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pe les rapports, l'image ne fait que les indiquer; il faut donc que l'image foit au moins auffi jufte que la comparaipeut l'être. L'image qui ne s'appli que pas exactement à l'idée qu'elle enveloppe, l'obfcurcit au-lieu de la rendre fenfible; il faut que le voile ne faffe aucun pli, ou que du moins, pour parler le langage des peintres le nud foit bien reflenti fous la draperie.

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Après la jufteffe & la clarté de l'image, je place la vivacité. L'effet que l'on fe propofe, étant d'affecter l'imagination, les traits qui l'affectent le plus, doivent avoir la préférence.

Tous les fens contribuent proportionnellement au langage figuré. Nous difons le coloris des idées, la voix des rémords, la dureté de l'ame, la douceur du caractere, l'odeur de la bonne renommée. Mais les objets de la vûe plus clairs, plus vifs & plus diftincts, ont l'avantage de fe graver plus avant dans la mémoire, & de fe retracer plus facilement la vûe eft par excellence le "fens de l'imagination, & les objets qui fe communiquent à l'ame par l'entremife des yeux, vont s'y peindre comme dans un miroir. Auffi la vûe eft

elle celui de tous les fens qui enrichit le plus le langage poétique. Après la vûe c'eft le toucher, après le toucher c'eft l'ouie, après l'ouie vient le goût & l'odorat, le plus foible de tous fournit à peine une image entre mille. Parmi les objets du même fens, il en eft de plus vifs, de plus frappans, de plus favorables à la peinture. Mais le choix en eft au-deffus des régles, c'eft au fens intime à le déterminer.

Jufqu'à préfent nous n'avons conf déré les images que relativement aux idées. Il nous refte à les examiner relativement au ftyle & aux différens .ftyles.

Il n'eft point de langage qui foit difpenfé d'être naturel, & rien n'eft plus oppofé au naturel qu'une recherche trop curieufe, trop affectée dans l'expreffion. Les images les plus neuves, les plus recherchées doivent donc paroître fe préfenter d'elles-mêmes & comme fous la main..

Les Peintres donnent en cela l'exemple aux Orateurs & aux Poétes : ils couronnent les Nayades de perles & de corail, les Bergeres de fleurs, les Ménades de pampre, Uranie d'étoiles, &c.

Tout homme n'eft pas cenfé avoir préfent à l'efprit toute efpece d'images. Les productions, les accidens les phénomenes de la Nature différent fuivant les climats. Il n'eft pas vraifemblable que deux amans, qui n'ont jamais dû voir des palmiers, en tirent l'image de leur union. Il ne convient qu'au peuple du Levant, ou à des efprits verfés dans la Poéfie orientale, d'exprimer le rapport de deux extrêmes par l'image du cédre à l'hiffope.

L'habitant d'un climat pluvieux compare la vue de ce qu'il aime à la vûe d'un ciel fans nuages. L'habitant d'un climat brûlant la compare à la rofée. A la Chine, un Empereur qui fait la joie & le bonheur de fon peuple, est femblable au vent du Midi. Voyeż combien font oppofées l'un à l'autre les idées que préfente l'image d'un fleuve débordé à un berger des bords du Nil & à un berger des bords de la Loire. Il en eft de même de toutes les images locales, que l'on ne doit tranfplanter qu'avec beaucoup de précaution. Les images font auffi plus ou moins familieres, fuivant les mœurs -opinions, les ufages, les conditions, &c. Un peuple guerrier, un peuple

les

pafteur, un peuple matelot ont chacun leurs images habituelles : ils les tirent des objets qui les occupent, qui les affectent, qui les intéreffent le plus, Un chaffeur amoureux fe compare au cerf qu'il a bleffé

Portant par tout le trait dont je fuis déchiré. Un berger dans la même fituation, fe compare aux fleurs expofées aux vents du Midi (a).

C'eft ce qu'on doit obferver avec un foin particuliér dans la Poéfie dramatique. Britannicus ne doit pas être écrit comme Athalie, ni Polieucte comme Cinna. Auffi les bons Poétes n'ont

ils

pas manqué de prendre la couleur des lieux & des tems, foit de propos délibéré,foit par fentiment & par goût, l'imagination remplie de leur fujet, l'efprit imbu de la lecture des Auteurs qui devoient leur donner le ton. On reconnoît les Prophêtes dans Athalie, Tacite & Sénéque dans Cinna, & dans Polieuête tout ce que le dogme & la morale de l'Evangile ont de fublime & de touchant.

(a) Floribus auftrum perditus immifi

(Virg.)

C'est un heureux choix d'images inufitées parmi nous, mais rendues naturelles par les convenances, qui fait la magie du ftyle de Mahomet & d'Alzire, & qui manque peut-être à celui de Bajazet. Croiroit-on que les harangues des fauvages du Canada font du même ftyle que le rôle de Zamore? En voici un exemple frappant. On propofe à l'une de ces nations de changer de demeure. Le chef des fauvages répond: « Cette terre nous a nourris. » L'on veut que nous l'abandonnions! » Qu'on la faffe creufer, on trouvera » dans fon fein les offemens de nos » peres. Faut il donc que les offemens » de nos peres fe lévent pour nous >> fuivre dans une terre étrangere » ? » Virgile a dit de ceux qui fe donnent la mort, lucemque perofi projecere animas (a) Les Sauvages difent en fe dévouant à la guerre,» Je jette mon corps loin » de moi ».

ture,

Il y a des phénoménes dans la Nades opérations dans les Arts qui quoique préfens à tous les hommes, ne frappent vivement que les yeux des Philofophes ou des Artiftes. Ces images d'abord refervées au lan

(a) Ils ont fui la lumiére & rejetté leur ame.

gage

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