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fait fimple & connu. Les fujets pris dans ces tems-là reçoivent donc la Mythologie; mais il n'eft pas permis de la tranfplanter; & s'il s'agit de Thémistocle ou de Socrate, elle n'a plus lieu. Il en eft de même des fujets pris dans l'histoire du Latium ; Enée, Jule, Romulus lui-même est dans le systême du merveilleux; après cette époque l'Hiftoire eft plus févère & n'admet que la vérité.

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Ce que je dis de la Fable, doit s'appliquer à la Magie : il n'y a que les fujets pris dans les tems où l'on croyoit aux enchanteurs qui s'accommodent de ce fyftême. Il convenoit à la Jérufalem délivrée; il n'eût pas convemu à la Henriade. Lucain s'eft conduit en homme confommé, lorfqu'il a banni de fon poëme le merveilleux de la fable. Si l'on eût vû l'Olimpe divifé entre Pompée & Céfar, comme entre les Grecs & les Troyens, cela n'eût fait aucune illufion. Il feroit encore plus ridicule aujourd'hui de mettre en fcène les dieux d'Homere dans les révolutions d'Angleterre ou de Suède. Mais combien plus choquant eft le mêlange des deux fyftêmes tel -qu'on le voit dans la plupart des poě

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tes Italiens? N'eft-il pas infenfé de faire prédire à Vénus par Jupiter la grandeur des Pontifes Romains, comme le Bolognetto l'a fait dans fon poëme? Les peintres & les fculpteurs ont imité les poètes dans ces difparates abfurdes. On voit dans la Chapelle des Célestins à Paris, un beau Maufolée fait par Germain Pilon, compofé d'un groupe des trois Graces: l'idée de ce monument eft ingénieuse, mais il eft déplacé. Il n'y a plus de merveilleux abfolu pour les fujets moder nes que celui de la religion : & je crois avoir fait fentir combien l'ufage en eft difficile.

Comme la féerie n'a jamais été reçûe, elle ne peut jamais être férieusement employée; mais elle aura lieu dans un poëme badin. Il en eft de mème du merveilleux de l'apologue, dont je parlerai en fon lieu Toutefois il y a dans les moeurs & les actions des animaux des traits qui tiennent du prodige, & qui ne font pas indignes de la majefté de l'Epopée. On en cite dəs exemples de fidélité, de reconnoiffance, d'amitié, qui font pour nous de touchantes leçons. Le chien d'Héfiode qui accufe & convainc Ganitor d'aTome I.

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voir affaffiné fon maître; celui qui découvre à Pyrrhus les meurtriers du fien; celui d'Alexandre, auquel on préfente un cerf pour le combattre, puis un fanglier, puis un ours, & qui ne daigne pas quitter fa place; mais qui voyant paroître un lion, fe lève pour l'attaquer, » montrant manifef»tement (dit Montagne) qu'il décla» roit celui-là feul digne d'entrer en » combat avec lui; » le lion qui reconnoît dans l'arène l'efclave Endrodus qui l'avoit guéri, ce lion qui leche la main de fon bienfaiteur, s'attache à lui, le fuit dans Rome & fait dire au peuple qui le couvre de fleurs, voilà le lion hôte de l'homme, voilà l'homme médecin du lion; ce qu'on attefte des éléphans; ce qu'on a vu du lion de Chantilli; ce que tout le mon→ de fait de l'instinct belliqueux des chevaux; enfin ce qui fe paffe fous nos yeux dans le commerce de l'homme avec les animaux qui lui font foumis, donneroit lieu, ce me femble, au merveilleux le plus fenfible fi on l'employoit avec goût.

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Á l'égard de l'allégorie, comme elle n'eft pas donnée pour une vérité abfolue & pofitive, mais pour le fymbo

le & le voile de la vérité, fi elle est claire, ingénieufe & décente, elle est parfaite. Mais il faut avoir foin qu'elle ne tienne à aucun fyftême, fi ce n'est à celui qu'on a pris. On peut par-tout divinifer la paix, mais cette idée charmante qui en eft le fymbole (les colombes de Vénus faifant leur nid dans le cafque de Mars) feroit indécente dans un fujet pieux. L'allégorie des paffions, des vices, des vertus, &c. eft reçûe dans l'Epopée, quel que foit le tems & le lieu de l'action : elle eft. auffi admise fur la fcène lyrique; mais l'austérité de la Tragédie ne permet plus de l'y employer. Efchyle introduit en perfonne la force & la néceffité; le théâtre François n'admet rien de femblable.

Mais foit en récit, foit en scène, l'allégorie ne doit être qu'accidentelle & paffagere, & fur-tout ne jamais prendre la place de la paffion, à moins que le poëte, par des raifons de bienféance, ne foit obligé de jetter ce voile fur fes peintures. L'Auteur de la Henriade a employé cet artifice; mais Homère & Virgile fe font bien gardés de faire des allégoriques que la colère d'Achille & de l'amour de Didon, Le

mieux eft de peindre la paffion toute nue & par fes effets, comme dans la Tragédie. Toutes les fois que la Nature eft touchante & paffionnée, le merveilleux eft au moins fuperflu. C'eft dans le moment tranquille qu'on l'emploie avec avantage. If remue l'ame par la furprise ; & quoique ce foit le plus

foible de tous les refforts du cœur humain; il nous eft cher, par l'émotion qu'il nous caufe.

Les règles de l'allégorie font les mêmes que celles de l'image. Il eft inutile de les répéter. Quant aux modèles je n'en connoîs pas de plus parfaits que l'épisode de la molleffe dans le Lutrin &l'évocation de la haine dans l'Opéra d'Armide. Celle-ci fur-tout eft d'autant plus belle qu'en laiffant d'un côté, à la vérité fimple tout ce qu'elle a de pathétique, de l'autre elle fe faifit d'une idée abftraite qui nous feroit échappée, & dont elle fait un tableau frappant. Je vais tâcher de me faire entendre. Armide aime Renauld & défire de le haïr. Ainfi dans l'ame d'Armíde l'amour eft en réalité, & la haine n'eft qu'en idée. On ne par le point le langage d'une paffion que l'on ne fent pas le poéte, au natu

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