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a fon imitation tous les dehors de la réalité; de-là le genre dramatique; où tout n'eft pas illufion comme dans un tableau, où tout n'eft pas vrai comme dans la nature; mais où le mélange de la fiction & de la vérité produit cette illufion tempérée qui fait le charme de nos fpectacles. Il eft faux que l'Actrice que je vois pleurer & que jentends gémir foit Ariane, mais il eft vrai qu'elle pleure & gémit: mes yeux & mes oreilles ne font point trompés; tout ce qui les frappe eft réel: l'illufion n'eft que dans ma penfée. Tel eft l'art de la Poéfie dramatique, le plus féduifant & le plus ingenieux de tous les arts d'imitation.

L'illufion de la Poéfie n'eft pas tou jours foutenue par le preftige de l'action théatrale: c'eft un fecours qui lui vient du dehors, & dont elle a du pouvoir fe paffer: elle étoit même au comble de fa gloire avant que de l'avoir acquis; mais ce fut au foin quelle prit de féduire & de captiver un autre fens que celui de la vue, l'oreille, ce Juge délicat & fenfible, qu'elle dut fes premiers fuccès. A l'expreffion du fentiment & des images, elle voulut joindre l'expreffion de la

voix, & non-feulement émouvoir l'ame par l'éloquence du fentiment & le coloris des images, mais enchanter l'oreille elle-même par la beauté Phyfique des fons. La premiere de ces expreffions lui tenoit lieu des couleurs de la Peinture; la feconde, fi elle eût été complette, y eût ajouté les accens de la Mufique: & c'eft alors que la Poéfie eût merité d'être appellée le langage des Dieux.

Čette réunion de la Mufique & de la Peinture nous donne l'idée de la Poéfie teile que les Grecs avoient ofé la concevoir. Ce peuple doué d'un goût exquis dans la recherche de toutes les voluptés de l'ame, ce peuple qui dans tous les Arts dont les Chefd'oeuvre ont pu fe conferver, nous a laiffé des modeles parfaits, & qui vrai - femblablement n'excelloit pas moins dans les Arts dont le tems a détruit les monuments fragiles, ce peuple ingénieux en tout, s'étoit fait comme par inftinct, une langue à la fois harmonieufe & imitative dont les fons, les nombres, les accens donnoient aux mots le caractère des chofes, & difpofoient l'ame par l'émoslon de l'oreille, à recevoir plus vives

ment l'impreffion de l'image, ou dư fentiment qui lui étoit transmis. Graiis ingenium, Graiis dedit ore rotundo Mufa loqui, præter laudem nullius avaris.

Horat.

Les Latins imiterent les Grecs en cela comme en toutes chofes, mais leur Langue moins flexible, moins mélodieuse que celle des Grecs, ne put donner à leurs vers la même expreffion musicale; & quel doit être les charme des vers d'Homère, s'ils font plus harmonieux que ceux de Virgile!

Les Langues modernes dans leurs naiffances n'avoient cofulté ni la nature pour la peindre, ni les Langues anciennes pour les imiter. Elles fe font polies avec l'efprit & les moeurs des peuples; elles ont acquis de la foupleffe, de la rondeur & du liant; mais elles n'ont rien gagné du côté des accens & peu de chofe du côté du nombre.

Les grands objets de la Poéfie mo'derne, ce qui met le Taffe, l'Ariofte, Milton, Corneille, Racine, la Fon taine, à côté, quelquefois au-deffus des Poétes anciens, c'eft le deffein le coloris l'ordonnance, la fierté mâlè

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des grandes touches, la délicateffe des touches légères, l'harmonie de l'enfemble & le précieux des détails, en un mot, la partie de la Peinture; à laquelle toutes les Langues peuvent fuffire, parce que dès leur naiffance elles font toutes figurées. Mais la partie muficale de la Poéfie ancienne eft perdue, & tout ce que le goût & le génie ont fait pour y fuppléer ne nous en a donné que l'ombre.

La Poéfie s'eft donc éloignée d'âge en âge de cette inftitution primitive, qui en avoit fait un compofé de l'expreffion de la Peinture & de celle de la Mufique; mais peut-être auroit-elle encore quelque moyen de s'en approcher, & l'on verra que je fuis bien loin de vouloir qu'elle y renonce. Je dis feulement que ce qu'on appelle aujourd'hui l'harmonie de nos vers, ne mé→ rite pas d'être régardé comme une par tie effentielle de la poéfie ; & qu'en la fuppofant réduite au même fangage que l'Eloquence, elle ne laifferoit pas d'être encore le plus ingénieux, le plus touchant, le plus enchanteur de tous les arts.

Platon décide que,, celui qui ne 3 connoît pas le rithme ne peut être

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appellé ni Muficien ni Poéte,, & je conviens que le rithme eft effentiel à la Poéfie, mais ce n'eft pas celui du yers, & l'on fait que la profe a le fien.

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La Poéfie eft une Peinture qui parle, ou fi l'on veut un langage qui peint. Le comble de l'art feroit de peindre en même tems à l'efprit & à l'oreille; mais fi réduite à peindre à l'efprit, elle y excelle, n'eft-ce point affez? L'harmonie muficale y mêloit fans doute un nouveau charme & les Anciens avoient raifon de s'y appliquer.. avec tant de foin; car l'efprit eft bien indulgent quand l'oreille eft une fois gagnée: que de chofes foibles & communes font embellies par des vers harmonieux! Voyez les Géorgiques de virgile.ais fi la beauté des tableaux que la poëfie retrace a l'imagination, fi les traits pathétiques dont elle pénétre l'ame, la difpenfent de s'attacher à produire ces effets qui enchantent l'oreille, changera-t-elle de nature en négligeant l'un de fes moyens? Suppofons que les belles fcénes d'Euripide & de Sophocle que les morceaux fublimes d'Homère & de Milton n'ayent jamais été qu'en profe éloquente & harmonieufe; qui

ofera

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