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pante par le lien qui les unit. Un Roi s'enivre du poifon de la louange que lui verfent les flatteurs ; un Roi s'enivre du parfum de la louange que les flatteurs lui font refpirer: tout cela devient naturel & fenfible.

Le nectar que l'on fert au maître du tonnerre; Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre, C'eft la louange, Iris.

Lafontaine.

Les langues, à les analyfer avec foin, ne font prefque toutes qu'un recueil d'images que l'habitude a mife au rang des dénominations primitives, & que l'on emploie fans s'en appercevoir. Il y en a de fi hardies, que les Poëtes n'oferoient les rifquer fi elles n'étoient pas reçûes. Les Philofophes en ufent eux-mêmes comme de termes abstraits. Perception, réflexion, attention, indụction, tout cela eft pris de la matiere. On dit fufpendre, précipiter fon jugement, balancer les opinions, les recuillir, &c. On dit que l'ame s'éleve, que les idées s'étendent, que le génie étincelle,que Dieu vole fur les ailes des vents, qu'il habite en lui-même , que fon fouffle anime la matiere, que fa voix commande au néant, &c. tout cela eft familier non-feulement à la Poëfie

mais à la Philofophie la plus exacte, à la Théologie la plus auftere. Ainfi à l'exception de quelques termes abftraits, le plus fouvent confus & vagues, tous les fignes de nos idées font empruntés des objets fenfibles. Il n'y a donc pour l'emploi des images ufitées d'autre ménagement à garder que les convenances du ftyle.

Il est des images qu'il faut laiffer au peuple; il en eft qu'il faut réferver au langage héroïque; il en eft de communes à tous les ftyles & à tous les tons. Mais c'eft au goût formé par P'ufage à diftinguer ces nuances.

Quant au choix des images rarement employées ou nouvellement introduites dans une langue, il faut y apporter beaucoup plus de circonfpection & de févérité. Que les images reçûes ne foient point exactes; que l'on dife de l'efprit qu'il eft folide, de la penfée qu'elle eft hardie, de Pattention qu'elle eft profonde; celui qui emploie ces images n'en garantit pas la juftef. fe, & fi on lui demande pourquoi il attribue la folidité à ce qu'il appelle un fouffle (a), la hardieffe à l'action de pefer (b), la profondeur à la direction (a) Spiritus, (b) Penfare.

du mouvement (a), car tel eft le fens primitif d'efprit, de pensée & d'attention, il n'a qu'un mot à répondre: Cela est reçu je parle ma langue.

Mais s'il emploie de nouvelles images, on a droit d'exiger de lui qu'elles foient juftes, claires, fenfibles, & d'accord avec elles-mêmes. C'est à quoi les Ecrivains, même les plus élégans, ont manqué plus d'une fois.

le

Il y a des images, qui, fans être précifément fauffes n'ont pas cette vérité fenfible qui doit nous faifir au premier coup-d'œil. Vous repréfentezvous un jour vafte par le filence; dies per filentium vaftus? Il est vrai que jour des funérailles de Germanicus Rome dut être changée en une vaste folitude par le filence qui régnoit dans fes murs; mais après avoir développé la pensée de Tacite, on ne faifit point encore fon image.

Lafontaine femble l'avoir prife de Tacite.

دو

Craignez le fond des bois & leur vafte filence.....

Mais ici l'image eft claire & jufte: on se transporte au milieu d'une folitude (a) Tendere ad.

immenfe, où le filence régne au loin; & le filenec vafle qui paroît hardi, eft beaucoup plus fenfible que filence profond qui eft devenu fi familier.

Traduifez tibi rident aquora ponti de Lucréce, la mer prend une face riante, eft une façon de parler très claire en elle-même, & qui cependant ne peint rien. La mer eft paisible, mais elle ne rit point, & dans aucune langue rident ne peut fe traduire, à moins qu'on ne change l'image.

Diftinguons cependant une image confufe d'une image vague. Celle-ci peut être claire quoiqu'indéfinie. L'étendue, l'élévation, la profondeur font des termes vagues mais clairs: il faut même bien fe garder de déterminer certaines expreffions dont le vague fait toute la force. Omnia pontus erat (a) dit Ovide en parlant du déluge: » Tout » étoit Dieu excepté Dieu même », dit Boffuet en parlant des fiécles d'idolâtrie; » Je ne vois le tout de rien » dit Montagne; & Lucréce, pour exprimer la grandeur du fyftême d'Epi

cure:

(a) Tout n'étoit qu'un Océan.

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Extra

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Proceffit longè flammantia mania mundi Atque omne immenfum peragravit mente animoque (a).

Mais dans les objets qui doivent être embraffés d'un coup-d'oeil, l'image n'eft fatisfaifante qu'autant qu'elle eft précise & complette.

Pour s'affurer de la jufteffe & de la clarté d'une image en elle-même, il faut fe demander en écrivant, que faisje de mon idée ? une colonne, un fleuve, une plante? L'image ne doit rien préfenter qui ne convienne à la plante, à la colonne, au fleuve, &c. la régle eft fimple, sûre & facile, rien n eft plus commun cependant que de la voir négliger; & fur-tout par les commençans qui n'ont pas fait de leur langue une étude philofophique.

L'analogie de l'image avec l'idée exige encore plus d'attention que la jufteffe de l'image en elle-même, comme étant plus difficile à faifir. Nous avons dit que toute image fuppofe une reffemblance ainfi que toute compa raifon; mais la comparaifon dévelop

(a) Du monde il a franchi la barriere enflammée, Et fon ame a d'un vol parcouru l'infini.

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