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la préférence à celle où le crime qu'on alloit commettre aveuglement, eft reconnu fur le point d'être exécuté, comme dans Mérope. Ce chapitre eft le plus profond de la Poëtique d'Ariftote.

Il paffe aux moeurs, & il exige qu'elles foient bonnes, convenables, reffemblantes & d'accord avec elles-mêmes. Nous aurons lieu d'expliquer ce qu'il entend par la bonté des mœurs dragmatiques.

Quoiqu'il admette quatre espèces de Tragédies, l'une pathétique, l'autre morale, & l'une & l'autre fimple ou implexe, c'est-à-dire, terminée fans révolution ou par une révolution, qu'il appelle Péripétie; il donne la préférence à la Tragédie implexe & pathétique, à celle, dis-je, où la fortune d'un perfonnage intéreffant change de face par une révolution pitoyable & terrible. Or le grand mobile des révolutions', c'est la reconnoiffance. Il veut qu'elle foit amenée naturellement, & il en propofe les moyens. La plus belle, ditil eft celle qui naît des incidens, comme dans l'Edipe & l'Iphigénie en Tauride.

Il enfeigne aux Poétes une méthode excellente pour s'affurer de la bonté,

de la régularité de leur plan : c'eft de le tracer d'abord dans fa plus grande fimplicité, avant de penfer aux détails & aux circonftances épifodiques. Il en donne l'exemple avec le précepte, en réduifant ainfi le fujet de l'Iphigénie (a) & de l'Odyffée.

Il recommande que l'on foit préfent à l'action que l'on veut peindre, que l'on fe pénétre foi-même des fentimens que l'on doit exprimer, & qu'on imite en compofant, l'action des perfonnages qu'on met fur la fcene: méthode qui contribue réellement à donner au ftyle plus de chaleur & de vérité.

Il diftingue dans la Fable le noeud & le dénouement. Il entend par le noeud tout ce qui précéde la révolution, & par le dénouement tout ce qui la fuit. Le noeud fe forme par des incidens qui viennent du dehors, ou qui naiffent du fond du fujet. Ces incidens, les moyens, les circonftances de l'action font ce qu'il appelle épisodes. Le dénouement, dit-il, ne doit jamais être amené par une machine, mais procéder de la même caufe qui produit la

révolution.

Ce que les Interprêtes Latins d'Arif(*) En Tauride

tote appellent sentences, & que M. Dacier appelle mal-à-propos les sentimens, eft dans la Tragédie l'éloquence des paffions, ce qui perfuade, intéreffe, attendrit, ce qui peint les mouvemens d'une ame & les fait paffer dans l'ame de fes fpectateurs; mais Ariftote renvoye à ce qu'il en a dit dans fes Livres de Rhétorique.

Il traite enfin de la diction relativement à fa langue.

Après avoir établi les regles de la Tragédie, il les applique à l'Epopée. La Fable en doit être dragmatique & renfermée dans une feule action. Il fait voir dans les deux Poëmes d'Homére l'ordonnance même de la Tragédie. L'Epopée, dit-il, ne différe de la Tragédie que par fon étendue & par la forme des vers. Il compare les deux genres, & donne la préférence à la Tragédie, parce qu'elle a pour elle l'évi- ' dence de l'action, & qu'avec plus d'unité & moins d'étendue, elle produit mieux fon effet.

Ces préceptes ont coûté des peines infinies à éclaircir & à concilier. A peine la foule des Commentateurs y at'elle compris quelque chofe:. Il ne falmoins que des favans, comme

loit pas

Caftelvetro & Dacier, & un génie comme Corneille pour y répandre la clarté; encore arrive-t'il fouvent, & dans les points les plus effentiels, que Caftelvetro n'eft point d'accord avec Dacier, ni Dacier avec Corneille, ni celui-ci avec Ariftote, ni Ariftote avec lui-même. Par exemple, de tous les incidens qui produifent la révolution, le plus théâtral, dit ce Philofophe, eft la reconnoiffance qui empêche d'exécuter le crime, & qui par conféquent change heureusement la face des chofes; cependant de toutes les catastrophes, la plus tragique à fon avis, eft celle qui termine l'action par le malheur du perfonnage intéreffant. Or comment d'une révolution favorable peut-il naître un dénouement funefte? Si le crime n'eft pas confommé, comment le malheur peut-il l'être? comment concilier dans la même Fable la révolution de Mérope & le dénouement d'Edipe? Voilà donc Ariftote en oppofition avec lui-même ; il l'eft auffi avec Corneille, & Corneille avec Dacier, car Dacier fe fait une loi d'être de l'avis d'Ariftote. Caftelvetro n'a pas le même refpect; mais s'il a quelquefois raifon de contredire fon Auteur,il

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arrive auffi quelquefois qu'il a tort, & j'en citerois plus d'un exemple.

Du choc de ces opinions; la lumiere n'a pu manquer de naître, & depuis Corneille & Dacier, l'art de la Tragédie & de 1 Epopée a été fi bien difcuté, qu'on a vû à peu près tout ce qu'on y peut voir; mais c'est le résultat de ces difcuffions que l'on n'a point donné

encore.

Horace dans fon Art Poëtique parle de la Poëfie en Poéte, en philofophe, en homme de goût & de génie. Il veut que le Poëme foit homogene; que les parties qui le compofent fe conviennent & foient d'accord; qu'elles foient proportionnées, & qu'on y évite les ornemens fuperflus & mal affortis (a).

Que le Poete foit en état de traiter non-feulement telle ou telle partie, mais toutes les parties de fon ouvrage; qu'il fache les finir & les mettre d'accord; qu'il choififfe un fujet proportionné à fes forces, & qu'il s'en pénétre entre le méditans (b); qu'il diftribue fon fujet avec intelligence & avec fageffe; qu'il choififfe avec goût ce qui

(a Denique fit quodvis fimplex dumtaxat & unum. (b) Cui leta potenter erit res,

Nec facundia deferet hunc nec lucidas ordo.

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