d'un principe commun, en fuffent comme les rameaux. Cet ouvrage philofophique eft défiré depuis lontams, & le fera peut-être long-tems

encore.

Quoique la Poétique d'Ariftote ne procéde que par induction de l'exemple au précepte, elle ne laiffe pas que de remonter aux principes de la Nature, & c'eft le fommaire d'un excellent Traité. Mais elle fe borne à la Tragédie & à l'Épopée ; & foit qu'Ariftote en jettant fes premieres idées eût négligé de les éclaircir, soit que l'obfcurité du texte vienne de l'erreur des copistes, fes interprêtes les plus habiles conviennent qu'il eft fouvent malaifé de l'entendre.

Caftelvetro en traduifant le texte d'Ariftote, l'analyfe & le commente avec beaucoup de difcernement; mais par la forme diale&tique qu'il a donnée à fon commentaire, il nous fait chercher péniblement quelques idées claires & juftes dans un dédale de mots fuperflus.

S'il ne difcutoit que les chofes, il feroit moins prolixe; mais il difcute auffi les mots : encore après avoir retourné un paffage dans tous les fens, lui arrive-t'il quelquefois de manquer le véritable, ou de le combattre mal-àpropos. Le défaut de ce critique, comme de tous les Ecrivains didactiques de ce tems-là, eft de n'avoir vû l'art du théâtre qu'en idée. C'est au théâtre même qu'il faut l'étudier.

Dacier avoit cet avantage fur l'interprête Italien; mais comme il avoit fait vœu d'être de l'avis d'Ariftote, foit qu'il l'entendît ou qu'il ne l'entendît pas, ce n'eft jamais pour confulter la Nature, mais pour confulter Ariftote qu'il fait ufage de fa raifon; & lors même qu'Ariftote fe contredit, Dacier n'ofé le contredire.

Non moins religieux fectateur des Anciens, Leboffu n'a étudié l'Épopée que dans Ariftote, Homére, Virgile: il femble à l'entendre, que les inventeurs en ayent épuifé toutes les reffources, & qu'il n'y ait plus que l'alternative de les fuivre ou de s'égarer. Mais fi Leboffu & Dacier n'ont étendu nos pas idées,ils en ont hâté le développement. Le grand Corneille, avec le refpect

qu'avoit fon fiécle pour Ariftote, & qu'il a eu la modeftie de partager, n'a pás laiffé de répandre les lumières de la plus fainte critique fur la théorie de ce Philofophe, & fes difcours en font le commentaire le plus folide & le plus profond.

Les paralleles qu'on a fait de Corneille & de Racine, & la célébre difpute fur les Anciens & les Modernes, en donnant lieu de difcuter les principes, ont contribué à les établir.

On eft même entré dans le détail des divers genres de Poéfie; on a effayé de développer l'artifice de la Fable, de déterminer le caractère de l'Eglogue; on a voulu fuivre l'Ode dans fon délire & dans fes écarts; mais perfonne n'a entrepris de ramener tous les genres à l'unité d'une premiere loi.

Le Poëme de Vida, que je rappellerai fouvent, contient des détails pleins de jufteffe & de goût fur les études du Poéte, fur fon travail, fur les modèles qu'il doit fuivre ; mais ce Poëme, comme la Poétique de Scaliger, eft plutôt l'art d'imiter Virgile que l'art d'imiter la Nature.

La Poétique d'Horace eft le modèle des Poëmes didactiques, & jamais on

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