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A ce propos quelqu'un me dira: Frère,
C'eft bien prêché; mais il fallait te taire.
Corrige-toi fans fermonner les gens.

Oui, mes amis, oui, je fuis très-coupable,
Et j'en conviens quand j'ai de bons momens;
Je prétends bien changer avec le temps,

Mais jufqu'ici le mal eft incurable.

Quand je dis que l'Ariofte égale Homère dans la defcription des combats, je n'en veux pour preuve que ces vers.

Suona l'un brando, e l'altro, or baffo, or alte :
Il martel di Vulcano era più tardo
Nella fpelunca affumicata, dove
Battea all'incude i folgori di Giove.

Afpro concerto, orribile armonia

D'alte querele, d'ululi e di ftrida

Della mifera gente, che peria

Nel fondo, per cagion della fua guida ;
Iftranamente concordar s'udia

Col fiero fuon della fiamma omicida.

L'alto rumor delle fonore trombe,

Di timpani, e di barbari ftromenti
Giunte al continuo fuon d'archi, di frombe
Di machine, di ruote, e di tormenti,
E quel, di che più per che'l ciel ribombe
Gridi, tumulti, gemiti, e lamenti
Rendono un' altro fuon, ch'a quel s'accorda
Con che i vicin, cadendo, il Nilo afforda.

Alle fquallide ripe dell' Acheronte
Sciolta del corpo, più freddo che ghiaccio,
Beftemmiando fuggi l'alma fdegnofa

Che fù fi altera al mondo, e fi orgogliofa.

Voici une faible traduction de ces beaux vers.

Entendez-vous leur armure guerrière

Qui retentit des coups de cimetère?

Moins violens, moins prompts font les marteaux
Qui vont frappant les céleftes carreaux,
Quand tout noirci de fumée & de poudre,
Au mont Etna Vulcain forge la foudre.

Concert horrible, exécrable harmonie,
De cris aigus & de longs hurlemens,
Du bruit des cors, des plaintes des mourans,
Et du fracas des maisons embrasées
Que fous leurs toits la flamme a renverfées.
Des inftrumens de ruine & de mort
Volans en foule & d'un commun effort,
Et la trompette organe du carnage,
De plus d'horreur empliffent ce rivage,
Que n'en reffent l'étonné voyageur
Alors qu'il voit tout le Nil en fureur,
Tombant des cieux qu'il touche & qu'il inonde,
Sur cent rochers précipiter fon onde.

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Fuit de fon corps & fort en blafphémant,
Superbe encore à fon dernier moment,
Et défiant les éternels abymes

Où s'engloutit la foule de fes crimes.

Il a été donné à l'Ariofte d'aller & de revenir de ces defcriptions terribles aux peintures les plus voluptueufes, & de ces peintures à la morale la plus fage. Ce qu'il y a de plus extraordinaire encore, c'est d'intéreffer vivement pour les héros & les héroïnes dont il parle, quoiqu'il y en ait un nombre prodigieux. Il y a prefque autant d'événemens touchans dans fon poëme que d'aventures grotefques; fon lecteur s'accoutume fi bien à cette bigarrure, qu'il paffe de l'un à l'autre fans en être étonné.

Je ne fais quel plaifant a fait courir le premier ce mot prétendu du cardinal d'Est : Messer Lodovico, dove avete pigliato tante coglionerie? Le cardinal aurait dû ajouter: Dove avete pigliato tante cofe divine? Auffi eft-il appelé en Italie il divino Ariofto.

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Il fut le maître du Taffe. L'Armide est d'après l'Alcine. Le voyage des deux chevaliers qui vont défenchanter Renaud, eft abfolument imité du voyage d'Aftolphe. Et il faut avouer encore que les imaginations fantafques qu'on trouve fi fouvent dans le poëme de Roland le furieux, font bien plus convenables à un fujet mêlé de férieux & de plaifant, qu'au poëme férieux du Taffe, dont le fujet femblait exiger des mœurs plus févères.

Ne paffons pas fous filence un autre mérite qui n'eft propre qu'à l'Ariofte; je veux parler des charmans prologues de tous fes chants.

Je n'avais pas ofé autrefois le compter parmi les poëtes épiques; je ne l'avais regardé que comme le premier des grotesques : mais en le relisant je l'ai trouvé auffi fublime que plaifant; & je lui fais trèshumblement réparation. Il eft très-vrai que le pape Léon X publia une bulle en faveur de l'Orlando furiofo, & déclara excommuniés ceux qui diraient du mal de ce poëme. Je ne veux pas encourir l'excommunication.

C'est un grand avantage de la langue italienne, ou plutôt c'est un rare mérite dans le Taffe & dans l'Ariofte, que des poëmes fi longs, non-feulement rimés, mais rimés en ftances, en rimes croifées, ne fatiguent point l'oreille, & que le poëte ne paraiffe presque jamais gêné.

Le Triffin, au contraire, qui s'est délivré du joug de la rime, femble n'en avoir que plus de contrainte, avec bien moins d'harmonie & d'élégance.

Spencer, en Angleterre, voulut rimer en stances son poëme de la Fée reine; on l'eftima, & perfonne ne le put lire.

Je crois la rime néceffaire à tous les peuples qui n'ont pas dans leur langue une mélodie fenfible, marquée par les longues & par les brèves, & qui ne peuvent employer ces dactyles & ces fpondées qui font un effet fi merveilleux dans le latin.

Je me fouviendrai toujours que je demandai au célébre Pope, pourquoi Milton n'avait pas rimé fon Paradis perdu? & qu'il me répondit: Becaufe he could not, parce qu'il ne le pouvait pas.

Je fuis perfuadé que la rime irritant, pour ainfi dire, tout moment le génie, lui donne autant d'élancemens que d'entraves; qu'en le forçant de tourner sa pensée en mille manières, elle l'oblige auffi de penfer

avec plus de jufteffe, & de s'exprimer avec plus de correction. Souvent l'artifte en s'abandonnant à la facilité des vers blancs, & fentant intérieurement le peu d'harmonie que ces vers produisent, croit y fuppléer par des images gigantefques qui ne font point dans la nature. Enfin, il lui manque le mérite de la difficulté furmontée.

Pour les poëmes en profe, je ne fais ce que c'eft que ce monftre. Je n'y vois que l'impuiffance de faire des vers. J'aimerais autant qu'on me propofât un concert fans inftrumens. Le Caffandre de la Calprenede sera, si l'on veut, un poëme en profe, j'y consens; mais dix vers du Taffe valent mieux.

De Milton.

SI Boileau, qui n'entendit jamais parler de Milton, absolument inconnu de fon temps, avait pu lire le Paradis perdu; c'eft alors qu'il aurait pu dire comme du Taffe:

Eh quel objet enfin à présenter aux yeux

Que le diable toujours hurlant contre les cieux!

Un épifode du Taffe eft devenu le fujet d'un poëme entier chez l'auteur anglais; celui-ci a étendu ce que l'autre avait jeté avec difcrétion dans la fabrique de fon poëme.

Je me livre au plaifir de tranfcrire ce que dit le Taffe au commencement du quatrième chant.

Quinci avendo pur tutto il penfier volto

A recar nè criftiani ultima doglia ;
Che fia comanda il popol fuo racolto,
(Concilio orrendo) entro la regia foglia.
Come fia pur leggiera impresa (ahi stolte }

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