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corrompu l'ancienne mythologie. Les confuls & les préteurs trouvaient bon qu'on traitât gaiement fur la fcène l'aventure des deux Sofies; mais ils n'auraient pas fouffert qu'on eût attaqué devant le peuple le culte de Jupiter & de Mercure. C'eft ainsi que mille chofes, qui paraiffent contradictoires, ne le font point. J'ai vu fur le théâtre d'une nation favante & fpirituelle, des aventures tirées de la Légende dorèe; dira-t-on pour cela que cette nation permet qu'on infulte aux objets de la religion? Il n'eft pas à craindre qu'on devienne païen pour avoir entendu à Paris l'opéra de Proferpine, ou pour avoir vu à Rome les noces de Pfyché, peintes dans un palais du pape par Raphaël. La fable forme le goût, & ne rend personne idolâtre.

Les belles fables de l'antiquité ont encore ce grand avantage fur l'hiftoire, qu'elles préfentent une morale fenfible: ce font des leçons de vertu, & prefque toute l'histoire eft le succès des crimes. Jupiter, dans la fable, descend fur la terre pour punir Tantale & Lycaon; mais dans l'histoire, nos Tantales & nos Lycaons font les dieux de la terre. Baucis & Philemon obtiennent que leur cabanne foit changée en un temple : nos Baucis & nos Philemons voient vendre par le collecteur des tailles leurs marmites, que les dieux changent en vafes d'or dans Ovide.

Je fais combien l'histoire peut nous inftruire, je fais combien elle est nécessaire; mais en vérité il faut lui aider beaucoup pour en tirer des règles de conduite. Que ceux qui ne connaiffent la politique que dans les livres, fe fouviennent toujours de ces vers de Corneille:

Les exemples récens fuffiraient pour m'inftruire,
Si par l'exemple feul on devait fe conduire;

Mais fouvent l'un fe perd où l'autre s'eft fauvé,
Et par où l'un périt, un autre eft confervé.

Henri VIII, tyran de fes parlemens, de ses miniftres, de fes femmes, des confciences, & des bourfes, vit & meurt paifible. Le bon, le brave Charles I périt fur un échafaud. Notre admirable héroïne Marguerite d'Anjou donne en vain douze batailles en perfonne contre les Anglais, fujets de fon mari. Guillaume III chaffe Jacques II d'Angleterre fans donner bataille. Nous avons vu de nos jours la famille impériale de Perfe égorgée, & des étrangers fur fon trône. Pour qui ne regarde qu'aux événemens, l'hiftoire femble accufer la Providence, & les belles fables morales la juftifient. Il eft clair qu'on trouve dans elles l'utile & l'agréable. Ceux qui dans ce monde ne font ni l'un ni l'autre, crient contre elles. Laiffons-les dire, & lifons Homère & Ovide, auffi- bien que Tite - Live & RapinThoiras. Le goût donne des préférences; le fanatifme donne les exclufions.

Tous les arts font amis, ainfi qu'ils font divins:
Qui veut les féparer eft loin de les connaître.
L'histoire nous apprend ce que font les humains,
La fable ce qu'ils doivent être.

FACILE. (GRAMMAIR E. )

FACILENC

ACILE ne fignifie pas feulement une chofe aisément faite, mais encore qui paraît l'être. Le pinceau du Corrège eft facile. Le flyle de Quinault eft beaucoup plus facile que celui de Defpréaux, comme le ftyle d'Ovide l'emporte en facilité fur celui de Perfe.

Cette facilité en peinture, en musique, en éloquence, en poësie, confifte dans un naturel heureux, qui n'admet aucun tour de recherche, & qui peut fe paffer de force & de profondeur. Ainfi les tableaux de Paul Véronèse ont un air plus facile & moins fini que ceux de Michel-Ange. Les fymphonies de Rameau font fupérieures à celles de Lulli, & femblent moins faciles. Boffuet eft plus véritablement éloquent & plus facile que Fléchier. Rouffeau, dans fes épîtres, n'a pas beaucoup près la facilité & la vérité de Defpréaux.

