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appellé figures de penfée. Or l'action de l'ame peut fe concevoir fous l'image des directions qui fuit le mouvement des corps. Que l'on me paffe la comparaison; une analyfe plus abftraite ne feroit pas auffi fenfible.

Ou l'ame s'élève, ou elle s'abaiffe, ou elle s'élance en avant, ou elle recule fur elle-même, ou ne fçachant auquel de fes mouvemens obéir, elle penche de tous les côtés, chancelante & irréfolue, ou dans une agitation plus violente encore, & de tous fens retenue par les obftacles, elle fe roule en tourbillon comme un globe de feu fur fon axe.

Au mouvement de l'ame qui s'éleve, répondent tous les tranfports d'admiration, de raviffement, d'enthoufiaf me, l'exclamation, l'imprécation, les vœux ardens & paffionnés, la révolte contre le ciel, l'indignation contre la foibleffe & les vices de notre nature. Au mouvement de l'ame qui s'abaiffe répondent les plaintes, les humbles prieres, le découragement, le repentir, tout ce qui implore grace ou pitié. Au mouvement de l'ame qui s'élance en avant & hors d'elle-même répondent le défir impatient, l'inftan

ce vive & redoublée, le reproche, la menace, l'infulte, la colere & l'indignation, la réfolution & l'audace, tous les actes d'une volonté ferme & décidée, impétueufe & violente, foit qu'elle lutte contre les obftacles, foit qu'elle faffe obftacle elle-même à des mouvemens oppofés. Au retour de l'ame fur elle-même répondent la furprife mêlée d'effroi, la répugnance & la honte, l'épouvante & le remords, tout ce qui réprime ou renverse la réfolution, le penchant, l'impulfion de la volonté. A la fituation de l'ame qui chancelle répondent le doute, l'irréfolution, l'inquiétude & la perple xité, le balancement des idées & le combat des fentimens. Les révolutions rapides que l'ame éprouve au-dedans d'elle-même lorfqu'elle fermente & bouillonne, font un compofé de ces mouvemens divers interrompus dans tous les points.

Souvent plus libre & plus tranquille, ou moins en apparence, elle s'obserfe pofféde & modere fes mouvemens. A cette fituation de l'ame appartiennent les détours, les allufions, les réticences du ftyle fin, délicat ironique, l'artifice & le manége d'une

éloquence infinuante, les mouvemens retenus d'une ame qui fe dompte ellemême, & d'une paffion violente qui n'a pas encore fecoué le frein.

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Rien n'eft plus difficile à définir que les graces. Celles du ftyle confiftent dans l'aifance, la foupfeffe, la variété de fes mouvemens, & dans le paffage naturel & facile de l'un à l'autre. Voulez-vous en avoir une idée fenfible; appliquez à la poéfie ce que M. Watelet dit de la peinture.,, Les mouvemens de l'ame des enfans font fim,, ples, leurs membres dociles & fou,, ples. Il réfulte de ces qualités une unité d'action & une franchife qui plaît..... La fimplicité & la franchife des mouvemens de l'ame contribuent tellement à produire les gra,, ces, que les paffions indécifes ou ,, trop compliquées les font rarement naître. La naïveté, la curiofité ingé,, nue, le défir de plaire, la joie fpontanée, le regret, les plaintes & les larmes mêmes qu'occafionne un ob,. jet chéri, font fufceptibles des gra,, ces; parce que tous ces mouvemens font fimples. » Mettez le langage à la place de la perfonne, croyez entendre au-lieu de voir, & cet

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ingénieux Auteur aura défini les graces du ftyle. Du refte, il ne faut pas confondre le gracieux & le plaifant : rien au monde n'eft plus oppofé: * Da cagione oppofiti nafcono, il rifo è gratiofo.

Les mouvemens fe varient d'euxmêmes dans le ftyle paffionné, lorfqu'on eft dans l'illufion, & qu'on s'abandonne à la Nature: alors ces figu res qui font fi froides quand on les a recherchées, la répétition, la gradation, l'accumulation, &c. fe préfentent naturellement avec toute la chaleur de la paffion qui les produit. Le talent de les employer à propos, n'est donc que le talent de fe pénétrer des affections que l'on exprime; l'art ne peut fuppléer à cette illufion; c'eft par elle qu'on eft en état d'obferver la génération, la gradation, le mêlange des fentimens & que dans l'efpece de combat qu'ils fe livrent, on fait donner tour-à-tour l'avantage qui doit dominer: Ce n'eft que dans l'illufion qu'on imite bien ce défordre , ce renverfement des idées qui eft quelquefois fi naturel. Ctefias fait écrire à une fem

* Le Taffe

me Scythe par un jeune Perfan, qui, lui ayant fauvé la vie & rendu la liberté, mourroit dé douleur de n'avoir pu lui plaire : «Je vous ai fauvé la

vie, & je viens de mourir pour vous. » On a trouvé l'expreffion fauffe. Mais dans quel moment croit parler celui qui écrit ? Ne fent-on pas que c'eft dans le moment où fa lettre fera lûe? Il voit celle qu'il aime lifant fes adieux, & lorfqu'elle lit il n'eft plus Je viens de mourir eft donc très-naturel & d'une imagination fortement affectée.

par un

A l'égard du ftyle épique, au défaut de ces mouvemens, il eft animé autre artifice & varié par d'autres moyens.

Une idée à mon gré bien naturelle, bien ingénieufe, & bien favorable aux poétes, a été celle d'attribuer une ame à tout ce qui donnoit quelque figne de vie : j'appelle figne de vie l'action, la végétation, & en général l'apparence du fentiment. L'action eft ce mouvement inné qui n'a point de caufe étrangere connue, & dont le principe réfide ou femble réfider dans le corps même qui fe meut fans recevoir fenfiblement aucune impulfion du dehors: c'eft ainfi que le feu, l'air & l'eau font en action.

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