Page images
PDF
EPUB

F.

FABL E.

IL L eft vraisemblable que les fables dans le goût de celles qu'on attribue à Efope, & qui font plus anciennes que lui, furent inventées en Afie par les premiers peuples fubjugués : des hommes libres n'auraient pas eu toujours befoin de déguifer la vérité; on ne peut guère parler à un tyran qu'en paraboles, encore ce détour même est-il dangereux.

Il fe peut très-bien auffi que les hommes aimant naturellement les images & les contes, les gens d'efprit fe foient amufés à leur en faire fans aucune autre vue. Quoi qu'il en foit, telle eft la nature de l'homme, que la fable eft plus ancienne que l'hiftoire.

Chez les Juifs, qui font une peuplade toute nouvelle (a) en comparaifon de la Chaldée & de Tyr fes voifines, mais fort ancienne par rapport à nous, on voit des fables toutes semblables à celles d'Efope dès le temps des juges; c'eft-à-dire, mille deux cents trente-trois ans avant notre ère, fi on peut compter fur de telles fupputations.

Il eft donc dit dans les Juges, que Gédéon avait foixante & dix fils, qui étaient fortis de lui parce qu'ïl

(a) Il eft prouvé que la peuplade hébraïque n'arriva en Palestine que dans un temps où le Canaan avait déjà d'affez puiffantes villes; Tyr, Sidon, Berith, floriffaient. Il eft dit que Jofué détruifit Jericho & la ville des lettres, des archives, des écoles, appelée Cariat Sepher ; donc les Juifs n'étaient alors que des étrangers qui portaient le ravage chez des peuples policés.

avait plufieurs femmes, & qu'il eut d'une fervante un autre fils nommé Abimélec.

Or cet Abimélec écrafa fur une même pierre foixante & neuf de fes frères, felon la coutume; & les Juifs pleins de refpect & d'admiration pour Abimelec, allèrent le couronner roi fous un chêne auprès de la ville de Mélo, qui d'ailleurs eft peu connue dans l'histoire.

Joatham, le plus jeune des frères, échappé feul au carnage, (comme il arrive toujours dans les anciennes histoires) harangua les Juifs; il leur dit que les arbres allèrent un jour fe choisir un roi. On ne voit pas trop comment des arbres marchent; mais s'ils parlaient, ils pouvaient bien marcher. Ils s'adreffèrent d'abord à l'olivier, & lui dirent: Règne. L'olivier répondit: Je ne quitterai pas le foin de mon huile pour régner fur vous. Le figuier dit qu'il aimait mieux fes figues que l'embarras du pouvoir fuprême. La vigne donna la préférence à fes raifins. Enfin les arbres s'adreffèrent au buiffon; le buiffon répondit: Je régnerai fur vous, je vous offre mon ombre; & fi vous n'en voulez pas, le feu fortira du buiffon & vous dévorera.

Il est vrai que la fable pèche par le fond; parce que le feu ne fort point d'un buiffon: mais elle montre l'antiquité de l'ufage des fables.

Celle de l'eftomac & des membres, qui fervit à calmer une fédition dans Rome, il y a environ deux mille trois cents ans, eft ingénieuse & fans défaut. Plus les fables font anciennes, plus elles font allégoriques.

L'ancienne fable de Vénus, telle qu'elle eft rapportée dans Héfiode, n'eft-elle pas une allégorie de la nature entière? Les parties de la génération font tombées

de l'Ether fur le rivage de la mer : Vénus naît de cette écume précieuse; fon premier nom eft celui d'Amante de l'organe de la génération, Philometės: y a-t-il une image plus fenfible?

Cette Vénus eft la déeffe de la beauté; la beauté ceffe d'être aimable, fi elle marche fans les grâces; la beauté fait naître l'amour; l'amour a des traits qui percent les cœurs; il porte un bandeau qui cache les défauts de ce qu'on aime; il a des ailes, il vient vîte & fuit de même.

La fageffe eft conçue dans le cerveau du maître des Dieux fous le nom de Minerve; l'ame de l'homme eft un feu divin que Minerve montre à Prométhée, qui fe fert de ce feu divin pour animer l'homme.

