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De toutes les odes modernes, celle où il règne le plus grand enthoufiafme qui ne s'affaiblit jamais, & qui ne tombe ni dans le faux, ni dans l'ampoulé, eft le Timothée, ou la fête d'Alexandre par Dryden : elle eft encore regardée en Angleterre comme un chefd'œuvre inimitable, dont Pope n'a pu approcher quand il a voulu s'exercer dans le même genre. Cette ode fut chantée; & fi on avait eu un muficien digne du poëte, ce ferait le chef-d'œuvre de la poëfie lyrique.

Ce qui eft toujours fort à craindre dans l'enthoufiafme, c'eft de fe livrer à l'ampoulé, au gigantefque, au galimatias. En voici un grand exemple, dans l'ode fur la naiffance d'un prince du fang royal.

Où fuis-je ? quel nouveau miracle
Tient encor mes fens enchantés ?
Quel vafte, quel pompeux spectacle
Frappe mes yeux épouvantés!
Un nouveau monde vient d'éclore:
L'univers fe reforme encore
Dans les abymes du chaos;
Et pour réparer ses ruines,
Je vois des demeures divines

Descendre un peuple de héros.

Nous prendrons cette occafion pour dire qu'il y a peu d'enthousiasme dans l'ode fur la prise de Namur.

Le hafard m'a fait tomber entre les mains une critique très-injufte du poëme des Saifons de M. de Saint-Lambert, & de la traduction des Géorgiques de Virgile par M. Delille. L'auteur acharné a décrier tout ce qui eft louable dans les auteurs vivans, & à louer

ce qui eft condamnable dans les morts, veut faire admirer cette ftrophe:

Je vois monter nos cohortes

La flamme & le fer en main,

Et fur les monceaux de piques,

De corps morts, de rocs, de briques,
S'ouvrir un large chemin.

Il ne s'aperçoit pas que les termes de piques & de briques font un effet très-désagréable; que ce n'est point un grand effort de monter fur des briques, que l'image de briques est très-faible après celle des morts; qu'on ne monte point fur des monceaux de piques, & que jamais on n'a entaffé de piques pour aller à l'affaut ; qu'on ne s'ouvre point un large chemin fur des rocs; qu'il fallait dire: Je vois nos cohortes s'ouvrir un large chemin à travers les débris des rochers, au milieu des armes brifées, & fur des morts entaffes; alors il y aurait eu de la gradation, de la vérité, & une image terrible. Le critique n'a été guidé que par fon mauvais goût, par la rage de l'envie qui dévore tant de petits auteurs fubalternes. Il faut pour s'ériger en critique, être un Quintilien, un Rollin; il ne faut pas avoir l'infolence de dire cela eft bon, ceci eft mauvais, fans en apporter des preuves convaincantes. Ce ne ferait plus reffembler à Rollin dans fon Traité des études; ce ferait reffembler à Fréron, & être par conféquent très-méprifable.

&

ENVI E.

ON connaît affez tout ce que l'antiquité a dit de cette paffion honteufe, & ce que les modernes ont répété. Héfiode eft le premier auteur claffique qui en ait parlé.

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Le potier porte envie au potier, l'artifan à l'ar,, tifan, le pauvre même au pauvre, le muficien au ,, musicien, (ou fi l'on veut donner un autre fens au ,, mot Aoidos) le poëte au poëte. ››

Long-temps avant Hefiode, Job avait dit: l'envie tue les petits.

Je crois que Mandeville, auteur de la fable des abeilles, eft le premier qui ait voulu prouver que l'envie est une fort bonne chose, une paffion très-utile. Sa première raison eft que l'envie eft auffi naturelle à l'homme que la faim & la foif; qu'on la découvre dans tous les enfans, ainfi que dans les chevaux & dans les chiens. Voulez-vous que vos enfans se haïssent, caressez l'un plus que l'autre; le fecret eft infaillible.

Il prétend que la première chofe que font deux jeunes femmes qui fe rencontrent eft de fe chercher des ridicules, & la feconde de fe dire des flatteries.

Il croit que fans l'envie les arts feraient médiocrement cultivés, & que Raphaël n'aurait pas été un grand peintre, s'il n'avait pas été jaloux de MichelAnge.

Mandeville a peut-être pris l'émulation pour l'envie; peut-être auffi l'émulation n'eft-elle qu'une envie qui fe tient dans les bornes de la décence.

Michel-Ange pouvait dire à Raphaël : Votre envie ne vous a porté qu'à travailler encore mieux que moi; vous ne m'avez point décrié ; vous n'avez point cabalé contre moi auprès du pape, vous n'avez point tâché de me faire excommunier pour avoir mis des borgnes & des boiteux en paradis, & de fucculens cardinaux, avec de belles femmes nues comme la main en enfer, dans mon tableau du jugement dernier. Allez, votre envie eft très-louable; vous êtes un brave envieux, foyons bons amis.

Mais fi l'envieux eft un miférable fans talens, jaloux. du mérite comme les gueux le font des riches; fi preffé par l'indigence comme par la turpitude de fon caractère, il vous fait des Nouvelles du Parnaffe, des Lettres de madame la comteffe, des Années littéraires, cet animal étale une envie qui n'eft bonne à rien, & dont Mandeville ne pourra jamais faire l'apologie.

On demande pourquoi les anciens croyaient que l'œil de l'envieux enforcelait les gens qui le regardaient. Ce font plutôt les envieux qui font enforcelés.

Defcartes dit: Que l'envie pouffe la bile jaune qui vient de la partie inférieure du foie, & la bile noire qui vient de la rate, laquelle fe répand du cœur par les artères &c. Mais comme nulle espèce de bile ne fe forme dans la rate, Defcartes, en parlant ainfi, semblait ne pas trop mériter qu'on portât envie à fa phyfique.

Un certain Voet ou Voetius, poliffon en théologie, qui accufa Descartes d'athéisme, était très-malade de la bile noire; mais il favait encore moins que Defcartes, comment fa détestable bile se répandait dans fon sang. Madame Pernelle a raifon :

Les envieux mourront; mais non jamais l'envie,

Mais c'est un bon proverbe, qu'il vaut mieux faire envie que pitié. Fefons donc envie autant que nous

pourrons.

EPIGRAM M E.

CE mot

E mot veut dire proprement infcription; ainsi une épigramme devait être courte. Celles de l'anthologie grecque font pour la plupart fines & gracieufes; elles n'ont rien des images groffières que Catulle & Martial ont prodiguées, & que Marot & d'autres ont imitées. En voici quelques-unes traduites avec une briéveté dont on a fouvent reproché à la langue française d'être privée. L'auteur eft inconnu.

Sur les facrifices à Hercule.

Un peu de miel, un peu de lait,

Rendent Mercure favorable;

Hercule eft bien plus cher, il eft bien moins traitable,
Sans deux agneaux par jour il n'eft point fatisfait.
On dit qu'à mes moutons ce Dieu fera propice.
Qu'il foit béni! mais entre nous

C'est un peu trop en facrifice :

Qu'importe qui les mange ou d'Hercule ou des loups!

Sur Laïs qui remit fon miroir dans le temple de Vénus.

Je le donne à Vénus puisqu'elle eft toujours belle,
Il redouble trop mes ennuis.

Je ne faurais me voir dans ce miroir fidelle

Ni telle que j'étais, ni telle que je fuis.

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