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vrai fans être dégoûtant, & il y a moyen de donner à ces détails de la grace & de la nobleffe.

Il en eft du moral comme du phyfique; & fi la Nature eft choifie avec goût, les mots qui doivent l'exprimer feront décens & gratieux comme elle. J'expliquerai mieux ce précepte en parlant du chois de la belle Nature. L'art de placer, d'affortir les mots, de les relever l'un par l'autre, de mé

nager à celui qui manque de clarté, de couleur, de nobleffe, le reflet d'un terme plus noble, plus lumineux, plus coloré, cet Art, dis-je, ne peut fe preferire: voyez ce que deviennnent les inftrumens du labourage dans ces mots de Pline l'ancien, gaudente terra "vomere laureato & trinmphali aratro. Je fuis bien loin de croire avec le P. Bouhours, qu'il y ait de la baffeffe dans cette penfée de Bacon, « que l'argent »eft » eft comme le fumier, qui ne profite » que quand il eft répandu ». Si le philofophe y trouvoit quelque chofe de evil, ce n'étoit p le fumier, ce tréfor du Laboureur, ce précieux aliment des campagnes. Il faut avouer cependant pas fur les erdelin efst

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philofophiques, mais fur l'opinion.

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populaire que le Poëte doit fe régler; & combien de détails intéreffans font perdus faute de moyens pour les annoblir? Je n'en citerai que deux exem-ples. Dans tout l'éclat des fêtes qu'on a données pour la convalefcence du Roi, y a-t'il rien de fi beau que le Tableau du peuple de paris baifant la botte du Courier qui lui rendoit l'efpérance, & embraffant, dans l'ivreffe de fa joie & de fon amour, les jambes mêmes du cheval qui portoit ce Courier defiré? y a-t'il rien de plus touchant que de voir, au milieu des illuminations publiques, l'un de ces enfans, qui, dans le plus vil emploi, jouiffent de la confiance des citoyens & la méritent, un Savoyard, François par le coeur, partager une chandelle en quatre, & faire ainfi, felon fes moyens, une illumination fur les quatre coins de fa fellette, le feul efpace qui fût à lui? La Poefie héroïque ne dira rien de plus dighe d'attendrir la postérité; mais une botte, un cheval de pofte, une chandelle une fellette de Savoyard, ne font pas des mots, des détails dignes d'elle: à peine ofera-t-elle les indiquer vaguement. C'eft-là cependant qu'il fe

roit beau de concilier le précieux de la vérité avec la décence du ftyle; mais cet Art, c'est l'étude & l'exercice qui le donnent, fecondés du talent fans lequel l'exemple eft infructueux, & le travail même inutile.

On demande pourquoi il eft des Auteurs dont le ftyle a moins vieilli que celui de leurs contemporains? En voici la caufe: il eft rare que Pufage retranche d'une langue les termes qui réuniffent l'harmonie, le coloris, & la clarté. Quoique bifarre dans fes décifions, l'ufage ne laiffe pas de prendre affez fouvent confeil de l'efprit, & fur-tout de l'oreille: on peut donc compter affez fur le pouvoir du fentiment & de la raifon pour garantir qu'à mérite égal, celui des Poëtes qui dans le choix des termes aura le plus d'égard à la clarté, au coloris, à l'harmonie, fera celui qui vieillira le moins.

Un fort oppofé attend ces Ecrivains qui s'empreffent à faifir les mots dès qu'ils viennent d'éclore & avant même qu'ils foient reçus. Ces mots que Labruyere appelle avanturiers, qui font d'abord quelque fortune dans le monde, & qui s'éclipfent au bout de fix mois, font dans le ftyle, comme fix mois,

dans les tableaux ces couleurs brif lantes & fragiles, qui après nous avoir féduits quelque-tems, noirciffent & font une tache. Le fecret de Pafcal eft d'avoir bien choifi fes couleurs.

Le Dictionnaire d'un Poëte, ce font les Poëtes eux-mêmes, les Historiens & les Orateurs qui ont excellé dans Part d'écrire. C'est là qu'il doit étudier les fineffes, les délicateffes, les richeffes de fa langue; non pas a mefure qu'il en a befoin, mais avant de prendre la plume; non pas pour fe faire un ftyle des débris de leurs phrafes & de leurs vers, mutilés.

mais

pour faifir avec précifion le fens des termes & leurs rapports, leur oppofition, leur analogie, leur caractère & leur nuances, l'étendue & les limites des idées qu'on y attache, l'art de les placer, de les combiner,ode les faire valoir l'un par l'autre; en un mot, d'en former un tiffu, où la Nature vienne fe peindre, comme fur la toile, fans que l'Art paroiffe y avoir mis la main. Pour cela, je le répete, ce n'eft pas affez d'une lecture indolente & fuperficielle, il faut une étude férieufe & profondement réfléchie.

Cette étude feroit pénible autant qu'ennuyeufe fi elle étoit ifolée; mais en étudiant les modéles on étudie tout l'Art à la fois, & ce qu'il a de fec & d'abftrait s'apprend fans qu'on s'en apperçoive, dans le tems même qu'on admire ce qu'il a de plus raviffant.

Le ftyle change de modes felon les genres de Poefie; nous l'allons voir en les parcourant. Ici je me borne à donner une idée de ces qualités accidentelles du style que j'appelle modes. On diftingue d'abord trois tons ou degrés dans le ftyle: l'humble, le fublime, & le tempéré.

Ces careétères lui font donnés moins par les mots que par les chofes; mais quoiqu'il y ait mille façons de parler communes aux trois modes que je vais définir; il y en a mille auffi qui conviennent à l'un mieux qu'à l'autre. Suppofons la même chofe à exprimer : ce qui dans la bouche d'un homme affligé feroit l'expreffion la plus naturelle, paroîtra foible & nud dans le ftyle du Poëte; & ce qui dans le récit tranquille du Poëte fait une grace, une beauté de ftyle, feroit trop recherché, trop fleuri dans les plaintes d'un homme affligé. Andromaque & Home

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