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le christianisme a semé sur la terre plus de division et de controverses qu'aucune autre religion. Faites attention qu'en vous livrant ce fait, nous vous laissons libres sur le choix des conclusions, mais vous n'avez le choix qu'entre deux : ou le christianisme est une religion de haine, ou le christianisme est une loi de perfection. A des effets immenses doit correspondre une cause puissante ; or, les divisions dont le christianisme a été l'occasion ont été (tout le monde le sait, et Dieu nous garde d'en effacer le souvenir!) ont été fréquentes, universelles, terribles. Encore une fois, choisissez.

Quant à nous, nous avons choisi, si c'est choisir que de se décider pour l'évidence. Le christianisme est la religion de Dieu, tombant comme l'éclair au milieu des religions de l'homme, c'est-à-dire du moi humain diversement transformé et déguisé. C'est Dieu voulant se mettre dans le centre de l'homme à la place de l'homme. C'est la prétention la plus exorbitante, la plus énorme, si elle n'était pas divine. C'est une révolution fondamentale de l'homme demandée à l'homme. C'est le droit de Dieu posé en face des passions humaines, et l'homme mis en demeure de choisir entre ses passions et le droit de Dieu. Mais c'est autre chose encore, et qu'on y prenne garde: cette beauté a saisi tous les esprits; les uns l'adorent, les autres la repoussent; d'autres, et c'est le plus grand des malheurs, la repoussent intérieurement et s'en décorent au dehors. La reli

gion, bien apprise, bien répétée, devient le manteau de l'ambition, de la cupidité et de la tyrannie. En un mot, à l'apparition du christianisme, toutes les passions s'élancent de leur repaire, et dans les sens les plus différents, tourbillonnent autour de ce soleil. Tout ce qui existait, en mal comme en bien, dans le cœur de l'homme, fait effort pour en sortir et se précipite dans la vie. Toutes les forces de la nature humaine se dilatent et s'emparent de l'espace. Siméon lisait au fond le plus intime du christianisme lorsque, tenant dans ses bras le divin fondateur de cette religion, il prophétisait qu'à son sujet « les pensées du cœur de plusieurs, c'est-à<< dire de tous, seraient mises à découvert. » Jésus connaissait son œuvre lorsqu'au milieu de sa carrière de paix et de charité, occupé tout entier à consoler et à bénir, il annonçait avec assurance à ses disciples étonnés « qu'il était venu apporter sur « la terre, non la paix, mais l'épée, et qu'il lui tar« dait de voir allumer ce grand feu. » Hélas! non pas seulement le feu de la charité! Il disait vrai, et les siècles l'ont prouvé : le christianisme a été dans la vie du monde une crise qui a fait suer à la nature humaine toute sa méchanceté; mais sous cette sueur, comme sous une rosée amère, la bénédiction a germé, et l'arbre du salut a poussé ses branches jusqu'au ciel, et a porté à Dieu dans son riche feuillage un parfum de sainteté et d'adoration tel que la terre n'en avait jamais exhalé.

ÉLÉMENTS DE LINGUISTIQUE, etc.

XV ESSAI.

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SUR LES ÉLÉMENTS DE LINGUISTIQUE DE M. CHARLES Nodier.

I.

Ce livre paraît au premier coup d'œil le plus utile des livres agréables; examiné de plus près, on le trouve le plus agréable des livres utiles.

Il n'est pas neuf, a-t-on dit. M. Nodier a fort bien répondu à ce reproche. C'est un éloge, si l'on entend par nouveauté celle des idées fondamentales; le neuf, dans cette sphère, serait presque infailliblement l'erreur; mais si l'on a voulu parler de la nouveauté dans les développements et dans les applications, il s'en faut bien que la critique soit fondée. Peu d'ouvrages modernes ont, sous ce rapport, l'attrait d'une plus vive fraîcheur.

Quant au style, il est superflu de le louer. Le charme de celui de M. Nodier est assez connu. La souplesse, l'abondance, l'originalité du langage distrairaient le lecteur du fond même des choses, si la vérité intime de l'expression ne l'y ramenait sans cesse. La pratique de M. Nodier prouve combien sa théorie est sincère; il professe pour la langue un respect religieux, et il ne la rabaisse jamais à deve

nir un vague bourdonnement des pensées de l'esprit et des sentiments du cœur ; tout vit, tout palpite dans ce langage; rien n'est indifférent, rien n'est perdu; jamais hymen d'un homme et de sa parole ne fut plus tendre ni plus étroit. Vous pensiez lire un livre, vous lisez une âme.

M. Nodier est religieux en linguistique. «La langue « est à ses yeux le sceau que Dieu lui-même a imprimé à l'espèce pour la tirer de l'ordre des brutes « et l'élever presque jusqu'à lui. » Selon une idée à la fois ingénieuse et naïve, et sublime dans sa naïveté, le nom de Dieu, composé originairement de la plus facile et de la plus simple émission de la voix, a été le premier vocable de la langue primitive. « Je ne pouvais, dit-il, traverser ces idées fonda<< mentales sans remonter involontairement au « Dieu qui est la parole, qui s'est fait verbe pour <«< instruire l'humanité, et qui s'est fait pain pour la <<< nourrir. Cela est plus grand qu'un système et

plus instructif qu'un livre. » Et quand les preuves philosophiques de la priorité absolue du grand nom pourraient sembler insuffisantes, cette idée trouvera dans toute âme élevée un écho qui lui servira de preuve. Dieu a dû se manifester à l'âme dès son origine ou jamais; l'adoration a dû être le premier acte de la pensée humaine; ce mouvement, que la réflexion reforme lentement dans le sein de l'homme corrompu, a dû être le premier signal de notre existence morale, notre premier salut à la vie. « Dès

<< cette première époque (nous citons M. Nodier), «< et sans autre ressource que la voyelle ou le cri, <«<l'homme s'éleva, par la puissance de la pensée, << aux idées d'admiration, de vénération, de pres«< cience contemplative, de spiritualisme, d'adora<< tion et de culte, qui impriment seules à son espèce <«<le sceau d'une grande destinée. Retirez-lui ce ca<< ractère solennel qui le sépare de la brute, et il << n'en différera plus que par un malheur qui passe << tous ces avantages, l'orgueil d'un faux savoir, la «< conviction d'un néant certain, et le désespoir << d'une ambition impuissante. >>

Cette piété de pensée est trop au-dessus de l'espèce de religiosité littéraire de quelques esprits de notre époque pour que nous hésitions à la rapporter à la source unique de tout intérêt positif pour les choses de Dieu. Plusieurs passages du livre nous autorisent à croire que la révélation chrétienne a de l'autorité sur les croyances de l'auteur; et sans doute le christianisme est un objet de réelle vénération pour l'homme qui écrit presque en tête de son ouvrage ces paroles remarquables : « On ne me « soupçonnera pas d'être d'assez de mauvais goût << pour avoir attendu à substituer mes théories aux <«< faits de la révélation, le moment unique dans les longs âges du christianisme, où il rallie, comme << le seul palladium de la dernière civilisation, toutes <«<les puissances rationnelles du genre humain. >> Même dans un temps où rien n'étonne plus, assez

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