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» voie tu as pû pénétrer ici-bas; mais « à ton langage je te crois Floren» tin. Le nom du Comte Ugolin ne « t'est pas inconnu. Je fuis ce mal» heureux, & voilà l'Archevêque » Roger.

» Il me refte à t'apprendre pourquoi je le tourmente ainfi. Je lui don» nai ma confiance, & victime de fa » méchanceté, j'en fus trahi, je mou» rus tu le fais fans doute; 'mais ce » que tu ne fais pas, c'eft combien » ma mort fut cruelle. Tu l'apprendras, » & tu frémiras de fon crime.

» Une étroite ouverture éclairoit le » cachot, qui a retenu depuis ma mort » le nom de Cachot de la faim, & dans lequel on aura fans doute fait périr » d'autres infortunés.

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» Plufieurs lunes m'avoient éclairé » déjà, lorfque je fis un fonge affreux, » qui fembla déchirer à mes yeux le » voile de l'avenir.... Je m'eveillai; le » jour ne paroiffoit point encore; j'en> tendis autour de moi mes enfans qui » pleuroient en dormant, & qui de» mandoient du pain.

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>> Ah que tu es cruel fi tu ne frémis » pas du preffentiment dont je fus frap» pé! qui pourra jamais t'attendrir, fi

» tu m'entends fans verfer des larmes! » Nous nous étions tous éveillés ; » l'heure où l'on devoit nous donner à » manger s'approchoit.

» Les fonges qui m'avoient agité me » glaçoient de crainte.... Dieu!j'enten>>>>dis murer la porte du cachot. Je fi» xai tout-à-coup mes regards fur le » vifage de mes enfans. Immobile & » muet, je ne verfois pas une larme: j'étois pétrifié.

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»Pour mes fils, ils pleuroient, & » mon pere Anfelme me dit: Comme » vous nous regardez, mon pere! ah « qu'avez-vous? Je ne pleure point » encore, je paffai le jour entier, je » paffai la nuit fans prendre de repos. » A peine les premiers rayons dujour » pénétroient dans mon cachot, que » je vis tout-à-la-fois fur le vifage de » mes quatre enfans l'image de la mort » qui me menaçoit.

»Je céde à la douleur, je me mords » les deux mains ; & dans 1 instant mê» me mes enfans qui prirent ma rage » pour l'effet d'une faim preffante, fe » Ïévèrent & me dirent: Mon pere, » que ne nous manges-tu plutôt? c'est » toi qui nous as donné cette miférable chair; reprens-la,

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» Je me fis violence alors pour ne pas ", augmenter leurs peines. Ce jour & le fuivant nous reftâmes dans un affreux filence. Ah terre impitoyable, ,, que ne t'ouvrois-tu fous nos pas ?

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Le quatrieme jour arrive enfin. ,, Gaddi fe jette étendu à mes piés, & ,, me dit: Mon pere, tu ne peux donc ,, pas me fecourir? Il meurt;& du cin,,quieme au fixieme jour mes trois au,, tres enfans périrent l'un après l'au,, tre fous mes yeux.

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J'avois moi-même déjà prefque ,, perdu le fentiment & la lumière je me roulois fur leur corps que j'em,, braffois, & trois jours après leur ,, mort, je les appellois encore. La faim eut plus de puiffance que la douleur ; j'expirai.

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En difant ces mots, les yeux enflammés de fureur, il fe jette fur le crâne fanglant, & il le ronge de ,, nouveau, femblable à un chien affamé qui dévore les os d'un cadavre.

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La même fituation fe préfente encore fous un nouvel afpect, dans les circonstances épouvantables de l'embrafement du vaiffeau le Prince. On y voit quelques malheureux échappés aux

flammes, fur une barque à la merci des flots, partageant avec une équité religieufe le peu d'alimens qu'ils ont pû fauver; mais bientôt pâles, exténués, défaillans, confumés par la faim, s'obferver l'un l'autre d'un œil défiant & avide, impatiens de dévorer le premier qui fuccombera Ainfi le physique & le moral combinés produifent des variétés fans nombre ; & la Nature dans le gracieux, n'est pas moins féconde que dans le pathétique.

Les contrastes ont le double avantage de varier & d'animer la defcription. Non-feulement deux tableaux oppofés de ton & de couleur fe font valoir l'un l'autre; mais dans le même tableau, ce mélange d'ombre & de lumière détache les objets & les relève avec plus d'éclat.

Dans la peinture que je viens de rappeller, de la famine horrible ou Paris affiégé fut réduit; voyez lorfqu'Henri veut fauver fon peuple & qu'il lui fait donner du pain, voyez, dis-je, l'effet des contraftes réunis dans un même tableau:

Ils voyoient devant eux ces piques formidables,

Ces traits, ces inftrumens des cruautés du fort,

Ces lances qui toûjours avoient porté la mort,
Secondant de Henri la généreufe envie,
Au bout d'un fer fanglant leur apporter la vie.
Obfervez dans la même defcription
l'effet des tableaux oppofés.

Ce n'étoient plus ces jeux, ces feftins & ces fêtes,

Où de myrthe & de rofe ils couronnoient leurs

têtes

Où parmi cent plaifirs, toûjours trop peu goû

tés,

Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,

Sous des lambris dorés, qu'habite la moleffe,
De leur goût dédaigneux irritoient la pareffe.
On vit avec effroi tous ces volupteux,
Pâles défigurés & la mort dans les yeux,
Périffant de misère au fein de l'opulence,
Detefter de leurs biens l'inutile abondance.

Combien, dans la peinture qu'a fait le Taffe de la fechereffe brûlante qui confume le camp de Godefroi, le tourment de la foif, & la pitié qu'il infpire, s'accroiffent par le fouvenir des ruiffeaux, des claires fontaines dont on a quitté les bords délicieux !

S'alcun giamai tra frondeggianti rive;
Puro vide flagnar liquido argento;

O giù precipitofe irracque vive,

per Alpe, o'n piaggia erbofa à passo lento;

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