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les pèlerins de la Mecque prient DIEU de ne point rencontrer de vifages triftes fur leur chemin.

SECTION IV.

LUDLOW, enthousiaste de la liberté plutôt que fanatique de religion, ce brave homme qui avait plus de haine pour Cromwell que pour Charles I, rapporte que les milices du parlement étaient toujours battues par les troupes du roi, dans le commencement de la guerre civile; comme le régiment des portes-cochères ne tenait pas du temps de la fronde contre le grand Condé. Cromwell dit au général Fairfax: Comment voulezvous que des portes-faix de Londres, & des garçons de boutique indifciplinés, réfiftent à une noblesse animée par le fantôme de l'honneur? préfentons-leur un plus grand fantôme, le fanatifme. Nos ennemis ne combattent que pour le roi, perfuadons à nos gens qu'il font la guerre pour DIEU.

Donnez-moi une patente, je vais lever un régiment de frères meurtriers, & je vous réponds que j'en ferai des fanatiques invincibles.

Il n'y manqua pas, il compofa fon régiment des frères rouges, de fous mélancoliques; il en fit des tigres obéiffans. Mahomet n'avait pas été mieux servi par fes foldats.

Mais pour infpirer ce fanatifme, il faut que l'efprit du temps vous feconde. Un parlement de France effayerait en vain aujourd'hui de lever un régiment de portes-cochères; il n'ameuterait pas feulement dix femmes de la halle.

Il n'appartient qu'aux habiles de faire des fanatiques & de les conduire; mais ce n'eft pas affez d'être fourbe & hardi, nous avons déjà vu que tout dépend de venir au monde à propos.

SECTION V.

:

LA géométrie ne rend donc pas toujours l'efprit jufte. Dans quel précipice ne tombe-t-on pas encore avec ces lifières de la raifon ? Un fameux proteftant, (*) que l'on comptait entre les premiers mathématiciens de nos jours, & qui marchait fur les traces des Newton, des Leibnitz, des Bernouilli, s'avifa, au commencement de ce fiècle, de tirer des corollaires affez finguliers. Il eft dit qu'avec un grain de foi on transportera des montagnes; & lui, i, par une analyse toute géométrique, fe dit à lui-même : J'ai beaucoup de grains de foi, donc je ferai plus que transporter des montagnes. Ce fut lui qu'on vit à Londres, en l'année 1707, accompagné de quelques favans, & même de favans qui avaient de l'efprit, annoncer publiquement qu'ils reffufciteraient un mort dans tel cimetière que l'on voudrait. Leurs raifonnemens étaient toujours conduits par la fynthèse, Ils difaient : Les vrais difciples doivent faire des miracles; nous fommes les vrais disciples, nous ferons donc tout ce qu'il nous plaira. De fimples faints de l'Eglife romaine, qui n'étaient point géomètres, ont reffufcité beaucoup d'honnêtes gens; donc à plus forte raison, nous qui avons réformé les réformés, nous reffufciterons qui nous voudrons.

(*) Fatio Duillier.

Il n'y a rien à répliquer à ces argumens; ils font dans la meilleure forme du monde. Voilà ce qui a inondé l'antiquité de prodiges; voilà pourquoi les temples d'Ffculape à Epidaure, & dans d'autres villes, étaient pleins d'ex voto; les voûtes étaient ornées de cuiffes redreffées, de bras remis, de petits enfans d'argent; tout était miracle.

Enfin le fameux proteftant géomètre dont je parle était de fi bonne foi, il affura fi pofitivement qu'il reffusciterait les morts, & cette propofition plausible fit tant d'impreffion fur le peuple, que la reine Anne fut obligée de lui donner un jour, une heure & un cimetière à fon choix, pour faire fon miracle loyalement & en présence de la justice. Le faint géomètre choifit l'églife cathédrale de St Paul pour faire fa démonstration: le peuple fe rangea en haie, des foldats furent placés pour contenir les vivans & les morts dans le refpect; les magiftrats prirent leurs places; le greffier écrivit tout fur les régiftres publics; on ne peut trop conftater les nouveaux miracles. On déterra un corps au choix du faint; il pria, il fe jeta à genoux, il fit de très - pieuses contorfions; fes compagnons l'imitèrent; le mort ne donna aucun figne de vie; on le reporta dans fon trou, & on punit légérement le reffufciteur & fes adhérens. J'ai vu depuis un de ces pauvres gens; il m'a avoué qu'un d'eux était en péché véniel, & que le mort en pâtit, fans quoi la réfurrection était infaillible.