Il eft impoffible de ne pas reconnaître dans ces fables une peinture vivante de la nature entière. La plupart des autres fables font, ou la corruption des hiftoires anciennes, ou le caprice de l'imagination. Il en eft des anciennes fables comme de nos contes modernes il y en a de moraux qui font charmans; il en eft qui font infipides.

:

Les fables des anciens peuples ingénieux ont été groffièrement imitées par des peuples groffiers; témoin celles de Bacchus, d'Hercule, de Prométhée, de Pandore, & tant d'autres; elles étaient l'amusement de l'ancien monde. Les barbares qui en entendirent parler confufément, les firent entrer dans leur mythologie fauvage; & enfuite ils ofèrent dire, c'eft nous qui les avons inventées. Hélas! pauvres peuples ignorés & ignorans, qui n'avez connu aucun art ni agréable ni utile, chez qui même le nom de géométrie ne parvint jamais, pouvez-vous dire que vous avez inventé quelque

chofe? Vous n'avez fu ni trouver des vérités, ni mentir habilement.

La plus belle fable des Grecs eft celle de Pfyché. La plus plaifante fut celle de la matrone d'Ephefe.

La plus jolie parmi les modernes fut celle de la folie, qui ayant crevé les yeux à l'amour, eft condamnée à lui fervir de guide.

Les fables attribuées à Efope font toutes des emblèmes, des inftructions aux faibles, pour fe garantir des forts autant qu'ils le peuvent. Toutes les nations un peu favantes les ont adoptées. La Fontaine eft celui qui les a traitées avec le plus d'agrément : il y en a environ quatre-vingts qui font des chefs-d'œuvre de naïveté, de grâces, de fineffe, quelquefois même de poëfie; c'eft encore un des avantages du fiècle de Louis XIV d'avoir produit un la Fontaine. Il a trouvé fi bien le fecret de fe faire lire, fans prefque le chercher, qu'il a eu en France plus de réputation que l'inventeur même.

Boileau ne l'a jamais compté parmi ceux qui fefaient honneur à ce grand fiècle; fa raifon ou fon prétexte était qu'il n'avait jamais rien inventé. Ce qui pouvait encore excufer Boileau, c'était le grand nombre de fautes contre la langue & contre la correction du ftyle: fautes que la Fontaine aurait pu éviter, & que ce févère critique ne pouvait pardonner. C'était la cigale, qui ayant chanté tout l'été, s'en alla crier famine chez la fourmi fa voifine, qui lui dit, qu'elle la payera avant l'ouft, foi d'animal, intérêt & principal; & à qui la fourmi répond: Vous chantiez, j'en fuis fort aife; hé bien danfez

maintenant.

C'était le loup qui voyant la marque du collier du chien, lui dit: Je ne voudrais pas même à ce prix un tréfor. Comme fi les tréfors étaient à l'ufage des loups. C'était la race efcarbote, qui eft en quartier d'hiver comme la marmote.

C'était l'aftrologue qui fe laiffa cheoir, & à qui on dit: Pauvre bête, penfes-tu lire au-deffus de ta tête? En effet, Copernic, Galilée, Caffini, Halley, ont très-bien lu au-dessus de leur tête ; & le meilleur des aftronomes peut fe laiffer tomber fans être une pauvre bête.

L'aftrologie judiciaire eft à la vérité une charlatanerie très-ridicule; mais ce ridicule ne confiftait pas à regarder le ciel, il confiftait à croire ou à vouloir faire croire qu'on y lit ce qu'on n'y lit point. Plufieurs de ces fables ou mal choifies, ou mal écrites, pouvaient mériter en effet la cenfure de Boileau.

Rien n'eft plus infipide que la femme noyée, dont on dit qu'il faut chercher le corps en remontant le cours de la rivière, parce que cette femme avait été contredifante.

Le tribut des animaux envoyé au roi Alexandre est une fable, qui, pour être ancienne, n'en eft pas meilleure. Les animaux n'envoient point d'argent à un roi; & un lion ne s'avife pas de voler de l'argent.

Un fatyre qui reçoit chez lui un passant, ne doit point le renvoyer fur ce qu'il fouffle d'abord dans fes doigts, parce qu'il a trop froid; & qu'enfuite en prenant l'écuelle aux dents il fouffle fur fon potage qui eft trop chaud. L'homme avait très-grande raison, & le fatyre était un fot. D'ailleurs on ne prend point l'écuelle avec les dents.

« PreviousContinue »