à

Le commentateur de Defpréaux dit que ce poëte exact & laborieux avait appris à l'illuftre Racine à faire difficilement des vers; & que ceux qui paraissent faciles, font ceux qui ont été faits avec le plus de difficulté.

Il eft très-vrai qu'il en coûte fouvent pour s'exprimer avec clarté : il eft vrai qu'on peut arriver au naturel par des efforts; mais il eft vrai auffi qu'un heureux génie produit fouvent des beautés faciles fans aucune peine, & que l'enthousiasme va plus loin que l'art.

La plupart des morceaux paffionnés de nos bons poëtes font fortis achevés de leur plume, & paraiffent d'autant plus faciles, qu'ils ont en effet été compofés fans travail : l'imagination alors conçoit & enfante aifément. Il n'en eft pas ainfi dans les ouvrages didactiques; c'eft là qu'on a befoin d'art pour paraître facile. Il y a, par exemple, beaucoup moins de facilité que de profondeur, dans l'admirable Effai fur l'homme de Pope.

On peut faire facilement de très-mauvais ouvrages qui n'auront rien de gêné, qui paraîtront faciles, &

c'eft

c'est le partage de ceux qui ont, fans génie, la malheureuse habitude de compofer. C'est en ce fens qu'un personnage de l'ancienne comédie, qu'on nomme italienne, dit à un autre :

Tu fais de méchans vers admirablement bien.

Le terme de facile eft une injure pour une femme, & eft quelquefois dans la fociété une louange pour un homme; c'eft fouvent un défaut dans un homme d'Etat.

Les mœurs d'Atticus étaient faciles; c'était le plus aimable des Romains. La facile Cléopâtre fe donna à Antoine auffi aifément qu'à Céfar. Le facile Claude se laissait gouverner par Agrippine. Facile n'eft là par rapport à Claude qu'un adouciffement; le mot propre eft faible.

Un homme facile eft en général un efprit qui fe rend aifément à la raifon, aux remontrances, un cœur qui fe laiffe fléchir aux prières : & faible eft celui qui laiffe prendre fur lui trop d'autorité.

FACTION.

De ce qu'on entend par ce mot.

LE mot faction venant du latin facere, on l'emploie

pour fignifier l'état d'un foldat à fon pofte, en faction; les quadrilles ou les troupes des combattans dans le cirque; les factions vertes, bleues, rouges, blanches.

Dictionn. philofoph. Tome IV.

N

&

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La principale acception de ce terme fignifie un parti féditieux dans un Etat. Le terme de parti par lui-même n'a rien d'odieux, celui de faction l'eft toujours.

Un grand - homme & un médiocre peuvent avoir aifément un parti à la cour, dans l'armée, à la ville, dans la littérature.

On peut avoir un parti par fon mérite, par la chaleur & le nombre de fes amis, fans être chef de parti.

Le maréchal de Catinat, peu confidéré à la cour, s'était fait un grand parti dans l'armée fans y prétendre.

Un chef de parti eft toujours un chef de faction: tels ont été le cardinal de Retz, Henri duc de Guife, & tant d'autres.

Un parti féditieux, quand il est encore faible, quand il ne partage pas tout l'Etat, n'eft qu'une faction.

La faction de Céfar devint bientôt un parti dominant qui engloutit la république.

Quand l'empereur Charles VI difputait l'Espagne à Philippe V, il avait un parti dans ce royaume, & enfin il n'y eut plus qu'une faction. Cependant on peut dire toujours le parti de Charles VI.

Il n'en eft pas ainfi des hommes privés. Defcartes eut long-temps un parti en France; on ne peut dire qu'il eut une faction.

C'eft ainfi qu'il y a des mots fynonymes en plufieurs cas, qui ceffent de l'être dans d'autres.

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