Page images
PDF
EPUB

SECTION II.

SI cette expreffion tient encore à fon origine, ce n'eft que par un filet bien mince.

Fanaticus était un titre honorable; il fignifiait deffervant ou bienfaiteur d'un temple. Les antiquaires, comme le dit le dictionnaire de Trévoux, ont retrouvé des infcriptions, dans lefquelles des romains confidérables prenaient ce titre de fanaticus.

Dans la harangue de Cicéron pro domo fua, il y a un paffage où le mot fanaticus me paraît difficile à expliquer. Le féditieux & débauché Clodius, qui avait fait exiler Cicéron pour avoir fauvé la république, nonfeulement avait pillé & démoli les maifons de ce grand-homme; mais afin que Cicéron ne pût jamais rentrer dans fa maifon de Rome, il en avait consacré le terrain, & les prêtres y avaient bâti un temple à la Liberté, ou plutôt à l'Esclavage, dans lequel Céfar, Pompée, Craffus, & Clodius, tenaient alors la république : tant la religion dans tous les temps a fervi à persécuter les grands-hommes.

Lorsqu'enfin, dans un temps plus heureux, Cicéron fut rappelé, il plaida devant le peuple pour obtenir que le terrain de fa maison lui fût rendu, & qu'on la rebâtît aux frais du peuple romain. Voici comme il s'exprime dans fon plaidoyer contre Clodius.

Afpicite, pontifices, afpicite hominem religiofum, monete eum modum effe religionis nimium, effe fuperftitiofum, non oportere; quid tibi neceffe fuit anili fuperftitione, homo fanatice, facrificium quod aliena domi fieret invifere?

Le mot fanaticus fignifie-t-il en cette place, infenfé fanatique, impitoyable fanatique, abominable fanatique, comme on l'entend aujourd'hui ? ou bien fignifie-t-il pieux, confécrateur, homme religieux, dévot zélateur des temples? ce mot eft-il ici une injure ou une louange ironique ? je n'en fais pas affez pour décider, mais je vais traduire.

,,Regardez, pontifes, regardez cet homme reli"gieux, avertiffez-le que la religion même a fes ,, bornes, qu'il ne faut pas être fi fcrupuleux. Quel ,, besoin, vous confécrateur, vous fanatique, quel " befoin avez-vous de recourir à des fuperftitions " de vieille, pour affister à un facrifice qui fe fefait " dans une maison étrangère?",

Cicéron fait ici allufion aux mystères de la bonne déeffe, que Clodius avait profanés en fe gliffant déguisé en femme avec une vieille, pour entrer dans la maison de Cefar, & pour y coucher avec fa femme : c'est donc ici évidemment une ironie.

Cicéron appelle Clodius homme religieux; l'ironie doit donc être foutenue dans tout ce paffage. Il fe fert de termes honorables pour mieux faire fentir la honte de Clodius. Il me paraît donc qu'il emploie le mot fanatique comme un mot honorable, comme un mot qui emporte avec lui l'idée de confécrateur, de pieux, de zélé deffervant d'un temple.

On put depuis donner ce nom à ceux qui fe crurent infpirés par les Dieux.

Les Dieux à leur interprète

Ont fait un étrange don;
Ne peut-on être prophète
Sans qu'on perde la raison?

Le même dictionnaire de Trévoux dit que les anciennes chroniques de France appellent Clovis fanatique & paien. Le lecteur défirerait qu'on nous eût défigné ces chroniques. Je n'ai point trouvé cette épithète de Clovis, dans le peu de livres que j'ai vers le mont Krapak où je demeure.

On entend aujourd'hui par fanatisme une folie religieufe, fombre, & cruelle. C'eft une maladie de l'efprit qui fe gagne comme la petite vérole. Les livres la communiquent beaucoup moins que les affemblées & les difcours. On s'échauffe rarement en lifant; car alors on peut avoir le fens raffis. Mais quand un homme ardent & d'une imagination forte parle à des imaginations faibles, fes yeux font en feu, & ce feu fe communique; fes tons, fes geftes, ébranlent tous les nerfs des auditeurs. Il crie: DIEU vous regarde, facrifiez ce qui n'eft qu'humain; combattez les combats du Seigneur : & on va combattre.

