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de trouver fon nom dans ces archives de la valeur. On affure même que long-temps après lui, quelques différends entre des villes grecques, au fujet des terrains limitrophes, furent décidés par des vers d'Homère. Il devint après fa mort le juge des villes dans lesquelles on prétend qu'il demandait l'aumône pendant fa vie. Et cela prouve encore que les Grecs avaient des poëtes long-temps avant d'avoir des géographes.

Il est étonnant que les Grecs fe fefant tant d'honneur des poëmes épiques, qui avaient immortalifé les combats de leurs ancêtres, ne trouvaffent personne qui chantât les journées de Marathon, des Thermopiles, de Platée, de Salamine. Les héros de ce temps-là valaient bien Agamemnon, Achille, & les Ajax.

Tirtée, capitaine, poëte, & muficien, tel que nous avons vu de nos jours le roi de Pruffe, fit la guerre, & la chanta. Il anima les Spartiates contre les Mefféniens par fes vers, & remporta la victoire. Mais fes ouvrages font perdus. On ne dit point qu'il ait paru de poëme épique dans le fiècle de Pericles; les grands talens fe tournèrent vers la tragédie : ainfi Homère refta feul, & fa gloire augmenta de jour en jour. Venons à fon Iliade.

De l'Iliade.

CE qui me confirme dans l'opinion qu'Homère était de la colonie grecque établie à Smyrne, c'eft cette foule de métaphores & de peintures dans le ftyle oriental. La terre qui retentit fous les pieds dans la marche de l'armée, comme les foudres de Jupiter fur

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les monts qui couvrent le géant Tiphée; un vent plus noir que la nuit qui vole avec les tempêtes; Mars & Minerve, fuivis de la Terreur, de la Fuite, & de l'infatiable Discorde, four & compagne de l'Homicide, dieu des combats, qui s'élève dès qu'elle paraît, & qui, en foulant la terre, porte dans le ciel fa tête orgueilleufe. Toute l'Iliade eft pleine de ces images; & c'eft ce qui fefait dire au fculpteur Bouchardon: Lorfque j'ai lu Homère, j'ai cru avoir vingt pieds de haut.

Son poëme, qui n'est point du tout intéressant pour nous, était donc très-précieux pour tous les Grecs.

Ses dieux font ridicules aux yeux de la raison, mais ils ne l'étaient pas à ceux du préjugé; & c'était pour le préjugé qu'il écrivait.

Nous rions, nous levons les épaules en voyant des dieux qui fe difent des injures, qui fe battent entr'eux, qui fe battent contre des hommes, qui font bleffés, & dont le fang coule; mais c'était-là l'ancienne théologie de la Grèce, & de prefque tous les peuples afiatiques. Chaque nation, chaque petite peuplade avait fa divinité particulière qui la conduifait aux combats.

Les habitans des nuées, & des étoiles qu'on fuppofait dans les nuées, s'étaient fait une guerre cruelle. La guerre des anges contre les anges était le fondement de la religion des brachmanes, de temps immémorial. La guerre des Titans, enfans du ciel & de la terre, contre les dieux maîtres de l'Olympe, était le premier mystère de la religion grecque. Typhon, chez les Egyptiens, avait combattu contre Oshiret, que nous nommons Ofiris, & l'avait taillé en pièces.

Madame Dacier, dans fa préface de l'Iliade, remarque très-sensément, après Eustache, évêque de Theffalonique, & Huet, évêque d'Avranches, que chaque nation voisine des Hébreux avait fon dieu des armées. En effet, Jephte ne dit-il pas aux Ammonites: (c) Vous poffedez justement ce que votre dieu Chamos vous a donné, fouffrez donc que nous avons ce que notre Dieu

nous donne.

les

Ne voit-on pas le DIEU de Juda vainqueur dans montagnes, (d) mais repouffé dans les vallées? Quant aux hommes, qui luttent contre les immortels, c'eft encore une idée reçue; Jacob lutte une nuit entière contre un ange de DIEU. Si Jupiter envoie un fonge trompeur au chef des Grecs, le Seigneur envoie un efprit trompeur au roi Achab. Ces emblèmes étaient fréquens, & n'étonnaient perfonne. Homère a donc peint son siècle; il ne pouvait pas peindre les fiècles fuivans.

