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l'auteur de l'Eikon Bafilike; livre long-temps cher aux royaliftes, & que Charles I avait, dit-on, compofé dans fa prison pour fervir de confolation à sa déplorable infortune.

Lauder voulut donc, vers l'année 17 52, commencer par prouver que Milton n'était qu'un plagiaire, avant de prouver qu'il avait agi en fauffaire contre la mémoire du plus malheureux des rois; il se procura des éditions du poëme de la Sarcotis. Il paraiffait évident que Milton en avait imité quelques morceaux, comme il avait imité Grotius & le Taffe.

Mais Lauder ne s'en tint pas là; il déterra une mauvaise traduction en vers latins du Paradis perdu du poëte anglais; & joignant plufieurs vers de cette traduction à ceux de Mazénius, il crut rendre par-là l'accufation plus grave, & la honte de Milton plus complète. Ce fut en quoi il fe trompa lourdement ; fa fraude fut découverte. Il voulait faire paffer Milton pour un fauffaire, & lui-même fut convaincu de l'être. On n'examina point le poëme de Mazénius, dont il n'y avait alors que très-peu d'exemplaires en Europe. Toute l'Angleterre convaincue du mauvais artifice de l'Ecoffais, n'en demanda pas davantage. L'accufateur confondu fut obligé de défavouer fa manœuvre, & d'en demander pardon.

Depuis ce temps on imprima une nouvelle édition de Mazénius en 1757. Le public littéraire fut furpris du grand nombre de très-beaux vers dont la Sarcotis était parfemée. Ce n'eft à la vérité qu'une longue déclamation de college fur la chute de l'homme : mais l'exorde, l'invocation, la description du jardin d'Eden, le portrait d'Eve, celui du diable, font précisément

les mêmes que dans Milton. Il y a bien plus; c'est le même fujet, le même nœud, la même catastrophe. Si le diable veut dans Milton fe venger fur l'homme du mal que DIEU lui a fait, il a précisement le même dessein chez le jésuite Mazénius; & il le manifeste dans des vers dignes peut-être du fiècle d'Augufte.

Semel excidimus crudelibus aftris,

Et conjuratas involvit terra cohortes.
Fata manent, tenet & fuperos oblivio nostrî;
Indecore premimur, vulgi tolluntur inertes
Ac viles animæ, cæloque fruuntur aperto.
Nos divûm foboles, patriâque in fede locandi,
Pellimur exilio, maftoque Acheronte tenemur.
Heu! dolor & fuperûm decreta indigna! fatifcat
Orbis & antiquo turbentur cuncta tumultu,
Ac redeat deforme cahos; Styx atra ruinam
Terrarum excipiat, fatoque impellat eodem
Et cælum, & cali cives; ut inulta cadamus
Turba, nec umbrarum pariter caligine raptam
Sarcoteam, invifum caput, involvamus? ut aftris
Regnantem, & nobis dominâ cervice minantem
Ignavi patiamur? adhuc tamen, improba, vivit!
Vivit adhuc, fruiturque Dei fecura favore!
Cernimus! & quicquam furiarum abfconditur orco?

Vah! pudor, æternumque probrum flygis, occidat, amens
Occidat, & noftræ fubeat confortia culpæ.
Hæc mihi feclufo cælis folatia tantùm
Excidii reftant; juvat hac conforte malorum
Poffe frui, juvat ad noftram feducere pænam
Fruftra exultantem, patriâque ex forte fuperbam.
Ærumnas exempla levant; minor illa ruina eft,
Que caput adverfi labens opprefferit hoftis.

On trouve dans Mazénius & dans Milton de petits épisodes, de légères excurfions abfolument semblables; l'un & l'autre parlent de Xerxès qui couvrit la mer de fes vaiffeaux.

Quantus erat Xerxes, medium qui contrahit orbem
Urbis in excidium.

Tous deux parlent fur le même ton de la tour de Babel; tous deux font la même description du luxe, de l'orgueil, de l'avarice, de la gourmandise.

Ce qui a le plus perfuadé le commun des lecteurs du plagiat de Milton, c'est la parfaite reffemblance du commencement des deux poëmes. Plufieurs lecteurs étrangers, après avoir lu l'exorde, n'ont pas douté que tout le reste du poëme de Milton ne fût pris de Mazénius. C'eft une erreur bien grande, & aifée à reconnaître.

