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lance au fein de la divinité; qu'ami paffionné des hommes, il confacre fes veilles à la noble ambition de les rendre meilleurs & plus heureux; que dans l'ame héroïque du Poéte l'enthoufiafme de la vertu fe mêle à celui de la gloire, c'eft alors que la Poéfie eft un culte, & que le Poéte s'éleve au rang des bienfaiteurs de l'humanité.

L'idée que j'attache à la Poefie eft donc celle d'une imitation en ftyle harmonieux, tantôt fidéle, tantôt embellie de ce que la Nature dans le phyfique & dans le moral, peut avoir de. plus capable d'affecter, au gré du Poete, l'imagination & le fenti

ment.

Par la Nature j'entends le fyftême univerfel des chofes, foumifes à un pouvoir fuprême, felon l'idée de Scaliger: Natura, potentia Dei; fortuna verò voluntas: idée qui embaraffe non-feulement le cours régulier & conftant du monde, mais l'interruption de fes loix par des caufes prédominantes que le Poete fuppale & que l'on admet: foit que les mer. veilleux des prodiges fe fonde fur l'opinion; foit qu'imaginées à plaifir, T'efprit ne donne à leur vrai-femblan

ce que l'adhéfion du moment, & qu'ils paffent comme de beau fonges. Cette définition une fois établie, toutes les regles en vont découler. La premiere eft d'être né Poete: Horace & Defpréaux l'ont dit avant moi; je vais tâcher d'expliquer leur pensée.

CHAPITRE II

Des talens du Poëte.

Es facultés de l'ame d'où

Ldérivent tous les talens littéraires font l'efprit, l'imagination & le fentiment: & dans leur mélange, c'est `. le plus ou le moins de chacune de ces facultés qui produit la diverfité des génies.

Dans le Poete, c'eft l'imagination & le fentiment qui domine; mais f l'efprit ne les éclaire ils s'égarent bientôt l'un & l'autre. L'efprit eft l'oeil du génie dont l'imagination & le fentiment font les aîles.

Toutes les qualités de l'efprit ne font pas effentielles à res de Poefie. Il n'y a

tous les genque la péné

tration & la jufteffe dont aucun d'eux he peut fe paffer: l'efprit faux gâte tous les talens, l'efprit fuperficiel ne tire avantage d'aucun.

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Je n'ai confideré dans la Poëfie, en la définiffant, que ce qui la diftingue de l'éloquence, de l'hiftoire, de la philofophie, c'est-à-dire, le don de peindre. Mais elle quitte fouvent le pinceau pour prendre le ftyle noble & fimple de l'hiftoire, le ftyle vehément ou tempéré de l'éloquence, le ftile clair & précis de la philofophie. Tout n'eft pas image & fentiment dans un Poëme il y a des intervales où la penfée brille feule & de fon éclat : car il ne faut jamais oublier que l'image n'en eft que la parure; & lors même que la penfée eft colorée par l'imagination ou animée par le fentiment elle nous frappe d'autant plus qu'elle eft plus fpirituelle, c'est-à-dire plus vive, plus finement faifie, & d'une combinaison à la fois plus jufte & plus nouvelle dans fes rapports. L'efprit n'eft donc pas moins effentiel au Poëte qu'au Philofophe, à l'Hiftorien, à l'Orateur.

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Chacune des qualités de l'efprit a fon genre de poëfie elle domine. Par exemple, la fineffe l'Epigramme

la délicateffe, l'Elégie & le Madrigal; la légereté, l'Epitre familiere; la naïveté, la Fable; l'ingénuité, l'Eglogue; l'élevation, l'Ode, la Tragédie & l'Épopée.

Il eft des genres qui demandent plufieurs de ces qualités renuies. La Comédie, par exemple, exige à la fois la fagacité, la pénétration, la force, la profondeur, la légereté, la vivacité, la fineffe; & qu'on ne s'étonne pas fi elle raffemble prefque toutes les reffources de l'efprit, tandis que la jufteffe, la profondeur & l'élevation fuffifent à la Tragédie c'eft que la Tragédie a pour elle le grand reffort du pathétique dont la Comédie eft privée.

La raifon, que je définis, la faculté de fe replier fur fes idées, d'en faifir nettement les rapports & de fuivre la chaîne qui les lie, la raifon, dis-je, eft la bafe de l'efprit; & cette faculté appliquée à l'étude de la nature, n'eft autre chofe que l'efprit Philofophique. Or on demande, non pas s'il eft effentiel au Poéte, mais s'il ne lui eft pas nuifible? Queftion qui fera bientôt réfolue, fi l'on veut s'entendre & fe concilier.

Ce n'eft qu'après une étude reflé

chie de la nature, & hors de nous & en nous-mêmes, de ces loix dans le phyfique, de fes principes dans le moral, qu'on peut fe livrer au talent de la peindre. Il y a un efprit; quel qu'il foit, qui combine & difpofe les refforts de l'éloquence, qui choifit & place le modéle fous les yeux de la Poéfie, & qui marque à l'une & à l'autre l'endroit du coeur elle doit frapper. Je parle de l'éloquence & de la Poéfie, & dans ces deux claffes je comprends tous les talens littéraires; car tout fe réduit à peindre & à pere. fuader, à nous pénétrer de ce qui le paffe au-dehors, & à rendre fenfible au-dehors ce qui fe paffe au-dedans de nous-mêmes, Or cet efprit lumineux & fage qui prife dans la nature les régles & les moyens de l'art, & le même qui préfide à la faine Philofophie.

L'efprit Philofophique, l'efprit Poétique, l'efprit Oratoire ne font qu'un: c'eft le bon efprit, qui prend des directions différentes felon le but qu'il fe propofe. Craindre qu'il n'égare le Poéte dans les efpaces de la métaphifique, ou qu'il ne le mene à pas comp tés dans l'étroit fentier du dialecti

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