On doit répéter ici que ce fut une étrange entreprise dans la Motte de dégrader Homère, & de le traduire; mais il fut encore plus étrange de l'abréger pour le corriger. Au lieu d'échauffer fon génie en tâchant de copier les fublimes peintures d'Homère, il voulut lui donner de l'efprit : c'eft la manie de la plupart des Français; une espèce de pointe qu'ils appellent un trait, une petite antithèse, un léger contrafte de mots leur fuffit. C'eft un défaut dans lequel Racine & Boileau ne font prefque jamais tombés. Mais combien d'auteurs, combien d'hommes de génie même se font laiffés féduire par ces puérilités qui deffèchent & qui énervent tout genre d'éloquence! (d) Juges, chap. I, v. 29.

(c) Chap. II, v. 24.

En voici, autant que j'en puis juger, un exemple bien frappant.

Phénix, au livre neuvième, pour apaifer la colère d'Achille, lui parle à-peu-près ainfi :

Les Prières, mon fils, devant vous éplorées,

Du fouverain des Dieux font les filles facrées;
Humbles, le front baiffé, les yeux baignés de pleurs,
Leur voix triste & plaintive exhale leurs douleurs.
On les voit d'une marche incertaine & tremblante
Suivre de loin l'Injure impie & menaçante,
L'Injure au front superbe, au regard fans pitié,
Qui parcourt à grands pas l'univers effrayé.
Elles demandent grâce.... & lorfqu'on les refufe,
C'est au trône des Dieux que leur voix vous accuse;
On les entend crier en lui tendant les bras:
Puniffez le cruel qui ne pardonne pas;

Livrez ce cœur farouche aux affronts de l'injure;
Rendez-lui tous les maux qu'il aime qu'on endure;
Que le barbare apprenne à gémir comme nous.
Jupiter les exauce; & fon jufte courroux
S'appefantit bientôt fur l'homme impitoyable.

Voilà une traduction faible, mais affez exacte; & malgré la gène de la rime, & la féchereffe de la langue, on aperçoit quelques traits de cette grande & touchante image, fi fortement peinte dans l'original.

Que fait le correcteur d'Homère? il mutile en deux vers d'antithefes toute cette peinture.

On offense les Dieux; mais par des facrifices,
De ces Dieux irrités on fait des Dieux propices.

Ce n'eft plus qu'une fentence triviale & froide. Il y a fans doute des longueurs dans le difcours de Phénix;

mais ce n'était pas la peinture des prières qu'il fallait retrancher.

Homère a de grands défauts, Horace l'avoue; tous les hommes de goût en conviennent; il n'y a qu'un commentateur qui puiffe être affez aveugle pour ne les pas voir. Pope lui-même, traducteur du poëte grec, dit que, c'est une vafte campagne, mais brute, où ,, l'on rencontre des beautés naturelles de toute espèce, " qui ne fe préfentent pas auffi régulièrement que , dans un jardin régulier; que c'eft une abondante " pépinière qui contient les femences de tous les ,, fruits, un grand arbre qui pouffe des branches " fuperflues qu'il faut couper. "

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Madame Dacier prend le parti de la vafte campagne, de la pépinière, & de l'arbre; & veut qu'on ne coupe rien. C'était fans doute une femme au-deffus de fon fexe, & qui a rendu de grands fervices aux lettres, ainfi que fon mari; mais quand elle fe fit homme, elle fe fit commentateur; elle outra tant ce rôle, qu'elle donna envie de trouver Homère mauvais. Elle s'opiniâtra au point d'avoir tort avec M. de la Motte même. Elle écrivit contre lui en régent de collége; & la Motte répondit comme aurait fait une femme polie & de beaucoup d'efprit. Il traduifit très-mal l'Iliade; mais il l'attaqua fort bien.

Nous ne parlerons pas ici de l'Odyffée; nous en dirons quelque chose quand nous ferons à l'Arioste.

De Virgile.

IL me femble que le fecond livre de l'Enéide, le quatrième & le fixième, font autant au-deffus de tous

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