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attentione continuelle, & une adreffe prodigieufe pour fuppléer au peu d'intelligence & de foin qu'on a mis dans la formation de fes élémens ; & ce qu'il en coûtoit aux Démosthènes & aux

qutons, doit nous confoler de ce

qu'il nous en coûte. Il n'eft facile dans aucune langues de concilier l'harmo nie avec les autres qualités du ftyle; & fi l'on veut imaginer une langue qui peigne naturellement, il faut la fuppofer, non pas formée fucceffivement & au gré du peuplé, mais compofée enfemble & de concert par un Métaphyficien comme Locke, un Poé té comme Racine, un Grammairieh comme du Marfais. Alors on voit éclorre une langue à la fois philofophique & poétique, où l'analogie des termes avec les chofes infenfible & conftante, non-feulement dans les couleurs primitives, mais dans les nuances les plus délicates; de maniere que les fynonymes en font gradués du rapide au lent, du fort au foible, du grave au léger, &c. Au fyftême naturel & fécond de la génération des termes, depuis la racine jufqu'aux derniers ra meaux, fe joint une richeffe prodigieufe de figures & de tours, une va

riété infinie dans les mouvemens dans les tons dans le mêlange des fons articulés & des quantités des profodiques, par conféquent, une extrême facilité à tout exprimer, à tout peindre; ce grand ouvrage une fois achevé, je fuppofe que les inventeurs donnaffent pour effais quelques morceaux traduits d'Homere & d'Anacréon, de Virgile, & de Tibule Milton & de l'Ariofte, de Corneille & de Lafontaine ; d'abord ce feroient autant de grifes qu'on s'amuferoit à expliquer à l'aide des livres élémentaires; peu-à-peu on fe familiariferoit avec la langue nouvelle, on en fentiroit tout le prix: on auroit même par la fimplicité de fa méthode, une extrême facilité à l'apprendre; & bientôt pour la premiere fois, on goûteroit le plaifir de parler un langage qui n'auroit eu ni le peuple pour inventeur, ni l'ufage pour arbitre, & qui ne fe reffentiroit ni de l'ignorance de Fun ni des caprices de l'autre. Voilà un beau fonge, me dira-t-on : Je l'avoue, mais ce fonge m'a femblé propre à donner l'idée de ce que j'entends par l'harmonie d'une langue ; & tout l'art du ftyle harmonieux confif

te à rapprocher, autant qu'il eft poffible, de ce modele imaginaire la lan gue dans laquelle on écrit.

CHAPITRE VELRY

Du Méchanifme des Vers, annob

E fentiment du nombre nous eft fi naturel, , que chez les peuples les plus fauvages la danfe & le chant font cadencés.Par la même raifon,dès qu'on s'eft avifé de parler en chantant, les fons articulés ont dû s'accommoder au chant. Telle eft l'origine des vers (a). Ce qui les diftingue/de la profe, c'eft fen françois la rime, la mefure & la cadence.

La rime eft la confonnance des fina les des vers. Cette confonnance doit être fenfible à l'oreille: il faut donc qu'elle tombe fur des fyllabes fonor res; & fi les vers finiffent par une muette, la rime doit être double & commencer à la pénultieme : attendre, prétendre, aufpice, propice. Quoique dans les finales des mots les confonnes qui fuivent la voyelle ne fe faffent

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(a) Illud quidem certum omnem Poefin olim cantatam fuiffe (Ifaac Voffius)

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prefque jamais fentir; cependant pour rimer à l'oeil en même-tems qu'à l'oreille, & concilier ainfi le fuffrage des deux fens, on veut que les deux finales préfentent les mêmes caracteres, ou des caracteres équivalens: par exemple: Sultan ne rime point avec inftant; inftant & attend riment enfemble.

Le nombre a été jufqu'ici confondu dans nos vers avec la mesure; ou plutôt on ne leur a donné ni mesure ni nombre précis: c'eft pourquoi il eft fi facile d'en faire de mauvais, & fi difficile d'en faire de bons.

Nos vers réguliers font de douze de dix, de huit ou fept fyllabes : voilà ce qu'on appelle mefure. Le vers de douze eft coupé par un repos après la fixieme, & le vers de dix,, après la quatrieme le repos doit tomber fur une fyllabe fonore & le vers doit finir tantôt par une fonore, tantôt par une muette: voilà ce qu'on appelle cadence.

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Toutes les fyllabes du vers, excepté la finale muette, doivent être fenfibles à l'oreille : voilà ce qu'on appelle nombre. On fait que la fyllabe muette eft celle qui n'a que le fon de cet.

e foible, qu'on appelle muet ou feminin: c'eft la finale de vie & de flamme. Toute autre voyelle a un fon plein.

Dans le cours des vers l'e féminin n'eft admis qu'autant qu'il eft foutenu d'une confonne, comme dans Rome & dans gloire. S'il eft feul, il ne fait pas nombre; & l'on eft obligé de placer après lui une voyelle qui l'efface, comme vi'active, anné'abondante : cela s'appelle élifion. L'h initiale qui n'eft point aspirée, eft nulle, & n'empêche par l'élifion.

On peut élider l'e muet final, quand même il eft articulé ou foutenu d'une confonne; mais on y eft pas obligé ; gloire durable & gloir'éclatante font au choix du Poéte. Si l'on veut que l'e muet articulé faffe nombre, il faut feulement éviter qu'il foit fuivi d'une voyelle; comme fi l'on veut qu'il s'élide, il faut qu'une voyelle initiale lui fuccéde immédiatement. Dans le "/ liaifon d'hommes illuftres l'e muet d'hommes ne s'élide point: I'd finale y met obftacle.

Il n'y a d'élifion que pour l'e muet : la rencontre des deux voyelles fonores s'appelle hiatus; & l'hiatus eft banni du yers. Je crois avoir prouvé qu'on

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