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die font tracés d'après Ariftote & Horace. La regle des trois unités & la défenfe de laiffer jamais la fcene vuide, font renfermées en deux vers admirables.

» Qu'en un lieu, qu'en un jour, un séul fait » accompli

» Tienne jufqu'à la fin le théâtre rempli.

On y voit l'unité de lieu prefcrite, à l'égal de l'unité de tems & d'action: regle nouvelle que les Anciens ne nous avoient point impofée, & qu'on n'eft pas obligé d'obferver à la rigueur.

Après avoir rappellé l'origine & les progrès de la Tragédie dans la Grece, il la reprend au fortir des ténébres de la barbarie, & telle qu'on la vit paroître fur nos premiers théâtres, fans goût, fans génie & fans art; & il la conduit jufqu'aux beaux jours de Corneille & de Racine. Il confeille aux Poétes d'y employer l'amour.

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De cette paffion la fenfible peinture

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pour aller au cœur la route' la plus sûre. Ce qui ne doit pas être pris à la lettre, car les fentimens de la nature font plus touchans que ceux de l'amour; & il n'y a point fur le théâtre d'amante qui nous intéreffe au degré de Mérope.

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Il ajoute :

Et que l'amour fouvent de remords combattu,

"Y foit une foibleffe & non une vertu.

regle qui n'eft point exclufive; car un amour vertueux & facré peut être dans le malheur auffi douloureux qu'un amour criminel; & le cœur des amans eft déchiré de tant de manieres, que pour arracher des larmes ils n'ont pas befoin du fecours des remords.

Horace eft admirable quand il enfeigne à obferver les mœurs & à les rendre avec vérité; Defpréaux l'imite & l'égale. Il termine les regles de la Tragédie par le caractère du génie même qui lui convient.

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Qu'il foit aifé, folide, agréable, profond; Qu'en nobles fentimens il foit toujours » fécond.

On diroit que c'est le génie de Racine qu'il vient de peindre.

L'Épopée différe de la Tragédie par fon étendue, & par l'ufage du merveilleux qui en eft l'ame. Ce Poëme dit Defpréaux,

»Dans le vafte récit d'une longue action, » Se foutient par la fable & vit de fiction.

Tome I.

Il fe moque du vain fcrupule de ceux qui ont voulu bannir la Fable de la. Poëfie françoife; mais il condamne le mêlange du merveilleux de la Fable & de celui de la Religion: il défaprouve même l'emploi de celui-ci quoique fans mêlange

Et fabuleux Chrétiens, n'allons pas dans nos fonges,

D'un Dieu de vérité faire un Dieu de menLonges.

maxime qui n'exclud pas une fiction prife dans la vérité même, & qui n'en eft que l'extention.

Defpréaux veut pour l'Épopée un héros recommandable par fa valeur & par fes vertus; que le fujet ne foit point trop chargé d'incidens; que la narration foit vive & preffée; que les détails en foient interreffans & nobles, mêlées de grace & de majesté.

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On être à la foi & fublime & plaifant } peut » Et je hais un fublime ennuyeux & pefant.

Il donne Homère pour exemple d'une riche ́variété.

» On diroit que pour plaire inftruit par la » Nature,

Homère ait à Venus dérobé fa ceinture.

Il préfére même la folie enjouée de l'Ariofte au caractère de ces Poétes dont la fombre humeur ne s'éclaircit jamais. Tout cela bien entendu contri bueroit à former le goût; mais par malheur il faut avoir déjà le goût formé pour le bien entendre. Par exemple, il ne faut pas croire, fur l'éloge que Def préaux fait de l'Ariofte, que le Roland furieux foit un modèle de Poëme épique, ni que le plaifant qu'on peut mê ler au fublime de l'Épopée, foit le joyeux badinage que ce Poéte Italien s'eft permis.

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Quel fciocco, che del fatto non s'accorse,
Per la polve cercando iva la tefta.

Defpréaux finit la Comédie, & les préceptes qu'il en donne foit à-peu-près les mêmes qu'Horace nous a tracés.

Il faut que fes acteurs badinent noblement, n Que fon nœud bien formé le dénoue aifé

ment.

Il exclut de la Comédie les fujets triftes, n'y admet point de fcène vuides, & lui interdit les plaifanteries qui choquent le bon fens, ou qui bleffent l'honnêteté.91

Après avoir parcouru aint tous les

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genres de Poëfie, il en revient aux qualités perfonnelles du Poéte, le génie & les bonnes mœurs. C'est à propos de l'élévation d'ame & du noble defintéreffement qu'exige le commerce des Mufes, qu'il remonte à l'origine de la poéfie, & qu'il la fait voir pure & fublime dans fa naiffance, & dégradée dans la fuite par l'avarice & la vénalité. Tout ce morceau eft habilement imité d'une Idile de SaintGeniez, comme tout ce qui regarde le choix d'un critique judicieux & févére eft imité d'Horace.

Voilà ce qui refte à-peu-près de la lecture de ces trois excellens Ouvrages. Deux raifons m'obligent à les rappeller: L'une, afin qu'on foit à portée de me confronter avec mes maîtres, & qu'on ait dans les mains le corretif des erreurs où j'ai pû tomber; L'autre, afin de juftifier mơn opinion fur la néceffité d'une Poëtitique raisonnée, où foient recueillis les préceptes répandus dans les précédentes, & qui les concilie avec les principes immuables de la Nature, le grand Légiflateur des arts. Je ne me flatte point d'avoir rempli l'idée que j'en donne & que j'en ai conçue; mais

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