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tien, c'eft fuppofer faux cet efprit dont la jufteffe fait l'effence.

On a peur que cette jufteffe rigou reufe ne mette le génie à l'étroit. Je ne connois pourtant pas un feul morceau de Poefie digne d'être cité où les penfées ne foient juftes dans la plus exacte rigueur: je dis juftes dans leurs rapports avec les moeurs les opinions, les deffeins de celui qui parle vérité relative très-indé◄ pendante de la vérite abfolue, dont il ne faut jamais s'occuper.

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Et pourquoi feroit-il plus difficile en Poefie de penfer jufte que de penfer faux? L'harmonie & le coloris fe refufent-ils à l'expreffion des idées qui font d'accord avec elles-mêmes? conduits par un efprit févére, l'imagination & le fentiment ne peuvent plus s'abandonner au caprice d'un faux enthoufiafme, je l'avoue; & tant mieux pour la Poefie où rien n'eft beau que le vrai. » L'Art, dit le Taffe, » n'eft que la prudence même;,, & il en eft des loix de la raifon com me de celles dont Platon a dit:» Ce » ne font pas des chaînes qui nous »lient, mais des aîles qui nous éle» vent aux cieux, » N'obéir qu'à des

juftes loix, c'est la liberté du génie. L'imagination eft cette faculté de l'ame qui rend les objets préfens a la penfée. Elle fuppofe dans l'entendement une appréhenfion vive & tenace, & la docilité la plus prompte à reproduire ce qu'il a reçu. Quand l'imagination ne fait que retracer les objets qui ont frappé les fens, elle ne différe de la mémoire que par la vivacité des couleurs. Quand de l'affemblage des traits que la mémoire a recueillis, l'imagination compofe elle-même des tableaux dont l'enfemble n'a point de modéle dans la Nature, elle devient créatrice, & c'est . alors qu'elle appartient au génie.

Il est peu d'hommes en qui la réminiscence des objets fenfibles ne devienne, par la réflexion, par la contention de l'efprit, affez vive, affez détaillée pour fervir de modéle a la Poefie. Les enfans mêmes ont la faculté de fe faire une image frappan

te, non-feulement de ce qu'ils ont vu, mais de ce qu'ils ont oui dire d'intereffant, de pathétique. Tous les hommes paffionnés fe peignent avec chaleur les objets rélatif au fentiment qui les occupe. La méditation dans

le Poete peut opérer les mêmes effets: c'eft elle qui couve les idées & les difpofe à la fécondité; & quand il peint foiblement, vaguement, confufément, c'eft le plus fouvent pour n'avoir pas donné à fon objet toute l'attention qu'il exige.

& fur le

Vous avez à peindre un vaiffeau battu par la tempête, point de faire naufrage. D'abord ce tableau ne fe préfente à votre pensée que dans un lointain qui-l'efface; mais voulez-vous qu'il foit plus préfent? Parcourez des yeux de l'efprit les parties qui le compofent; dans l'air, dans les eaux, dans le vaiffeau même, voyez ce qui doit fe paffer. Dans l'air des vents mutinés qui fe combattent, des nuages qui éclipfent le jour, qui fe choquent, qui fe confondent, & qui de leurs flancs fillonnés d'éclairs, vomiffent la foudre avec un bruit horfible. Dans les eaux, les vagues écumantes qui s'élevent jufqu'aux nuës, des lames polies comme des glaces qui réfléchiffent les feux du ciel, des montagnes d'eaux fufpendues fur les abîmes qui les féparent ces abîmes où le vaiffeau paroît s'engloutir, & d'où il s'élance fur la cime des flots. Vers

la terre, des rochers aigus où la mer va fe brifer en mugiffant, & qui préfentent aux yeux des Nochers les débris récens d'un naufrage, augure effrayant de leur fort. Dans le vaiffeau les antennes qui fléchiffent fous l'ef fort des voiles, les mâts qui crient & fe rompent, les flancs même du vaiffeau qui gemiffent battus par les vagues, & menacent de s'entrouvrir; un Pilote éperdu dont l'art épuifé fuccombe & fait place au défefpoir; des Matelots ac cablés d'un travail inutile; & qui fufpendus aux cordages, demandent au ciel avec des cris lamentables de feconder leurs derniers efforts; un héros qui les encourage & qui tâche de leur infpirer la confiance qu'il n'a plus. Voulez-vous rendre ce tableau plus touchant & plus terrible encore? Suppofez dans le vaiffeau un pere avec fon fils unique, des époux, des amans qui s'adorent, qui s'embraffent, & qui fe difent, nous allons périr. Il dépend de vous de faire de ce vaiffeau le théâtre des paffions, & de mouvoir avec eette machine tous les refforts les plus puiffans de la terreur & de la pitié. Pour cela il n'eft pas befoin d'une imagination bien féconde; il fuffit de ré

fléchir aux circonftances d'une tempê te, pour y trouver ce que je viens d'y voir. Il en eft de même de tous les tableaux dont les objets tombent fous les fens plus on y réfléchit, plus il fe développent. Il est vrai qu'il faut avoir le talent de rapprocher les circonftances, & de raffembler des détails qui font épars dans le fouvenir; mais dans la contention de l'efprit la mémoire rapporte comme d'elle-mêr me ces matériaux qu'elle a recueillis, & chacun peut fe convaincre s'il veut s'en donner la peine, que l'imagination dans la Phyque eft un talent qu'on a fans le favoir

Il arrive même, comme elle abonde, qu'on en abufe quelquefois. C'est manquer de goût que de vouloir tout peindre. Il eft des objets qu'il ne faut qu'indiquer, & c'eft un art affez difficile que celui de rendre fon objet fenfible par des traits qui, quoique détar chés, faffent l'impreffion de l'enfem, ble, Les Peintres emploient cette ma nere pour les objets vis de loin; les Poetes dorgent l'employer dans le paffage d'un tableau à un autre, & dans les faits peu intéreffans fur-lef quels l'efprit veut gliffes j'observerai

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