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dre avec agrément, nous fait donc un plaifir nouveau; & pour nous caufer une douce furprise; ce vrai n'a befoin d'aucun mêlange de grandeur ni de merveilleux. Dans le fait, fi M. Racine le fils exclut de la Poefie les chofes com munes & fimplement décrites, qu'eftcę donc à fon avis, que les détails qui nous charment dans les Géorgiques de Virgile? Y a-t-il rien de plus commun dans la Nature, & de plus fimplement exprimé? Lorfqu'un des Bergers de Théocrite ôte une épine du pied de fon compagnon, & lui confeille de ne plus aller nuds pieds, ce tableau ne nous fait aucun plaifir, je l'avoue; mais eft-ce à caufe de fa fimplicité? Non c'eft qu'il ne réveille en nous aucune idée aucun fentiment qui nous plaife. L'Idile de Gefner, où un Berger trouve fon pere endormi, n'a rien que de très-fimple; & cependant elle nous plaît, parce qu'elle nous attendrit. Ce n'eft point une Nature prife de loin, c'eft la piété d'un fils pour un pere, & heureufement rien n'eft plus commun. Lorfqu'un des Bergers de Virgile dit à fon troupeau Ite, mea, felix quondam pecus, ite capella: Non ego vos pofthac, viridi projectus in antro

Dummosa pendere procul de rupe videbo. ces vers, le plus parfait modèle du ftyle paftoral, nous font un plaifir fenfible, & cependant où en est le merveilleux? C'est le naturel le plus pur; mais ce naturel eft intéreffant, & la fimplicité même en fait le charme.

Le vrai fimple n'a donc pas toujours befoin d'être relevé, ennobli par les circonftances & par des beautés prifes çà & là. Mais en le fuppofant, au moins faut-il favoir à quel caractere les diftinguer pour les recueillir; & cette Nature idéale eft un labyrinthe dont Socrate lui feul nous a donné le fil. » Penfez-vous (difoit-il à Alcibia» de) que ce qui eft bon ne foit pas » beau n'avez-vous pas remarqué que » ces qualités fe confondent? Laver» tu eft belle dans le même fens qu'elle » eft bonne.... La beauté des corps » réfulte auffi de cette forme qui conf»titue leur bonté ; & dans toutes les » circonftances de la vie le même ob»jet eft conftamment regardé comme » beau & bon, lorfqu'il eft tel que » l'exige fa deftination & fon ufage. Voilà précisément le point de réunion de la bonté & de la beauté poétique; le parfait accord du moyen qu'on em

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ploie. Or les vûes dans lefquelles opè.re la Poéfie ne font pas celles de la Nature: la bonté, la beauté poétique n'eft donc pas la bonté, la beauté naturelle. Ce qui même eft beau pour un Art peut ne l'être pas pour les autres: la beauté du Peintre ou du Statuaire, peut être ou n'être pas celle du Poéte, & réciproquement, felon l'effet qu'ils veulent produire. Enfin, ce qui fait beauté dans un poëme, ou dans tel endroit du poëme, devient un défaut, même en Poëfie, dès qu'on le déplace, & qu on emploie mal-à-propos. Il ne fuffit donc pas, il n'eft pas même befoin qu'une chofe foit belle dans la Nature, pour qu'elle foit belle en Poëfie; il faut qu'elle foit telle l'exige l'effet que l'on veut opérer. La Nature foit dans le phyfique, foit dans le moral, eft pour le Poéte comme la palette du peintre fur laquelle il n'y a point de laides couleurs. LE RAPPORT DES OBJETS AVEC NOUSMEMES, voilà le principe de la Poéfie. L'INTENTION DU POETE, voilà fa règle, & l'abrégé de toutes les règles. Il n'eft pas bien mal-aifé (me dirat-on) de favoir l'effet que l'on veut ,, opérer; mais le difficile eft d'en in

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venter d'en faifir les moyens. » Je l'avoue: auffi le talent ne fe donneteil pas. Démêler dans la Nature les traits dignes d'être imités, prévoir l'effet qu'ils, doivent produire, le fruit d'une longue étude, les recueillir, les avoir prefens, c'eft le don d'une imagination-vive; les choifir, les placer à propos, c'eft l'avantage d'une raifon faine & d'un fentiment délicat. Je traite ici de l'art & non pas du génie ; or, toute la théorie de l'art fe réduit: à favoir quel eft le but où on veut atteindre, & quelle eft dans la Nature la route qui nous y conduit. Avec le moins obtenir le plus; c'eft le princi pe des beaux Arts, comme celui des Arts méchaniques.

L'intention immédiate du Poéte eft de plaire & d'intéreffer en imitant : or il y a deux fortes de plaifir & d'intérêt à diftinguer ici, celui de l'art & celui de la chofe; & l'un & l'autre fe réduisent à l'intérêt perfonnel. L'art nous attache, ou par le plaifir de nous trouver nous-mêmes affez éclairés affez fenfibles pour en faifir les fineffes, pour en admirer les beautés; ou par le plaifir de voir dans nos femblables ces talens; cette ame, ce gé

nie qui reproduifent la Nature par le preftige de l'imitation. Ce plaifir augmente à mesure que l'art préfente plus de difficultés & fuppofe plus de talens. Mais il s'affoibliroit bien-tôt s'il n'étoit pas foutenu par l'intérêt de la chofe; & il faut avouer qu'il eft trop léger pour valoir la peine qu'il donne. Le Poéte aura donc foin de choisir des fujets, qui par leur agrément ou leur utilité, foient dignes d'exercer fon génie; fans quoi l'abus du talent changeroit en un froid dédain ce premier mouvement de furprife & d'admiration , que la difficulté vaincue auroit caufé.

L'intérêt de la chofe n'eft pas moins relatif à l'amour de nous-mêmes, que l'intérêt de l'art; foit que la Poéfie prenne pour objet des êtres comme nous, doués d'intelligence & de fentiment, ou des êtres fans vie & fans ame. Il eft feulement plus ou moins vif, felon que le rapport qu'il fuppofe de l'objet à nous, eft plus ou moins direct & fenfible.

Le rapport des objets avec nousmêmes eft de reffemblance ou d'influence de reffemblance, par les qualités qui les rapprochent de notre con

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