S'il était permis de révéler la turpitude de gens à qui l'on doit le plus fincère respect, je dirais ici que Newton, le grand Newton, a trouvé dans l'Apocalypfe, que le pape eft l'antechrift, & bien d'autres chofes

de cette nature; je dirais qu'il était arien très-férieufement. Je fais que cet écart de Newton eft à celui de mon autre géomètre, comme l'unité eft à l'infini: il n'y a point de comparaifon à faire. Mais quelle pauvre espèce que le genre-humain, fi le grand Newton a cru trouver dans l'Apocalypfe l'hiftoire présente de l'Europe!

Il femble que la fuperftition foit une maladie épidémique, dont les ames les plus fortes ne font pas toujours exemptes. Il y a en Turquie des gens de très-bon fens, qui fe feraient empaler pour certains fentimens d'Abubeker. Ces principes une fois admis, ils raisonnent très-conféquemment : les Navariciens, les Radariftes, les Jabaristes, fe damnent chez eux réciproquement avec des argumens très-fubtils; ils tirent tous des conféquences plausibles; mais ils n'ofent jamais examiner les principes.

Quelqu'un répand dans le monde qu'il y a un géant haut de foixante & dix pieds; bientôt après tous les docteurs examinent de quelle couleur doivent être fes cheveux, de quelle grandeur eft fon pouce, quelles dimensions ont fes ongles : on crie, on cabale, on fe bat; ceux qui foutiennent que le petit doigt du géant n'a que quinze lignes de diamètre, font brûler ceux qui affirment que le petit doigt a un pied d'épaiffeur. Mais, Meffieurs, votre géant exifte-t-il? dit modeftement un paffant. Quel doute horrible! s'écrient tous ces difputans; quel blafphème! quelle abfurdité! Alors il font tous une petite trève pour lapider le paffant, & après l'avoir affaffiné en cérémonie, de la manière la plus édifiante, ils fe battent entr'eux comme de coutume, au fujet du petit doigt & des ongles.

FANTAISIE.

FANTAISIE

ANTAISIE fignifiait autrefois l'imagination, & on ne se servait guère de ce mot, que pour exprimer cette faculté de l'ame qui reçoit les objets sensibles.

Defcartes, Gaffendi, & tous les philosophes de leur temps, difent que les efpèces, les images des chofes fe peignent en la fantaifie; & c'eft de-là que vient le mot fantôme. Mais la plupart des termes abftraits font reçus à la longue dans un fens différent de leur origine, comme des inftrumens que l'induftrie emploie à des ufages nouveaux.

Fantaifie veut dire aujourd'hui un défir fingulier, un goût paffager: il a eu la fantaisie d'aller à la Chine; la fantaisie du jeu, du bal, lui a paffé.

Un peintre fait un portrait de fantaisie, qui n'eft d'après aucun modèle. Avoir des fantaisies, c'est avoir des goûts extraordinaires qui ne font pas de durée. Fantaisie en ce fens eft moins que bizarrerie & que caprice.

Le caprice peut fignifier un dégoût fubit & déraifonnable. Il a eu la fantaifie de la mufique, & il s'en eft dégoûté par caprice.

La bizarrerie donne une idée d'inconféquence & de mauvais goût, que la fantaisie n'exprime pas; il a eu la fantaisie de bâtir, mais il a conftruit fa maison dans un goût bizarre.

Il y a encore des nuances entre avoir des fantaifies & être fantafque : le fantafque approche beaucoup plus du bizarre.

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