Je ne crois pas que le poëte anglais ait imité en tout plus de deux cents vers du jefuite de Cologne; & j'ofe dire qu'il n'a imité que ce qui méritait de l'être. Ces deux cents vers font fort beaux; ceux de Milton le font auffi; & le total du poëme de Mazénius, malgré ces deux cents beaux vers, ne vaut rien du tout.

Molière prit deux fcènes entières dans la ridicule comédie du Pédant joué, de Cyrano de Bergerac. Ces deux fcènes font bonnes, difait-il en plaifantant avec fes amis, elles m'appartiennent de droit, je reprends mon bien. On aurait été après cela très - mal reçu à traiter de plagiaire l'auteur du Tartuffe & du Misanthrope.

Il eft certain qu'en général Milton, dans fon Paradis, a volé de fes propres ailes en imitant; & il faut

convenir que s'il a emprunté tant de traits de Grotius, & du jéfuite de Cologne, ils font confondus dans la foule des choses originales qui font à lui; il eft toujours regardé en Angleterre comme un très-grand poëte.

Il eft vrai qu'il aurait dû avouer qu'il avait traduit deux cents vers d'un jéfuite; mais de fon temps, dans la cour de Charles II, on ne se souciait ni des jéfuites, ni de Milton, ni du Paradis perdu, ni du Paradis retrouvé. Tout cela était ou bafoué ou inconnu.

E PREUVE.

TOUTES les abfurdités qui aviliffent la nature

humaine, nous font donc venues d'Afie, avec toutes les fciences & tous les arts! C'est en Afie, c'est en Egypte qu'on ofa faire dépendre la vie & la mort d'un accufé, ou d'un coup de dez, ou de quelque chofe d'équivalent; ou de l'eau froide, ou de l'eau chaude, ou d'un fer rouge, ou d'un morceau de pain d'orge. Une fuperftition à-peu-près femblable exifte encore, à ce qu'on prétend, dans les Indes, fur les côtes de Malabar, & au Japon.

Elle paffa d'Egypte en Grèce. Il y eut à Trezène un temple fort célèbre, dans lequel tout homme qui fe parjurait mourait fur le champ d'apoplexie. Hippolyte, dans la tragédie de Phèdre, parle ainfi à fa maîtresse Aricie:

Aux portes de Trezène, & parmi ces tombeaux,
Des princes de ma race antiques fépultures,

Eft un temple facré, formidable aux parjures.
C'est là que les mortels n'ofent jurer en vain;
Le perfide y reçoit un châtiment foudain;
Et craignant d'y trouver la mort inévitable,
Le menfonge n'a point de frein plus redoutable.

Le favant commentateur du grand Racine fait cette remarque fur les épreuves de Trezène.

,, M. de la Motte a dit qu'Hippolyte devait propofer ,, à fon père de venir entendre fa juftification dans " ce temple où l'on n'ofait jurer en vain. Il eft vrai " que Thésée n'aurait pu douter alors de l'innocence "de ce jeune prince; mais il eût eu une preuve trop '' convaincante contre la vertu de Phedre, & c'eft ce

qu'Hippolyte ne voulait pas faire. M. de la Motte ,, aurait dû se défier un peu de fon goût, en foup, çonnant celui de Racine, qui semble avoir prévu "fon objection. En effet, Racine suppose que Thésée " eft fi prévenu contre Hippolyte, qu'il ne veut pas "même l'admettre à fe juftifier par ferment.

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Je dois dire que la critique de la Motte eft de feu M. le marquis de Lassai. Il la fit à table chez M. de la Faye, où j'étais avec feu M. de la Motte, qui promit qu'il en ferait usage; & en effet, dans fes difcours fur la tragédie, (a) il fait honneur de cette critique à M. le marquis de Laffai. Cette réflexion me parut très-judicieuse, ainfi qu'à M. de la Faye, & à tous les convives qui étaient, excepté moi, les meilleurs connaisseurs de Paris. Mais nous convînmes tous que c'était Aricie qui devait demander à Théfée l'épreuve du temple de Trezène, d'autant plus que

(a) La Motte, tome IV, pag. 308,

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