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poésie à l'aile de condor. Le talent de M. Quinet a autant de grandeur que d'éclat; mais déployer, ainsi qu'il fait, la vaste envergure de ses ailes sur la vapeur des marécages, ce n'est pas voler, c'est ramper. Il lui faut des Cordillères. Il lui faut pour point de départ, pour point de retour, pour aire, cet inébranlable sommet des convictions morales et religieuses, ce « Rocher des siècles,» au haut duquel resplendit l'Evangile comme un phare de salut. Tout ce qui est plus bas est très bas. Je plains du fond du cœur l'orgueilleuse illusion qui persuade à certains hommes que l'Evangile n'est pas assez haut pour eux. Toutes leurs conceptions, et les plus gigantesques, sont si mesquines auprès, qu'on en rirait vraiment si l'on n'en pleurait pas. Chose merveilleuse! autrefois l'Evangile était trop haut, et cette hauteur était le scandale du monde; aujourd'hui, il est trop bas: scandale nouveau. Et il est très vrai que l'Evangile est tout à la fois trop haut pour notre sens charnel, et trop bas pour notre orgueil. C'est ce dernier reproche que doit lui faire un siècle ivre d'orgueil comme le nôtre. Nous verrons à quelles hauteurs cet orgueil conduira le siècle.

Pour finir, le livre de M. Quinet, comme expression de désespoir, m'avait paru bien triste; comme expression d'orgueil, il me paraît bien plus. triste encore.

SUR LE JOCELYN DE M. DE LAMARTINE, 267

XIV ESSAI.

SUR LE JOCELYN DE M. DE LAMARTINE.

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I.

Le travail que nous entreprenons aujourd'hui pour nos lecteurs eût gagné peut-être à quelque délai; mais la célébrité qui s'attache d'avance aux publications de M. de Lamartine interdit aux journalistes des retards qui les accuseraient d'indifférence, et d'un autre côté, l'auteur, qui ne veut pas qu'on cherche dans son poème «< une intention cachée, un système, une controverse pour ou contre << telle ou telle foi religieuse,» a bien réellement, quoique sans doute à son insu, écrit dans un système; ce système, nous avons hâte de le signaler, d'en faire saillir les parties plus obscures et les conséquences moins prévues; nous savons combien des consciences peu éclairées se prennent aisément au piége de la poésie; nous avons à cœur de les avertir; notre ambition irait même plus haut ou plus loin; nous voudrions avertir le poète lui-même, hélas! quoique nous sachions trop bien que la vérité arrive malaisément aux oreilles des rois; et qui est roi, qui a hérité des dangereux priviléges de la royauté, si ce n'est le génie? Mais si le génie est

beaucoup plus grand que nous, la vérité est plus grande que le génie: il n'est pas dispensé plus que nous de l'écouter et de lui rendre hommage.

Commençons nous-mêmes par rendre hommage à l'une des plus brillantes productions de la littérature contemporaine. Remercions M. de Lamartine de la fête splendide que vient d'offrir son opulence à tous les amis de la poésie. C'est à peine si luimême nous avait préparés au plaisir qu'il nous donne. Ses précédents ouvrages ne nous avaient guère manifesté que le poète lyrique. A l'entendre lui-même, dans un opuscule peu ancien, aucune poésie n'était désormais possible que celle des Médi tations. Il vient de se donner un glorieux démenti. Jocelyn n'est pas enfermé dans le cercle des méditations et des harmonies. Il n'en est pas éloigné, sans doute; et le titre même d'épopée intime, par lequel l'auteur caractérise son ouvrage, semble d'abord n'annoncer qu'un nouveau cadre à de nouvelles harmonies ou à de nouvelles méditations; mais il y a plus ici qu'un simple cadre : Jocelyn est une histoire; Jocelyn raconte une vie individuelle et des situations pour ainsi dire contingentes, où la destinée se fait sa part. Les monologues et les extases font place à un rapide échange de paroles passionnées; l'homme répond à l'homme; c'est le monde de la société, de ses passions, de ses conflits; et lors même que la solitude reprend tout entier le héros du poème, elle ne le sépare pas de ses sou

venirs individuels; une histoire qui n'est qu'à lui donne à toutes ses pensées un accent particulier, incommunicable; ses douleurs, ses joies, ses rêveries ont un nom propre; sur la montagne, à la ville, aux marches de l'autel, celui que nous retrouvons toujours, c'est Jocelyn, c'est l'amant de Lau

rence.

Est-il nécessaire de dire que nous y retrouvons pourtant encore M. de Lamartine? Et plus qu'il ne faudrait, quoiqu'il soit toujours bon à rencontrer. Il ne s'identifie pas avec toutes les situations, encore moins (et c'est une remarque dont ses premiers ouvrages nous ont déjà fourni l'occasion), encore moins avec tous les âges. Il est regrettable, par exemple, qu'au moment où Jocelyn se voue au service des autels, le poète ait parlé lui-même sous le nom de son héros, et qu'il ait laissé échapper les beautés charmantes que lui offrait la pensée d'un enfant de seize ans, se définissant à soi-même, dans l'ignorance de son âge, la vie et les devoirs d'un prêtre. Mais comment ferait M. de Lamartine, lyrique de nature et d'inclination, pour se chasser luimême des sujets qu'il choisit? Comment, par une force irrésistible, les deux pensées, les deux vies du poète et de son héros, venant à se toucher comme deux gouttes d'une eau limpide, ne se mêleraientelles pas? Il ne faut donc point se faire d'illusion : l'élément lyrique ou subjectif déborde ici le drame; mais la contagion est réciproque, et si Jocelyn n'est

souvent que M. de Lamartine, celui-ci à son tour entre quelquefois avec abandon dans la situation et dans les sentiments individuels de Jocelyn; en vrai poète dramatique, il se laisse prendre à une douleur, à des regrets, à des espérances dont il est l'inventeur; il s'abdique admirablement dans certains moments du drame, et satisfait alors aux conditions d'un genre qui ne semblait pas devoir jamais être le sien. Pour son talent comme pour nos jouissances, il a bien fait d'y entrer. Le drame est devenu pour sa poésie, draperie magnifique, mais ample et flottante, une ceinture qui en relève les plis. La précision, la rapidité ont prouvé qu'elles appartenaient aussi, dans le besoin, au talent de l'auteur des Harmonies. La magnificence des images a fait souvent place à la véhémence de la passion, autre magnificence. Et on ne sent jamais mieux toute la valeur de ce progrès que lorsque, par forme d'épisode, le poète retourne à la méditation; alors sa magnificence un peu profuse fait voir ce qu'il a gagné à tenter de nouvelles routes.

Au reste, si l'on y réfléchit un peu, on trouvera que les deux genres, les deux éléments, lyrique et dramatique, bien que séparés et distincts, ne sont pas aussi distants l'un de l'autre, pas aussi opposés, qu'un premier coup d'œil voudrait nous le faire penser. La poésie lyrique est subjective, je l'avoue ; c'est le moi, et le moi lui seul, retentissant sur la lyre; le poète, concentré en lui-même, paraît n'en point

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