Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

même : On ne doit s'en fervir que ,, lorfqu'ils fe présentent naturellement à l'efprit, qu'ils font tirés du ,, fujet, que les idées acceffoires les font naître, ou que les bienféances les infpirent. Ils plaifent alors; mais il ne faut point les aller chercher dans la vûe de plaire. »

دو

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Au nombre des modes du ftyle font comprises, comme je l'ai dit, les qualités qui le varient & le diftinguent de lui-même.

L'énergie confifte à preffer en peu de mots le fentiment ou la pensée, pour l'exprimer avec plus de force, & lui donner plus de reffort. Tels font ces vers de Léontine dans Héraclius: Dans le fils d'un tyran l'odieuse naissance Mérite que l'erreur arrache l'innocence : C'eft à de telles mains qu'il nous faut recourir C'eft par-là qu'un tyran eft digne de périr, Et le courroux du ciel pour en purger la terre, Nous doit un parricide au défaut du tonnerre. & de Cléopatre dans Rodogune:

[ocr errors]
[ocr errors]

Tombe fur moi le ciel pourvû que je me vend

ge....

Si je verfe des pleurs, ce font des pleurs de

rage....

Puiffe naître de vous un fils qui me reffemble! ....

Je maudirois les dieux s'ils me rendoient le jour

& de Camille dans les Horaces :

Voir le dernier Romain à fon dernier foupir, Moi feule en être caufe, & mourir de plaiur.

Souvent l'énergie eft dans la force l'image communique à l'idée.

Animum rege, qui nifi paret,

que

Imperat: hunc frenis, hunc tu compefce catena. Horat.

Catilina dit, en fortant du Sénat, où il venoit d'être dénoncé, Incendium ruiná opprimam.

Souvent auffi l'énergie réfulte du contrafte des idées : rien de plus frap-pant qu'une expreffion fimple qui réunit en deux mots les extrêmes oppofés.

Nunc feges ubi Troja fuit.

Des Prêtres fortunés foulent d'un pied tranquille

Les tombeaux des Catons & la cendre d'Emile.

On lit au bas de l'eftampe de Bélizaire, d'après le tableau de Wandick: Date obolum Belifaris.

Ces deux mots font d'autant plus énergiques qu'ils ne prétendent point à Pêtre. Il en eft de même de ces vers d'Augufte à Cinna :

Cinna, tu t'en fouviens, & veux m'affaffiner.

Après ces vers fublimes de Clytemneftre :

Un Prêtre environné d'une foule cruelle Portera fur ma fille une main criminelle, Déchirera fon fein, & d'un œil curieux Dans fon cœur palpitant confultera les dieux. elle ajoute :

Et moi qui l'amenai triomphante, adorée, Je m'en retournerai feule & défespérée ! Je verrai les chemins encor tout parfumés! Dos fleurs dont fous fes pas on les avoit femés! Le contrafte de ces deux tableaux a quelque chofe de fi touchant, qu'au théâtre il ne manque jamais de faire couler des ruiffeaux de larmes.

Les mots fur lefquels fe réuniffent les forces accumulées d'une foule d'idées & de fentimens, font toujours les plus énergiques: c'eft le foyer dir miroir ardent. Penfer à vos ancêtres & à vos defcendans >> difoit un Barbare à fes compagnons, en marchant contre les Romains.

[ocr errors]

En général l'énergie du ftyle fuppofe d'un côté le reffort de la penfée dont elle eft comme l'explosion; de l'autre, le choix des termes & des tours les plus vifs & les plus fenfibles. E 4

[ocr errors]

Quelquefois elle facrifie l'exactitude à la précifion, comme dans ce beau vers de Racine:

Je t'aimois inconftant, qu'aurois-je fait fidele? mais il ne lui eft pas permis de négli ger de même la jufteffe ni la clarté. Rien de faux, rien de louche ne peut être énergique. L'expreffion manque fon effet dès que l'ame héfite à faifir les rapports.

Le vice d'une fauffe énergie fe fait fentir, fur-tout dans ces deux vers de Théophile:

» Le voilà ce poignard, qui du fang de fon

maître

» S'eft fouillé lâchement; il en rougit le traître. Attribuer au fer le fentiment de la honte, & l'accufer de lâcheté, c'eft abufer de la fiction & paffer les bornes du ftyle figuré; je le ferai voir dans la fuite: mais attribuer au fentiment, de la honte la rougeur d'un poignard teint de fang, c'est le comble de l'extravagance.

Pour justifier cette hardieffe on peut me citer ce vers de Racine:

Le fot qui l'apporta, recule épouvanté ;

mais, 19. il eft naturel d'animer les

flots, & non pas d'animer le fer: j'expliquerai cette différence. 28. La cause du reflux des eaux n'eft pas fi évidente, que Théramene épouvanté n'ait pû croire qu'elles reculoient de frayeur; au-lieu que pour imaginer que le glaive de Pirame rougit de honte, il faut oublier qu'il eft teint de fang: oubli qui choque la vraifemblance."

En poëfie ce n'eft rien de manquer à la vérité abfolue, pourvû qu'on obferve la vérité relative; ainfi la jufteffe de la métaphore & de l'hiperbole confifte à ne pas laiffer voir le faux, c'eftà-dire, à perfuader que celui qui l'emploie a vû la chofe comme il la peint, & la conçoit comme il l'exprime : d'où je conclus que la jufteffe de l'expreffion dépend du caractere, de la fitua tion, de la maniere de concevoir & de fentir de celui qui parle, & qu'en changeant de place ou de bouche elle perd fouvent toute fa vérité. Cela prou ve qu'en imitant des hardieffes de ftyle, on doit bien faire attention à ce qui a pu les autorifer.

La véhémence dépend moins de la force des termes que du tour & du mouvement impétueux de l'expreffion. C'eft l'impulfion que le ftyle reçoit des

« PreviousContinue »