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ait fait voir; mais de bonne foi, les a-t-il entendus ou fait entendre? On a dit auffi que Jupiter étoit defcendu fur la terre pour fe faire voir à Phidias ou que Phidias étoit monté au ciel pour voir Jupiter. Cette hiperbole a fa vérité: l'on conçoit comment F'Artifte; par le caractère majeftueux qu'il avoit donné à fa ftatue, pouvoit avoir obtenu cet éloge; mais le phy fique eft tout pour le Statuaire, & n'eft rien pour le Poéte, s'il n'eft d'accord avec le moral. Cet accord, s'il étoit parfait, feroit la merveille du génie; mais il eft inutile d'y prétendre l'homme n'a que des moyens humains: La divinita non puo da lui effere imitata.

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Il faut même avouer, & je l'ai déjà fait entendre, que fi par impoffible il y avoit un génie capable d'élever les dieux au-deffus des hommes il les peindroit pour lui feul. Si, par exemple. Homère eût rempli le vœu de Cicéron: Humana ad deos tranftulit, divina malem ad nos le tableau de l'Iliade feroit fublime, mais il manqueroit de fpectateurs. Nous ne nous attachons aux êtres furnaturels que

Le Taffe.

par les mêmes liens qui les attachent à notre nature. Des dieux d'une fagef fe inaltérable, d'une tonftante égalité, d'une impaffibilité parfaite, nous toucheroient auffi peu que des ftatues de marbre. Il faut pour nous intéreffer que Neptune s'irrite, que Vénus fe plaigne, que Mars, Minerve, Junon fe mêlent de nos querelles & fe paffionent comme nous. Il est donc impoffible à tous égards d'imaginer des dieux qui ne foient pas hommes. Mais ce qui n'eft pas impoffible, c'eft de leur donner plus d'élévation dans les fentimens, plus de dignité dans le langage, que n'ont fait la plupart des Poétes. Ce que dit Satan au foleil dans le Poëme de Milton, ce que Neptune doit aux vents dans l'Enéide, voilà fes modéles du merveilleux. La bonne façon d'employer ces perfonnages, c'eft de les faire agir beaucoup & parler peu. Le dramatique eft leur écueuil, auffi les a-ton prefque bannis de la Tragédie. Le marveilleux n'y eft guére admis qu'en idée & hors de la fable feulement. Si quelquefois on y fait voir des fpectres ils ne difent que quelques mots & difparoiffent à l'inftant. Dans la Tra

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gédie de Macbeth, après que ce fcélérat a affaffiné fon Roi, un spectre fe préfente & lui dit: Tu ne dormiras plus. Quoi de plus fimple & de plus terrible?

La grande difficulté eft d'employer avec décence un merveilleux, qu'il n'eft pas permis d'altérer comme celui de la religion. Il eft abfurde & scandaleux de donner aux êtres furnaturels qu'on révère les vices de l'humanité. Si donc, par exemple, on introduit dans un Poëme les Anges, les Saints, les perfonnes divines, ce ne doit être qu'en paffant & avec une extrême referve. On ne peut tirer de leur entremise aucune action paffionnée. Le S. Michel de Raphaël eft l'exemple de ce que je veux dire. Il terraffe le dragon, mais avec un front inaltérable, & la férérité de ce vifage céleste eft l'image des moeurs qu'on doit fuivre dans cette espèce de merveilleux. Auffi dès que la fcéne du Poëme de Milton eft dans le ciel, fa fiction devient abfurde & ne fait plus d'illufion. Des efprits impaffibles & purs ne peu vent avoir rien de pathétique. Le champ libre & vafte de la fiction eft donc la Nitologie la magie, la Féeris

dont on peut fe jouer à fon gré. J'ai dit que l'impoffibilité d'expliquer naturellement les phenoménes phyfiques à réduit la Philofophie à l'invention du merveilleux. On a fait de toutes les caufes des intelligences actives, & plus ou moins puiffantes, felon leurs grades & leurs emplois. Les élemens en ont été peuplés; la lumiere, le feu, l'air & l'eau ; les vents, les orages, tous les méthéores; les bois, les Heuves, les campagnes, les moiffons, les fleurs & les fruits ont eu leurs divinités particuliéres. Au-lieu de chercher, par exemple, comment la foudre s'allumoit dans la nue, & d'où venoient les vagues d'air dont l'impulfion bouleverfe les flots; on a dit qu'il y avoit un dieu qui lançoit le tonnerre, un dieu qui déchaînoit les vents, un dieu qui foulevoit les mers. Cette Phyfique, peu fatisfaifante pour la raifon, flattoit le peuple amoureux des prodiges; auffi fut-elle érigée en culte, & après avoir perdu fon autorité, elle conferve encore tous fes charmes.

La Morale eut fon merveilleux comme la Phyfique, & le feul dogme des peines & des récompenfes dans l'autre

vie, donna naiffance à une foule de nouvelles divinités. Il avoit déjà fallu conftruire audelà des limites de la Nature, un palais pour les dieux des vivans; on affigna de même un empire aux dieux des morts, & des demeures aux manes. Les dieux du ciel & les dieux des enfers n'étoient que des hommes plus grands que nature; leur féjour ne pouvoit être auffi qu'une image des lieux que nous habitons. On eut beau vouloir varier; le ciel & l'enfer n'offrirent jamais que ce qu'on voyoit fur la terre. L'Olimpe fut un palais radieux, le Tartare un cachot profond, l'Elifée une campagne riante.

Largior hic campos æther & lumine veftit Purpureo; folemque fuum, fua fidera norunt. (Eneid. L. 6.)

Le ciel fut embelli par une volupté pure & par une paix inaltérable. Des concerts, des feftins ( a ), des amours, tout ce qui flatte les fens de l'homme fut le partage des immortels. Le cal

(a) Lorfque Platon veut nous peindre les plaifirs céleftes dont jouiffent les ames, avant de tomber ici-bas dans les corps, elles fuivent, dit-il, le char de Jupiter lorfqu'il fe rend au banquet des Dieux, & fur leur route font dreffées des tables où l'abroifie & le nectar abondent.

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