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Le critique auroit pu fe fouvenir que cette même idée eft rendue auffi dans Quinaut par une image affez belle.

Faites grace à mon âge en faveur de ma gloire :

La vieilleffe fied bien fur un front couronné, Lorfqu'on y voit briller l'éclat de la victoire.

Il auroit pu fe rappeller auffi que dans les chofes dont l'expreffion fimple n'eft pas affez relevée, Quinaut fait, comme Racine, employer le ftyle figuré. Quant aux chofes de fentiment, il me feroit facile de prouver par l'exemple de Racine lui-même qu'elles n'en font que plus touchantes dans leur noble fimplicité. Il en eft de la fierté, de l'élévation des fentimens comme du pathétique : l'expreffion qui les peint leur fuffit; & ce que difent ces vers,

Je fais Roi, belle Princeffe,
Et Roi victorieux,

n'avoit pas plus befoin d'être relevé par une image, que ce vers d'Agrippine à Burrhus,

Moi fille, femme, foeur & mere de vos maîtres. Je ne conçois pas même comment M. Racine le fils reproche au ftyle de Quinaut d'être dénué d'images, lui D 2

qui en citant un morceau d'Andromaque comme un modéle du ftyle tragique, a fait cette réflexion en éloge:

On ne trouve dans ces vers ni ima»ges, ni figures, ni épithetes: les expreffions y font auffi naturelles » que les fentimens; la rime feule les diftingue de la profe; & cepen» dant ils font toujours nobles & har>> monieux ». Il eût été fi jufte & fi naturel de louer de même les vers de Quinaut !

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Jules Scaliger compare les ornemens du ftyle à l'armure d'un foldat, à la robe d'un Sénateur & à un habit de fête, mais tout cela eft inutile lorf qu'on veut peindre Hercule ou Vénus: jentends par-la, une penfée qui porte avec elle fa force ou fa grace,

ou

Il y a donc une abondance ftérile à éviter en écrivant : elle confifte à fe répandre en détails & en ornemens fuperflus, à tourner en divers fens la même idée afin qu'elle femble fe multiplier; au-lieu que l'abondance réelle confifte dans l'affluence ménagée & la fage diftribution des termes affortis à l'idée, au fentiment à l'image que l'on doit rendre.

La richeffe du style en est l'abou

dance unie à l'éclat on la reconnoît à la pompe & à la nobleffe des détails; mais il faut diftinguer encore une richeffe fuperficielle & une richeffe de fond.

L'une eft dans le choix des images qui éclattent le plus à la vûe comme quand on dit, l'or des moif fons, l'émail des prairies, la pourpre des côteaux, les campagnes d'azur, des perles de rofée, des diamans liquides, &c. cette richeffe éblouit trop fouvent les jeunes Poetes. Repandue avec profufion elle perd beaucoup de fon prix. Il faut en ufer avec fobriété, fur-tout ne pas fe perfuader que cela feul fort de la Poefie.

L'autre confifte dans le nombre des idées qu'un feul mot reveille, dans le rapports qu'il embraffe, dans l'im portance & la grandeur des objets qu'il rappelle à l'efprit. Virgile, après avoir préfenté dans les champs Élifées l'affemblée des gens de bien, fait d'un feul trait l'éloge de Caton difant qu'il y préfide.

His dantem jura Catonem.

Dans la Henriade, l'union des deux puiffances dans les mains du fouve

rain Pontife & ce que l'une communique à l'autre d'impofant & de redoutable, eft exprimé en deux mots.

Le trône eft fur l'autel.

L'expreffion eft riche, lorfque dans une feule image elle réunit plufieurs qualités de l'objet qu'elle veut peindre: un fceptre d'airain, par exemple; annonce l'inflexibilité de l'ame d'un tyran & le poids accablant de fon regne; un cœur de marbre nous préfente la froideur & la dureté ;

ame de feu raffemble la chaleur, l'activité, la rapidité, l'élévation des fentimens & des idées; dans les rofes de ta jeunese on voit la fraîcheur, l'éclat, l'agrément, le peu de durée de ce bel âge. L'expreffion eft plus riche encore lorfqu'elle fait tableau: ainfi pour peindre la mort du jufte, Lafontaine ne dit que deux mots, mais ils font

fublimes:

Rien ne trouble fa fin: c'eft le foir d'un beau jour.

Geffner appelle le printems le gratieux matin de l'année. En général la fécondité de l'expreffion en fait la richeffe plus elle donne à penfer, à maginer, plus elle eft riche.

La richeffe devient magnificence

dans les grandes chofes, comme dans cette image de David. » L'Eternel » abaiffera les Cieux; il defcendra; un » nuage épais lui fervira de marche» pied; affis fur un Chérubin, il pren» dra fon effor: fon vol furpaffera la » rapidité des vents ». Et dans celui du même Prophête: „, L'Eternel a pla» cé au milieu des Cieux le pavillon » du foleil; & cet aftre brillant, tel qu'un époux qui fort de fon lit nup. » tial, s'élance plein de joie pour par» courir à pas de géant fa carrière. Dans le Poeme de Milton, le chef des légions infernales éleve fon front au-deffus de l'abîme fon front (dit »le Poete) cicatrifé par la foudre ». Dans l'Illiade, l'Olimpe ébranlé d'un mouvement du fourcil de Jupiter, eft le modèle de la magnificence.

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Le mot de Louis XIV:» Il n'y a » plus de Pyrennées », eft digne d'être placé parmi ces exemples d'une expreffion magnifique.

La richeffe eft de tous les ftyles; la magnificence n'eft pas du ftyle héroïque dans l'enthoufiafme, ou dans la Peinture du merveilleux.

Le Poete eft quelquefois magnifique dans les petites chofes, mais en b'a

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