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Montagne; & en parlant de la guerre, « Ce furieux monftre à tant de » bras & à tant de têtes, c'eft tou»jours l'homme foible, calamiteux & » miférable c'eft une fourmillière » émue ». L'homme eft bien infenfé » (dit-il encore), il ne fauroit for»ger un ciron, & il forge des dieux » par douzaines ». Avec quelle fimplicité Lafontaine a peint une mort tranquille!

On fortoit de la vie ainfi que d'un banquet Remerciant fon hôte & faifant fon paquet. Ce qui rend cette familiarité frappante, c'est l'élevation d'ame qu'elle annonce, car il faut planer au-deffus des grands objets pour le voir au rang des petites chofes; & c'eft en général fur la fituation de l'ame de celui qui parle que le Poëte doit fe regler pour élever ou abaiffer l'image.

Dans tous les mouvemens impétueux, comme l'enthoufiafme, la paffion, &c. le ftyle s'enfle de lui-même; il fe tempère ou s'affoiblit quand l'ame s'appaife ou s'épuife: ainfi toutes les fois que la beauté du fentiment est dans le calme, l'image eft d'autant plus belle qu'elle eft plus fimple & plus familiere. G6

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Dans l'héroïque même, l'image la plus humble eft quelquefois là plus forte. Fléchier, en louant la charité de M. le Président de Lamoignon, qui donnoit aux pauvres ce qu'il retiroit tous les ans du travail actuel du Palais, s'est bien gardé de parler de ce travail en termes faftueux; il rapproche ce Magiftrat des malheureux dont il étoit le pere, & vous croyez le voir au milieu des pauvres travaillant avec eux & pour eux. «Il n'étoit pas content (dit-il) de leur avoir diftribué le pain, s'il ne l'avoit gagné lui-mê>> me I y a de la baffeffe à trouver bas les détails de la pauvreté. Gardezvous bien de les éviter par une fauffe délicateffe, ou de les voiler pour les annoblir; il faut feulement avoir foin d'en écarter ce qui eft dégoutant. Voyez dans Lafontaine Philemon & Baucis, & le faucon, ces modéles du pathétique naïf & fimple. Voyez auffi dans l'Enfant-prodigue cette peinture noble & vraie de la mifére du jeune Euphemon; & dans le Pere-de-famille ce tableau fi paffionné, fi touchant de la pauvreté de Sophie. Voilà comme tout s'embellit dans les mains d'un homme de génie & de goût. Les exem

ples de cette fimplicité précieufe font rares chez les modernes, ils font communs chez les Anciens, & je ne puis trop inviter les jeunes Poëtes à s'en nourrir l'efprit & l'ame.

Je finirai par quelques réflexions fur l'abus des images qu'on appelle jeux de mots. Les rapports du figuré au figuré ne font que des rélations d'une image à une image, fans que ni l'une ni l'autre foit donnée pour l'objet réel. C'est ainfi que l'on compare les chaînes de l'amour avec celles de l'ambition, &

que l'on dit celles-ci font plus peque fantes & moins fragiles. Alors ce font les idées mêmes que l'on compare fous des noms étrangers.

Mais c'eft abufer des termes que détablir une reffemblance réelle du figuré au fimple : l'image n'eft qu'une comparaifon dans le fens de celui qui l'employe, & c'eft la donner pour objet même que de lui attribuer les mêmes. rapports qu'à l'objet, comme dans ces vers "

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai.

Racine.

Elle fuit, mais en Parthe, en me perçant le

cœur.

Corneille.

Dans l'Eneide Turnus dit à Ænée:

Quam marte peiifti;

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Italiam metiere jacens.

..

"C'eft (dit Jul. Scal.) parce qu'on mefure un terrain quand on l'achete Afsûrement, Virgile n'avoit pas fongé à cette allufion puérile. Les Commentateurs font de terribles gens !

Il fut un tems où l'on ne croyoit avoir de l'efprit qu'autant qu'on donnoit de faux rapports à fes idées, & le mauvais goût devient fi naturel par l'habitude, qu'un homme, accoûtumé fans doute aux jeux de mots fit, diton, celui-ci dans le plus cruel désefpoir. C'étoit un Italien amoureux & malheureux. Avant de fe tuer il ordonna à fon homme de confiance de faire un flambeau de fa graiffe, d'aller trouver fon inhumaine, & de lui faire lire à la clarté de ce flambeau le billet qu'il lui écrivit. "Tu m'as défendu de brûler pour toi: je brûle actuellement dans ta main; & c'eft à la lueur de ma flamme que tu lis mes derniers adieux

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De la fiction à la réalité les rapports font dans la régle, & non pas de la métaphore à la réalité : par exemple,

après avoir changé Sirinx en rofeau, le Poëte en peut faire une flute; mais quoiqu'il appelle des lys & des rofes les couleurs d'une bergère, il n'en fera pas un bouquet; pourquoi cela? C'eft que la métamorphofe de Sirinx eft donnée pour un fait dont le Poëte eft perfuadé; au lieu que les lys & les rofes ne font qu'une comparaison dans l'efprit même du Poëte: c'eft pour n'avoir pas fait cette diftinction fi facile, que tant de Poëtes ont donné dans les jeux de mots, l'un des vices les plus oppofés au naturel, qui fait le charme du ftyle poëtique.

CHAPITRE V I.

De l'Harmonie du Style.

'HARMONIE du ftyle comprend

Le choix & le mélange des fons,

le leurs intonnations, leur durée, la liaifon des mots & leurs nombres, la texture des périodes, leur coupe, leur enchaînement, enfin toute l'économie du difcours relativement à l'oreille, & l'art de difpofer les mots,' foit dans la profe, foit dans les vers,

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