Le fanatifme eft à la fuperftition ce que le transport eft à la fièvre, ce que la rage eft à la colère.

Celui qui a des extafes, des vifions, qui prend des fonges pour des réalités, & fes imaginations pour des prophéties, eft un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l'amour de DIEU.

Barthelemi Diaz fut un fanatique profès. Il avait à Nuremberg un frère Jean Diaz, qui n'était encore qu'enthousiaste luthérien, vivement convaincu que le pape eft l'antechrift, ayant le figne de la bête. Barthelemi encore plus vivement perfuadé que le pape eft Dieu en terre, part de Rome pour aller convertir ou tuer

fon frère; il l'affaffine; voilà du parfait : & nous avons ailleurs rendu justice à ce Diaz.

Polyeucle qui va au temple, dans un jour de folemnité, renverser & caffer les ftatues & les ornemens, eft un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins fot. Les affaffins du duc François de Guife, de Guillaume prince d'Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, & de tant d'autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.

Le plus grand exemple de fanatisme eft celui des bourgeois de Paris qui coururent affaffiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la St Barthelemi, leurs concitoyens qui n'allaient point à la meffe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l'ex-jéfuite Paulian ne font que des fanatiques du coin de la rue, des miférables à qui on ne prend pas garde. Mais un jour de St Barthelemi ils feraient de grandes chofes.

Il y a des fanatiques de fang-froid; ce font les juges qui condamnent à la mort ceux qui n'ont d'autre crime que de ne pas penfer comme eux, & ces juges-là font d'autant plus coupables, d'autant plus dignes de l'exécration du genre - humain, que n'étant pas dans un excès de fureur comme les Cléments, les Châtels, les Ravaillacs, les Damiens, il femble qu'ils pourraient écouter la raison.

Il n'eft d'autre remède à cette maladie épidémique que l'efprit philofophique qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, & qui prévient les accès du mal; car dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir & attendre que l'air foit purifié. Les lois & la religion ne fuffifent pas contre

la

la pefte des ames; la religion, loin d'être pour elles un aliment falutaire, fe tourne en poifon dans les cerveaux infectés. Ces miférables ont fans ceffe présent à l'esprit l'exemple d'Aod qui affaffine le roi Eglon; de Judith qui coupe la tête d'Holopherne, en couchant avec lui; de Samuël qui hâche en morceaux le roi Agag; du prêtre Joad qui affaffine fa reine à la porteaux-chevaux &c. &c. &c. Ils ne voient pas que ces exemples, qui font refpectables dans l'antiquité, font abominables dans le temps préfent : ils puifent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.

Les lois font encore très- impuiffantes contre ces accès de rage; c'eft comme fi vous lifiez un arrêt du confeil à un frénétique. Ces gens-là font perfuadés que l'efprit faint qui les pénètre eft au-deffus des lois, que leur enthoufiafme eft la feule loi qu'ils doivent entendre.

Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à DIEU qu'aux hommes, & qui en conféquence eft fûr de mériter le ciel en vous égorgeant?

Lorfqu'une fois le fanatifme à gangrené un cerveau, la maladie eft presqu'incurable. J'ai vu des convulfionnaires qui, en parlant des miracles de faint Pâris, s'échauffaient par degrés parmi eux; leurs yeux s'enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, & ils auraient tué quiconque les eût contredit.

Oui, je les ai vus ces convulfionnaires, je les ai vus tordre leurs membres & écumer. Ils criaient; Il faut du fang. Ils font parvenus à faire affaffiner leur roi par un laquais, & ils ont fini par ne crier que contre les philofophes.

Dictionn. philofoph. Tome IV.

[ocr errors]
« PreviousContinue »