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dinant & ce contrafte des deux extrê mes eft très piquant dans fa naïveté : Le Phaéton d'une voiture à foin,

dit la Fontaine.

Un Anier, fon fceptre à la main,
Menoit, en Empereur Romain,
Deux courfiers à longues oreilles.

dit le même Poëte.

Comme il fonna la charge il fonne la victoire; dit-il encore, & fon heros eft un moucheron. Ce badinage demande non-feulement un goût exquis, mais un génie qui maîtrife l'art & qui fe joue avec la Nature.

Quelquefois auffi le Poete releve & annoblit les petits objets par cet efprit philofophique qui voit les pradiges de la Nature dans un infecte. Il ne faut pas croire, par exemple, que ce foit en badinant que Virgile a pris le haut ton en parlant des moeurs & des loix des abeilles; & fon enthoufiafme ne nous gagne que parce qu'il eft de bonne foi. C'eft une chofe finguliére que la chaleur avec la quelle ce fentiment fe communique lorfqu'il eft naturel fincére. Il n'y a rien qu'il ne puiffe annoblir. « Ce n'eft

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» pas ici, difoit un Chimifte célébre » à fes difciples dans une leçon fur les » fels végétaux, ce n'eft pas ici, c'eft » dans les foffes de Mommartre qu'on voit la Nature travailler en grand, Il le difoit avec cette admiration qui femble dégager l'ame de fes liens & l'élever au-deffus de la répugnance des fens. Alors l'image la plus révoltante loin de nous bleffer nous ravit: c'eft l'effet de l'enthoufiafme.

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L'élégance fuppofe l'exactitude, la jufteffe & la pureté, c'est-à-dire, la fidélité la plus févère aux régles de la langue, aux fens de la pensée, aux loix de l'ufage & du goût, accord d'où réfulte la correction du ftile; mais tout cela contribue à l'élégance & n'y fuffit pas. Elle exige encore une liberté noble, un air facile & naturel qui fans nuire à la correction, en déguife l'étude & la gêne. Le ftyle de Defpréaux eft correct; celui de Racine & de Quinaut eft élégant. » L'élégance confifte (dit l'Auteur des »Synonymes François) dans un tour » de penfée noble & poli, rendu par » des expreffions châtiées, coulantes » & gracicufes à l'oreille. Difons mieux; c'est la réunion de toutes les

graces du ftyle, & c'eft par-là qu'un ouvrage relu fans ceffe eft fans ceffe nouveau. Mais les gracès du ftyle, dépendent fur tout de fes mouvemens, & nous n'en fommes pas ens core là. Suivons le fil de nos idées.

La longueur & la moleffe du ftyle font les écueils voifins de l'élégance, & parmi ceux qui la recherchent, il en eft peu qui les évitent: pour donner de l'aiffance à l'expreffion, ils la rendent lâche & diffufe; leur ftyle eft poli, mais efféminé. La premiere caufe de cette foibleffe eft dans la maniere de concevoir & de fentir, Tout ce qu'on peut exiger de l'élégan→ ce, c'eft de ne pas énerver le fentiment ou la pensée; mais on ne doit pas s'attendre qu'elle donne de la chaleur ou de la force à ce qui n'en a pas.

La vérité, le naturel, la décence du ftyle, font des qualités rélatives & qui font partie de l'imitation.

La vérité confifte à faire parler à chacun fon langage; le naturel, à dire ou à faire dire ce qui femble avoir du fe présenter d'abord fans étude & fans réflexion; la décence, à dire les chofes comme il convient

& à celui qui parle & à ceux qui l'écoutent.

Le point effentiel & difficile eft de concilier l'élégance avec le naturel, la vérité avec la décence. L'élégance fuppofe le choix de l'expreffion, or le moyen de choifir quand l'expreffion naturelle eft unique? le moyen d'accorder cette vérité, ce naturel, avec toutes les convenances des moeurs, de l'ufage & du goût; avec ces idées factices de bienféance & de nobleffe, qui varient d'un fiécle à l'autre, & qui font loi dans tous les tems? Comment faire parler naturellement un villageois, un homme du peuple, fans bleffer la délicateffe d'un monde p poli, cultivé?

C'eft-là, fans doute, une des plus grandes difficultés de l'Art, & peu de Poeme ont fçu la vaincre. Toutefois il y en a deux moyens; le choix ades idée & des chofes, & le talent de placer les mots. Le ftyle n'est le plus fouvent bas & commun que par les idées. Dire comme tout le monde ce que tout le monde a penfé, ce n'est pas la peine d'écrire; vouloir dire des cchofes communes d'une façon nouvelle & qui n'appartienne qu'à nous, c'est

courir le rifque d'être précieux, affecté, peut naturel; dire des chofes que nous avons tous cofufément dans l'ame, mais que perfonne encore n'a pris foin de démêler, d'exprimer, de placer à propos : les dire dans les termes les plus fimples, & en apparence les -moins recherchés, c'eft le moyen d'être à la fois naturel & ingénieux Le fage eft ménager du tems & des paroles. Qui ne l'eût pas dit comme Lafontaine? qui n'eût pas dit comme lui,

Qu'un ami véritable eft une douce chofe Qu'il cherche nos befoins au fond de notre cœur ?

ou plutôt qui l'eût dit avec cette vérité fi touchante anotollab strefold

Le moyen le plus sûr d'avoir un ftyle. à foi, ce feroit de s'exprimer comme la Nature, & le Poete que je -vienside citar en eft la preuve & lexemple; mais file vrai, feul eft aimable, il faut avouer, qu'il ne l'eft pas toujours. Il est donc important de choifir dans la Nature des détails dignes de plaire, & dont l'expreffion naïve & fimple n'ait rien de groffier ni de bas par exemple, tout ce qu'on peint des moeurs des villageois doit être

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