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heur ou leur illusion ne saurait avoir pour eux les effets que nous avons décrits. Leur être n'en est rafraîchi, renouvelé. Les ailes ne repoussent pas au vieil aigle. L'individualité ne perce pas, vive et verdoyante, à travers les couches de la poussière sociale. Et l'espèce de dévouement logique, de charité légale, qu'on peut remarquer en eux, ressemble, à s'y méprendre, aux fruits de l'égoïsme et du calcul. La généreuse joie du bonheur chrétien, joie toute morale, a d'autres caractères et d'autres effets.

C'est ce bonheur moral de l'âme réconciliée avec la source de la loi, de la lumière et de l'amour, qu'il faut employer pour la réforme de la société. C'est là l'institution qui peut modifier les âmes et rectifier les volontés. Il est vrai que c'est sur l'individu qu'elle agit; elle ne gagne l'humanité qu'homme à homme; elle n'enveloppe point immédiatement les masses; il faut même ajouter qu'on ne l'a jamais vue exercer toute son énergie sur la majorité d'un peuple; le petit nombre seulement s'est montré avide d'un aliment si convenable et si salutaire à tous; mais cette saveur est tellement puissante qu'elle se communiquerait à tout un océan. Le Dieu des chrétiens est un Dieu tout à la fois si réel et si aimable, si facile à trouver et si doux à connaître, tellement présent dans toutes les parties du monde et dans tous les recoins de la vie, un Dieu dont la seule pensée commande la confiance avec tant d'empire; enfin sa manifestation en Jésus-Christ l'a ré

vélé à chacun de nous si proche et si tendre, que, même pour les croyants moins sérieux et moins fervents, il est encore ce qu'il n'a été pour aucun théosophe de l'antiquité, le bon Dieu et notre Père dans le ciel. A mesure que cette idée est plus fortement conçue et plus vivement sentie, elle ouvre et elle attendrit le cœur; elle y fait pénétrer la bienveillance et la mansuétude; elle dispose l'âme à la miséricorde et au support; elle crée dans chaque âme un intérêt humain ; elle fonde la sociabilité sur une base morale et sincère. Les croyances chrétiennes sont seules capables de dilater les cœurs, d'intéresser l'homme à l'homme, en tant qu'homme, de réaliser la fraternité universelle. En leur promettant ces effets, nous avons pour nous leur nature même et l'expérience : tout cœur chrétien a aimé l'humanité; tout homme qui ne l'a pas aimée n'était pas chrétien; ces deux vérités sont à l'abri de toute atteinte.

Il ne doit pas échapper aux observateurs attentifs que la doctrine la plus féconde en avantages sociaux est en même temps la plus douce individuellement, et, si l'on ose s'exprimer ainsi, la plus commode. La rigueur, l'austérité, l'exagération sont de l'autre côté. C'est l'humanitarisme qui est dur à l'individu, c'est le christianisme qui lui est indulgent. L'un dépouille l'individualité pour revêtir l'humanité, et n'y parvient pas; l'autre, dans l'intérêt de tous, s'occupe de chacun avec amour, le

rassure, le protége, l'enrichit, et fonde le bonheur général sur la multiplication des félicités individuelles. Il ne traîne pas l'homme en victime à l'autel du Moloch humanitaire, il ne l'immole pas à l'intérêt transcendant d'un être abstrait, d'une idée sans contact avec son cœur; il n'en exige pas l'impossible; il lui demande son cœur et ne le lui arrache pas; il lui paie magnifiquement ce qu'il en obtient; il lui fait de ses sacrifices mêmes la meilleure partie de son salaire; il l'enrichit de ses pertes, et dans la douceur d'aimer le récompense d'avoir aimé. Cette magnifique solution d'un insoluble problème, cette transformation d'une dualité funeste en une bienfaisante et merveilleuse unité, est le chef-d'œuvre de l'Évangile, son triomphe, son incommunicable privilége; rien ne peut lui ravir cette gloire, non pas même l'universelle méconnaissance; cette gloire éclaterait dans la vanité de nos efforts pour fonder ce que lui seul peut fonder; elle se ménagerait son réveil dans notre confusion finale; et, au jour de toute révélation, chacun de ses rayons deviendrait une foudre pour accabler notre aveuglement et notre ingratitude.

DU CENTRE DE GRAVITATION EN MORALE. 189

IX ESSAI

DU CENTRE DE GRAVITATION EN MORALE.

(A l'occasion des Mélanges philosophiques de M. Jouffroy.)

Deux des morceaux les plus remarquables de ce recueil sont ceux qui ont pour titre commun: De l'État actuel de l'humanité. Le premier seulement nous était connu. Lorsqu'il parut dans le Globe, en 1826, nous nous rappelons qu'il porta vivement notre curiosité vers le second article qu'il faisait attendre, et qui ne parut point. L'auteur s'était attaché, dans la première partie de son travail, à montrer l'extrême probabilité, ou plutôt la nécessité philosophique, du triomphe de la civilisation chrétienne, laquelle devait, selon lui, absorber successivement dans son sein tous les autres systèmes de civilisation. Remontant d'abord à la cause de la différence qui sépare les peuples civilisés des peuples sauvages, M. Jouffroy l'avait trouvée dans le différent degré de précision qu'a obtenu chez ces peuples respectifs la solution de la question religieuse. Ainsi, sur son passage, l'auteur indiquait du doigt une grande vérité, qui ne fut remarquée peutêtre que d'un petit nombre de ses lecteurs: c'est que l'homme est un animal religieux; c'est qu'il est invinciblement forcé de subordonner toute ques

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tion à la question religieuse; c'est que, d'après son instinct, toutes choses ne sont bonnes ou mauvaises, utiles ou nuisibles, que selon leur conformité ou leur opposition à la loi qui place dans le temps les conditions de l'éternité; c'est que la société ne peut se rassembler avec sécurité et avec espérance qu'autour d'une parole de Dieu; c'est que la loi ne la volonté de Dieu appliquée au fait peut être que social; c'est, même, que la société, ainsi que l'individu, a été créée pour accomplir à sa manière et avec les moyens qui lui sont propres le service de Dieu. Il est aisé de comprendre, d'après cela, que plus la solution du problème religieux sera précise, dit l'auteur (et nous disons, nous, plus elle sera vraie), plus la société se trouvera en barmonie avec les desseins de Dieu, dont l'accomplissement constitue l'ordre et la beauté en toutes choses, et le bonheur dans le monde sensible et intelligent. Aux différents degrés de vérité religieuse doivent correspondre avec exactitude les différents degrés de civilisation, depuis l'état absolument sauvage, qui n'est que le terme infime d'une gradation continue, jusqu'au plus grand perfectionnement social qui soit connu. La comparaison des peuples civilisés entre eux présentera des résultats parfaitement analogues. La vérité relative du système religieux déterminera la supériorité du système social, tout comme à son tour la supériorité du système social et son aptitude à s'étendre, sa puissance conquérante, témoigneront pour la

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