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de la maniere la plus convenable au caractère des idées, des images, des fentimens qu'on veut exprimer.

Les recherches que je propofe fur cette partie méchanique du ftyle, & les effais que l'on fera pour y exercer fon oreille & fa plume, doivent être, comme les études du Peintre, destinés à ne pas voir le jour. Dès qu'on travaille férieusement, c'est de la pensée qu'on doit s'occuper, & des moyens de la rendre avec le plus de force de clarté, de précifion qu'il eft poffible. Fiat quafi ftructura quadam; nec tamen fiat operofe : nam effet cum infinė. tus tum puerilis labor.

*

C'est par l'analyse des élémens phyfiques d'une langue qu'on peut voir à quel point elle eft fufceptible d'harmonie. Mais ce travail eft celui du Grammairien. Le devoir du Poëte, de l'Hiftorien, de l'Orateur eft de fe livrer aux mouvemens de fon ame. S'il pofféde fa langue, s'il a exercé fon oreille au fentiment de l'harmonie, fon ftyle peindra fans qu'il s'en apperçoive, & le nombre y viendra de lui-même s'accorder avec la pensée. Une oreille excellente peut fup

Ciceron.

pléer à la réflexion; mais avant la réflexion perfonne n'eft sûr d'avoir l'oreille délicate & jufte. Le détail où je m'engage peut donc avoir fon utilité.

Dua funt res que permulcent aures (dit Ciceron): fonus & numerus.

On peut confidérer dans les voyelles le fon pur, l'articulation, l'in

tonnation.

Les voyelles ne font pas toutes également pleines & brillantes, le fon de l'a eft le plus éclatant de tous, & la voix, comme pour complaire à l'oreille, le choifit naturellement. La preuve en eft dans les accens indélibérés d'une voix qui prélude, dans les cris de furprise, de douleur & de joie. Virgile connoiffoit bien la prédilection de l'oreille pour le fon de l'a lorfqu'il l'a répété tant de fois dans ce vers mélodieux.

Millia luteola pingit vaccinia calihâ. & dans ceux-ci plus doux encore,

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Vel mixta rubent ubi lilia multâ Alba rofâ, tales virgo dabat ore colores." Ces vers prouvent que Voffius a tort de reprocher au fon de l'a de man

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quer de douceur: fuavitate ferè deftituitur; mais il a raison quand il ajoûte: magnificentia aures propemodum percellit.

Le fon de l'o eft plein, mais grave: pour le rendre plus clair dans le chant, on y mêle du fon de l'a, comme lorfqu'on veut éclater fur vole (a); le plus foible & moins volumineux s'éclaircir de même dans l'è ouvert en approchant du fon de l'a (b); l'i eft plus grêle, plus délicat que l'e (c); l'eu eft vague, mais fonore; l'ou eft plus grave, mais moins foible que l'u (d); l'e muet ou féminin eft à peine un fon.

Dans les voyelles doubles, le premier fon n'étant que paffager, l'oreil le n'eft fenfiblement affectée que du fon final, fur lequel la voix fe repofe & fe déploye; ce n'eft donc qu'à

(a) O, fonum quidem habet vaftum & aliquá ratione magnificum; longè tamen minus quam a Nulla hæc aptior littera ad fignificandum magnorum animalium &ingentium corporum feu vocem, feu fonum. (Ifaac Voff.)

(b) E' non quidem gravem, fed tamen clarum fatis & elegantem habes fonum: è, vocalis magis fonora & magnifica quam 0, minus quam a; cùm & fonum habeat obfcuriorem, & prope modum in ipfis faucibus fepultum. Idem.

(c) I, nulla eft clarior voce illâ : in levibus & argutis ufum habet pracipuum. Idem.

(d) Infimum dignitatis gradum tenet u vocalis.

la voyelle finale que l'on doit avoir égard dans le choix des diphtongues relativement à l'harmonie ; & l'on a ; raifon de fe plaindre qu'à l'ancienne prononciation de j'avois, françois, &c. l'ufage ait fubftitué j'avès francès, &c. (voyez les Notes philofophiques de M. Duclos fur la Grammaire de Port-Royal).

nes,

L'effet de la nazale, voyelle que nous avons mife au rang des confoneft de terminer le fon fondamental par un fon fugitif & harmonique qui refonne dans le nez. Ce fon fugitif donne plus d'éclat à la voyelle ; il la foutient, il l'éléve, & caractérife l'harmonie bruyante.

Luftantes ventas tempeftatefque fonoras. Virg. J'entends l'airain tonnant de ce peuple barbare.

Voltaire.

On voit dans le premier exemple combien Virgile a déféré au choix de l'oreille en employant l'épithéte fonoras, qui n'eft point analogue à l'image imperio premit, en l'employant, dis-je, préférablement à rebelles, frementes minaces que l'image fembloit demander. C'eft la même raifon du volume de l'o, qui le lui a fait employer tant de fois dans ces vers,

Vox quoque per lucos vulgo exaudita filentes à Ingens.

M. l'Abbé d'Olivet décide bréve la voyelle nazale à la fin des mots, comme dans turban, defiin, Caton; mais il me femble que le retentiffement de la nazale en doit prolonger le fon, du moins dans la déclamation foutenue, & par-tout où la voix a befoin d'un appui.

La refonnance de la nazale eft interrompue par la fucceffion immédiate d'une voyelle, à moins que l'on afpire celle-ci pour laiffer retenir celle-là tyran inflexible, deftin ennemi, mais cet iatus que l'on a permis en Poëfie, eft peut-être le plus dur à l'oreiile, & celui de tous qu'on doit éviter avec le plus de foin.

Obfervons cependant que moins la nazale eft fonore, plus il eft aifé de l'éteindre, & par conféquent moins l'aspiration de la voyelle fuivante est dure à l'oreille: auffi fe permet-on plus fouvent la liaison d'une voyelle avec les nazales on & un, qu'avec les nazales an & en: leçon utile, commun à tous, font moins durs que main habile, océan irrité. Boileau lui-même a dit:

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