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fes bâtons flottés la fontaine de Forges pour lui avoir enlevé deux Nymphes. Ce n'eft pas ainfi que badinent Mrs. de Voltaire Bernard, Saint-Lambert. Sarafin difoit de l'Amour tyrannique de Scuderi, que fi Ariftote eût vécu de fon tems, Philofophe eût reglé une partie de fa Poëtique fur cette excellente Tragédie. Mais fans aller fi loin, le judicieux Defpréaux a placé Voiture à côté d'Horace.

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Il eft certain que le goût n'a jamais été auffi fain qu'à préfent : la preuve en eft que jamais on n'a tant eftimé, dans les ouvrages d'efprit, la vérité, la fimple nature. Il n'eft pas moins certain & je le ferai voir, que l'efprit Philofophique loin d'avoir mis le génie à l'étroit, en a lui-même étendu la fphère. Celle de la Poëfie s'eft agrandie encore à nos yeux par le commerce de nos voifins avec lefquels nous communiquons plus que nous n'avons jamais fait. Or c'eft de ces lumieres répandues autour de moi! bien plus que de mes obfervations particulières, que j'ai entrepris de former une poëtique raifonnée; & ma préfomption dans cette entreprife n'eft

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que la bonne opinion que j'ai de mon fiécle. J'ai employé plufieurs années à ramaffer les matériaux de cet ouvrage, & après l'avoir bien médité, j'ai mis tous mes foins à Pécrire. Je ferai diffus pour les gens inftruits; mais j'écris pour les commençans. Ceux qui font verfés dans l'étude de l'Art peuvent fe difpenfer de me lire. Mais un avantage de mon travail s'il approchoit de fon but

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feroit d'éclairer le commun des hommes fur les beautés de la Poëfie & de les rendre plus fenfibles à la douce joie de les appercevoir, qu'au plaifir malin de faifir & d'exagerer des défauts, fouvent légers ou inévitables. Quant au plan que je vais fuivre, il eft tel qu'il fe préfente naturellement à l'efprit.

Je divife ma Poétique en deux parties: L'une contient les idées élémentaires & les principes généraux ; L'autre en fait l'application aux divers gen. res de Poéfie.

Il y a dans les Art productifs qua tre objets à confidérer l'Artiste Pinftrument, les matériaux & l'ouvrage. Trois font les moyens de l'Art; le quatrieme en eft la fin; & le meil

leur ufage poffible des uns relativement à l'autre, eft le réfultat de tou tes les regles.

Tel eft le plan fur lequel j'ai dirigé ma méthode. Commençons par nous former une jufte idée de l'Art que Rous allons étudier.

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POETIQUE FRANÇOISE.

CHAPITRE PREMIER

S

De la Poefe en général.

I je dis, comme Simonide, que la Peinture eft une Poéfie muette, je crois la définir complettement; fi je dis que la Poéfie eft une peinture animée & parlante, aurium pictura, je fuis encore bien au-deffous de l'idée qu'on en doit

avoir.

C'eft peu de rappeller fon objet à refprit, comme l'éloquence & l'hiftoire, elle le préfente à l'imagination avec fes traits & fes couleurs, comme feroit un excellent tableau, & cela feul l'égale à la Peinture.

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Poft tergum nobis, fremet horridus ore cruento, Virgile. Rubens lui-même auroit-il mieux peint la Discorde enchaînée dans le temple de Janus ?

La Peinture faifit fon objet en action, mais ne le préfente jamais qu'en repos. En exprimant ces vers de Virgile: Illa vel intacta fegetis per fumma volaret Gramina, nec teneras curfu læfiffet ariftas (a) le peintre représentera Camille élancée fur la pointe des épis, mais immobile dans cette attidude; au lieu qu'en Poéfie l'imitation eft progreffive & auffi rapide que l'action même. La Poéfie n'eft donc plus le tableau, mais le miroir de la Nature.

Dans un miroir les objets fe fuccédent & s'effacent l'un l'autre; la Poéfie eft comme un fleuve qui ferpente dans -les campagnes, & qui dans fon cours répete à la fois tous les objets répandus fur fes bords. Il y a plus: cet efpace que parcourt lá Poéfię eft dans l'étendue fucceffive comme dans l'étendue permanante: ainfi le

(a) De la moiffon Camille effleuroit la furface, Sans que le foible épi s'inclinât fous fes pas,

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