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il faut une imagination vive & rien de plus pour les peindre il fuffit de favoir manier la langue, qui eft à la fois le pinceau & la planette de la Poëfie. Mais il y a des détails d'une nature mobile & changeante, dont le modèle ne tient pas, l'Artiste alors eft obligé de peindre d'après le miroir de la penfée, & c'eft-là qu'il eft difficile de donner à l'imitation, cet air de vérité qui nous féduit & qui nous enchante. Auffi la Peinture & la Sculpture préfentent-elle la Nature en repos à la Nature en mouvement, & cependent elles n'ont jamais qu'un moment à faifir & à rendre ; au-lieu que la Poëfie doit pouvoir fuivre la Nature dans fes progrès les plus infenfibles, dans fes mouvemens les plus rapides, dans fes détours les plus fecrets. Virgile & Racine avoient fupérieurement ce génie inventeur des détails: Homere & Corneille poffédoient au plus haut degre le génie inventeur de l'ensemble. Mais un don plus rare que celui de l'invention, c'est celui du choix. La Nature eft préfente à tous les hommes & prefque la même à tous les yeux. Voir n'eft rien; difcerner c'est tout: & l'avantage de l'homme fupérieur fur

l'homme médiocre, eft de mieux faifir ce qui lui convient.

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CHAPITRE IX.

Du choix dans l'Imitation.

N ne ceffe de dire aux Arts, Imitez la belle Nature. Mais qu'eftce la belle Nature? eft-ce l'ordre, l'harmonie, les proportions qui nous font dire: Voilà un beau défert, un bel ora

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de belles ruines? La beauté confifte, dit-on, dans l'aptitude que donnent à un compofé l'ordre & l'accord de fes parties à remplir fa deftination: ainfi l'on définit, felon l'idée de Socrate, la beauté individuelle, la forme la plus favorable aux fonctions de l'être & à fon ufage. Mais cette beauté philofophique eft rélative à l ordre univerfel des chofes. Nous l'apper cevons par réflexion bien plus que par fentiment; & dans ce fens-là il est tout auffi raifonnable de dire tout eft beau, que de dire tout eft bien. Ce n'eft donc par ce qu'on doit entendre par la beauté poétique, & cette idée abftraite & vague ne fuffit pas pour éclairer le

choix du poëme dans l'imagination. L'Auteur du poëme fur l'Art de peindre, a fait voir que la belle Nature n'eft pas la même dans un Faune que dans un Apollon, & dans une Vénus que dans une Diane. En effet, l'idée du beau individuel varie fans ceffe, par la raison qu'elle n'eft point abfolue, & que tout ce qui dépend des rélations doit changer comme elles. Pour généralifer cette idée il a donc fallu l'étendre vaguement à tout ce qui eft tel qu'il doit être, Accedat apta difpofitio, & partium inter fe mutuus concentus. Mais quel eft cet accord de parties d'où réfulte la beauté de tout? C'eft ce qu'on laiffe à deviner. « La » qualité de l'objet n'y fait rien (dit » M. l'Abbé Lebateux) que ce foit une

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hydre, un avare, un faux dévot, un » Néron, dès qu'on les a préfentés » avec tous les traits qui peuvent leur » convenir, on a peint la belle Nature. Je veux le croire, & fans examiner fi. l'ame d'un Néron eft ce qu'on entend & ce qu'on doit entendre par la belle Nature, je demande feulement quels font les traits qui conviennent à un bel arbre ? pourquoi le Peintre Ifaac Voffius.

& le Poëte préférent le vieux chêne brifé par les vents, brifé, mutilé par la foudre, au jeune orme dont les rameaux forment un fi riant ombrage? pourquoi l'arbre déraciné qui couvre la terre de fes débris,

Spargendo a terra le fue fpoglie ocelfe,
Mouftrando a l'fol la fua fquallida fterpe.

Dante.

pourquoi cet arbre eft plus précieux au Peintre & au Poéte, que l'arbre qui dans fa vigueur fait l'ornement des bords qui l'ont vû naître ? M. Racine le fils diftingue dans l'imitation deux fortes de vrai, le fimple & l'idéal.

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L'un (dit-il) imite la Nature telle. » qu'elle eft, l'autre l'embellit. » Cela eft clair; mais il y ajoûte un vrai compofé, ce qui n'eft plus fi facile à entendre; car chacun des traits répandus dans la Nature étant le vrai fimple, & leur affemblage étant le vrai idéal, quel fera le vrai compofé, fi ce n'eft le vrai idéal lui-même : Un mendiant fe préfente à la porte d'Eumée, voilà le vrai fimple ; ce mendiant eft Ulyffe, voilà le vrai idéal ou compofé; ces deux termes font fynonimes. mais ne difputons pas fur les mots.

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» Le vrai idéal raffemble des beau

» tés que la Nature a difpofées. » Je le veux bien. Maintenant à quel figne les reconnoître ? où eft le beau ? où n'eft-il pas ? Voilà le nœud qu'il falloit dénouer.

L'idée de grandeur eft de merveilleux que M. R. attache au vrai idéal, & la néceffité dont il eft, dit-il, dans les fujets les plus fimples, ne nous éclaire pas davantage. Il pofe en principe, que le Poëte doit parler à l'ame & l'enlever; & il en conclut, qu'on ne doit pas employer le langage de la Poëfie à dire des chofes communes, Mais en fuppofant que le Poëte dut toujours parler à l'ame, feroit-il déci dé pour cela qu'il dût toujours l'enlever? dédaignera-t-elle les chofes communes dont le tableau fimple & naïf peut la toucher l'émouvoir doucement? Il y a des chofes qu'on eft las de voir, & dont l'imitation eft ufée; voilà celle qu'il eft bon d'éviter. Mais il y a des chofes très-fimples fur lefquelles nos efprits n'ont jamais fait que voltiger fans reflexion, & qui ne laiffent pas d'avoir dequoi plaire. Le Poëte qui a fu les tirer de la foule, les placer avec avantage, & les peinTome I.

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