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gage des Arts & des Sciences, ne
doivent paffer dans le ftyle oratoire ou
Poëtique qu'à mefure que la lumiére
des Sciences & des Arts fe répand
dans la fociété. Le reffort de la mon-
tre, la bouffole, le télescope, le prifme,
&c. fourniffent aujourd'hui au langa-
ge familier des images auffi naturelles,
auffi peu recherchées que celles du
miroir & de la balance. Mais il ne
faut hafarder ces tranflations nouvel-
les qu'avec la certitude que les deux
termes font bien connus,
& que
rapport en eft jufte & fenfible.

tems,

le

Le Poëte lui feul comme Poëte, peut employer les images de tous les de tous les lieux, de toutes les fituations de la vie. De-là vient que les morceaux épiques ou lyriques dans lefquels le Poete parle lui-même en qualité d'homme infpiré, font les plus variés en images. Il a cependant lui-même des ménagemens à garder,

10. Les objets d'où il emprunte fes métaphores doivent être préfens aux efprits cultivés.

il

20. S'il adopte un fiftême, comme y eft fouvent obligé, celui, par exemple, de la Théologie, ou celui de la Mythologie, celui d'Epicure ou

Tome I.

G

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celui de Newton, il fe borne lui-même dans le choix des images, & s'interdit tout ce qui n'eft pas analogue au fiftême qu'il a fuivi. La Nature, fous les traits de Venus, eft une image déplacée dans un Poëme où l'on nie que les dieux fe mêlent du foin du l'Univers; & celui qui dira dans

peu,

Des chofes d'ici bas, féparés à jamais,
Les dieux doivent jouir d'une éternelle paix.

Lucrèce.

celui-là ne doit point dire en débutant.

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Je t'implore, ô Vénus, ô mere des Romains, Charme des immortels, délices des humains, Toi " par qui fous les cieux une chaleur féconde

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D'habitans fortunés peuple la terre & l'onde ;

دو

Par qui les animaux conçus dans les plaifirs, Naiffent, ouvrent les yeux, & fentent des defirs,

De même, quoi que le Dante ait voulu figurer par l'Hélicon, par Ura

nie, & par le choeur des mufes ce n'eft pas dans un fujet comme celui du Purgatoire qu'il eft décent de les invoquer.

3. Les images que l'on employe doivent être du ton général de la

hofe, élevées dans le noble, fimple dans le familier, fublimes dans l'enthoufiafme, & toujours plus vives, plus frappantes que la peinture de Pobjet même; fans quoi l'imagination écarteroit ce voile inutile: c'eft ce qui arrive fouvent à la lecture des Poëmes dont le style eft trop figuré.

4°. Si le Poëte adopte un perfonnage, un caractère, fon langage eft affujetti aux mêmes convenances que le ftyle dramatique : il ne doit fe fervir alors pour peindre fes fentimens & fes idées, que des images qui font préfentes au personnage qu'il a pris.

5o. Les images font d'autant plus frappantes que les objets en font plus familiers; & comme on écrit fur-tout pour fon pays, le ftyle poëtique doit avoir naturellement une couleur natale. Cette réflexion a fait dire à un homme de goût, qu'il feroit à fouhaiter pour la Poëfie françoife que Paris fut un port de mer. Cependant il y a des images tranfplantées que l'habitude rend naturelles: par exemple, on a remarqué que chez les peuples proteftans qui lifent les livres faints en langue vulgaire, la Poëfie a pris le ftyle oriental. C'eft

de toutes ces relations obfervées avec foin que réfulte l'art d'employer les images & de les placer à propos.

Mais une régle plus délicate & plus difficile à prefcrire, c'eft l'économie & la fobriété dans la diftribution des images. Nous avons remarqué qu'introduites par le befoin elles avoient paffé jufqu'au luxe; j'ai dit auffi qu'elles fervent à rendre plus fenfible un objet qui ne l'eft pas affez; & jufques-là il n'eft point de ftyle qui ne les admette. Il fuffit d'expliquer ce que j'entends pour rendre un objet plus fenfible.

Si l'objet de l'idée cft de ceux que l'imagination faifit & retrace aifément & fans confufion, il n'a befoin pour la frapper que de fon expreffion naturelle, & le coloris étranger de l'image n'eft plus que de décoration. Mais fi l'objet, quoique fenfible par lui-même ne fe préfente à l'imagination que foiblement, confufément, fucceffivement, ou avec peine, l'image qui les peint avec force, avec éclat, & ramaffé comme en un feul point, cette image vive & lumineufe éclaire & foulage l'efprit autant qu'elle embellit le ftyle. On conçoit fans peine

les inquiétudes & les foucis dont l'ambitieux eft agité; mais combien l'idée en eft plus fenfible, quand on les voit voltiger fous des lambris dorés & dans les plis des rideaux de pourpre ?

Non enim gaze neque confularis
Summovet lictor miferos tumultus
Mentis, & curas laqueata circum
Testa volantes. (Horat. )

Lafontaine dit en parlant du veuvage:
On fait un peu de bruit, & puis on fe confole;

mais il ajoûte:

Sur les ailes du tems la trifteffe s'envole. Le tems ramène les plaifirs.

& je n'ai pas befoin de faire fentir quel agrément l'idée reçoit de l'image. Le choc de deux maffes d'air qui fe repouffent dans l'atmosphère eft fenfible par fes effets; mais cet objet vague & confus n'affecte pas l'imagination comme la lutte des aquilons & du vent du Midi, precipitem Africum decertantem aquilonibus. Ici l'image eft frappante au premier coup d'oeil: Pefprit la faifit & l'embraffe. Quelle collection d'idées réunies & rendues fenfibles dans ce demi vers de Lucain qui peint la douleur errante & muette!

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