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affez de le voir, il falloit être un autre lui-même; & c'eft pour n'avoir pas été dans cette pleine illufion, qu'il lui a fait tenir un langage peu naturel.

?

Quelques Auteurs ont fait confifter l'effence de la Poëfie dans l'enthousiafme, c'eft prendre la caufe pour l'effet. Il eft certain qu'il n'y a pas d'imitation vive & fidele fi le Poëte n'eft pas dans l'illusion, c'est-à-dire, s'il ne croit pas voir ce qu'il peint, s'il ne fent pas ce qu'il exprime, mais dans les peintures douces & riantes, l'illufion du Poëte n'eft rien moins que cette alienation d'efprit qu'on appelle enthoufiafme Celle-ci eft réfervée aux fujets qui emportent l'ame hors d'elle-même, & dans lefquels, pour rendre la nature, il faut ne plus fe pofféder, encore ferai-je voir en traitant de l'Ode, qu'alors même le délire poëtique eft fou mis aux loix du bon fens & au principe rigoureux de la vérité relative. Il me fuffit ici d'avoir indiqué en quoi il confifte, & de quelle faculté de l'ame il dépend.fol

Un don qui n'eft pas moins effentiel au Poëte que ceux de l'efprit & de l'ame, c'eft une oreille délicate & jufte. Celui à qui le fentiment de l'harmo

nie eft inconmi, doit renoncer à la Poëfie, mais cear démande un détail où je me propofe d'entrer en traitant des qualités du style,

Le goût femble auffi devoir être mis au nombre des talens du Poëte; mais ce qu'il y a de naturel ne différe point de la fagacité de l'efprit & de la fenfibilité de l'ame; & ce qu'il y a d'artificiel & d'acquis eft le fruit de l'étude & de l'expérience.

CHAPITRE III.

Des Etudes du Poëte.

E Poëte doit connoître fon Art, Lfer tales, les coupons, for Art? fes talens, fes moyens, les inftrumens dont il fe fert, & les matériaux qu'il emploie.

L'étude de l'Art à deux branches, les préceptes & les modeles. J'ai tâ ché de donner une idée de la Poëfie, je vais effayer d'en recueillir & d'en expofer les préceptes. Mon-deffein eft d'oter aux regles connues ce qu'elles peuvent avoir de capricieux & de genânt pour le génie, & de les rendre affez claires, affez conftantes, pour

mériter la comparaifon qu'en fait le Taffe avec les étoiles qui conduisent les matelots. * E poffono in qualche modo fchifare l'inconftanza delle maritime cofe, con la conftenza delle celefti. Quant aux modeles, j'aurai foin d'indiquer dans le cours de mes réflexions ceux que l'on doit confulter & fuivre.

Après avoir bien connu les principes de l'Art & les facultés qu'il exige, il faut s'étudier, fe confulter foimême. Si l'imagination fe frappe, fi le cœur s'affecte aifément, s'il y a de l'une à l'autre une correfpondance mu tuelle & rapide; fi l'oreille a pour le nombre & l'harmonie une délicate fenfibilité; fi l'on eft vivement touché de la beauté de la Poëfie; fi l'ame échauffée à la vue des grands modeles, fe fent élever au-deffus d'ellemême par une noble émulation; fi, dès qu'on a conçu l'idée effentielle & primitive d'un fujet, on la voit au-dedans de foi-même fe développer, fe colorer, s'animer, & devenir féconde; fi l'on éprouve ce befoin, cette impatience de produire qui vient de l'abondance & de la fermentation des

Difc. del. P. heroi, L. III.

efprits; fi l'on faifit facilement le rapport des idées abftraites avec les objets fenfibles dont elles peuvent revêtir les couleurs, ou plutôt fi ces idées naiffent dans l'efprit revêtues de ces images; fi les objets fe préfentent d'euxmêmes fous la face la plus intéressante, la plus favorable à la peinture; on peut fe croire né Poëte & fe livrer aux études relatives à ce talent.

Huic Mufa indulgent omnes, hunc pofcit Appollo (a].

Vida.

A moins de ces difpofitions naturelles, on fera peut-être des vers pleins d'efprit, mais dénués de Poëfie.

A l'étude de ces moyens perfonnels doit fuccéder celle des moyens étrangers. L'inftrument de la Poëfie, c'eft la langue, & fi tout homme qui fe mêle d'écrire doit commencer par bien connoître les principes, le génie & les reffources de la langue dans laquelle il écrit, cette connoiffance eft encore plus effentielle au Poëte, dans les mains duquel la langue doit avoir la docilité de la cire à prendre la forme qu'il veut

(4) C'eft lui que les Mufes careffent.
C'eft lui que demande Appollon,

lui

lui donner. Les variations, les nuances du ftyle font infinies, & leurs degrés inaprétiables. Le goût, ce fentiment délicat de ce qui doit plaire ou déplaire, eft feul capable de les faifir. Or le goût ne s'enfeigne point; il s'ac quiert par l'ufage fréquent du monde, par l'étude affidue & méditée du petit nombre des bons Ecrivains encore fuppofe-t-il une fineffe de perceptions qui n'eft pas donnée à tous les hommes. Je tâcherai dans la fuite de développer, autant qu'il eft en moi, le méchanisme du style, & d'indiquer ce qu'il a de relatif à l'efprit, au fentiment, à l'oreille, mais je préviens que fans le talent, ces fpéculations ne peu vent faire qu'un ftérile & foible Ecrivain. Un peintre doit connoître fes couleurs; mais favoir les broyer, ce n'eft pas favoir peindre.

La Nature fournit les matériaux de la Poëfie: c'eft donc la nature qu'il faut étudier ; & l'objet le plus inté reffant qu'elle préfente à l'homme c'est l'homme même. Mais dans l'hom me il y a l'étude de la Nature, celle de l'habitude & de la Nature combinées, ou, fi l'on veut, de la Nature modifiée par les mœurs,

Tome I..b

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