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Je sais, d'un autre côté, que des conversions touchantes ont eu lieu à la suite de ces mêmes écarts dont je signale le danger. Des âmes qu'une disposition tendre, trop peu surveillée, avait fait tomber, se sont relevées avant d'être avilies, avant d'être matérialisées; une chute inattendue et profonde leur a révélé leur misère plus que n'auraient fait peut-être les plus longues réflexions et les plus sévères avertissements; l'amour divin qui dormait en elles a frémi et s'est réveillé; désolées et couvertes de pleurs, elles se sont prises à aimer Dieu de toute la force dont elles étaient contraintes de se haïr; un péché flagrant a déterminé leur marche indécise et paresseuse; leur chute les a converties, leurs larmes les ont baptisées; mais sans nous demander si quelquefois ces conversions apparentes n'ont pas été un change donné à l'ardeur d'une imagination tendre, observons seulement que les effets que nous avons décrits plus haut se trouveront pourtant réels si on les cherche où il faut les chercher, à la suite d'une longue habitude de la volupté. On ferait une immense forêt des plantes qu'elle a desséchées.

Il faut peut-être avoir fait ces réflexions et ces observations pour bien comprendre un passage singulier de l'apôtre saint Paul : «< Fuyez la fornication. « Quelque péché que l'homme commette, il est hors « du corps; mais celui qui commet la fornication << pèche contre son propre corps (I. Cor. VI, 18). » Le corps, en introduisant le péché, semble l'unir

plus intimement à l'âme. Du moins est-il sûr que les péchés dont il est le siége, et qui, tenant à l'âme, tiennent de plus à lui, se mettent à vivre de sa vie, s'identifient à lui, comme des caractères gravés dans une écorce croissent et se développent avec l'arbre qui les porte. Ce n'est pas du reste dans un sentiment de mépris pour le corps que l'apôtre en parle comme nous venons de voir. Il ne fait pas du corps, ainsi que quelques philosophes et quelques mystiques, un fâcheux accessoire, un fardeau de l'âme. Il en fait, s'il est permis de s'exprimer ainsi, une des personnes de la trinité mystérieuse que présente l'individualité humaine; le corps est à ses yeux (et sa doctrine sur la résurrection correspond à cette idée) une partie éternellement nécessaire, éternellement permanente de l'homme, essentielle à l'homme comme l'âme et l'esprit; il distingue soigneusement le corps et la chair: la chair, substance contingente et muable du corps; le corps, forme subsistante et perpétuellement inhérente à l'être humain; et s'il dit de la chair qu'il ne faut pas en avoir soin pour en satisfaire les convoitises, il dit du corps qu'il faut le respecter comme «< le temple << du Saint-Esprit. » Cette idée sublime et sanctifiante relève le corps de l'imprudent mépris qui, sous prétexte de ne veiller que sur l'âme, laisserait pénétrer par le corps jusqu'à elle toutes les semences de péché qu'un vent funeste agite et fait tourbillonner sur la surface du monde. Que pourrait-on

opposer de plus fort à la volupté que cette parole: Ce corps que tu entreprends de souiller est le « temple du Saint-Esprit ; » et celle-ci du même apôtre: << Que tout ce qui est en vous, l'esprit, l'âme et le «< corps, soit conservé irrépréhensible pour l'avé«< nement de notre Seigneur Jésus-Christ ( 1. Thess. « V, 23)! » Ainsi l'Évangile ne méprise aucune des parties de notre être, et même à peine les divise, mais sanctifie «< tout ce qui est en nous. » Le mépris du corps ne serait pas aussi sûr; ce mépris spéculatif conduit facilement à l'esclavage en pratique.

XI' ESSAI.

DE L'INCLINATION THÉATRale.

Pourquoi la langue n'a-t-elle pas fait la dépense d'un nom pour l'un des penchants les plus universels et les plus distincts de la nature humaine?

Le système de Gall, que je ne connais presque pas, ne fait-il point mention de l'inclination théâtrale? Ou si, comme il est possible, cette inclination n'est point, chez l'homme, primordiale, primi ordinis, ne tient-elle pas de bien près à quelqu'un des éléments constitutifs de l'être moral? Je n'ai point palpé de crâne, mais j'ai un peu tâté la nature humaine, et j'y trouve quelque chose que j'appellerai, en attendant mieux, l'Inclination théátrale, et sur quoi je vais présenter quelques idées.

Il y a chez tous les peuples, et, je pense, aussi chez tous les hommes, un goût naturel pour le spectacle, c'est-à-dire pour les actes frappants, extraordinaires, disposés par le hasard ou par l'industrie de manière à ébranler vivement l'imagination ou le cœur. Et comme la vie ordinaire, même à son plus haut période d'agitation, n'est que rarement spectaculeuse, on a pourvu aux besoins de l'imagination par des combinaisons artificielles, qui tantôt sont dramatiques et tantôt ne le sont pas.

Costumes, gestes, mascarades, décorations, étiquette, processions, cérémonies, audiences, tragédies, tout cela est du spectacle; tout cela amuse et captive dans toutes les périodes de la civilisation; jusqu'à présent aucun peuple ne s'en est passé; le spectacle est même un objet de la législation. Partout les lois ont pourvu à ce que cette nourriture idéale ne manquât point au peuple.

Ce fait ne sera contesté que par ceux qui attacheraient au mot spectacle un sens étroit et spécial, qui n'est pas le nôtre. Tout le monde conviendra que, si la société décidait de s'en tenir à la réalité en toute chose, la vie sociale prendrait immédiatement un tout autre aspect, dont la règle des quakers, dans sa pureté, peut nous donner une représentation assez fidèle. Autre comparaison : supposez, si vous le pouvez, une langue absolument sans images, une langue encore plus austère que celle des livres d'algèbre; vous aurez une idée du système que nous indiquons.

Cette dernière comparaison nous paraît d'autant plus convenable que, réellement, la vie sociale est une langue aussi bien qu'une vie. Ses divers actes ne sont pas seulement des faits, mais l'expression de certaines pensées générales dont la société s'alimente intérieurement. Il faut à ces pensées, de temps à autre, une expression solennelle; elle est nécessaire, du moins, pour les esprits paresseux, qui sont en grand nombre, et que les images seules

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