Page images
PDF
EPUB

S'il faut ou s'il ne faut pas rendre le peuple fuperftitieux.

S'il y a quelque chofe de vrai en métaphysique, en hiftoire, en morale.

Si le goût eft arbitraire, & s'il eft en effet un bon & un mauvais goût, &c. &c.

Pour décider tout d'un coup toutes ces queftions, prenez un exemple de ce qu'il y a de plus extrême dans chacune; comparez les deux extrémités oppofées, & vous trouverez d'abord le vrai.

Vous voulez favoir fi la conduite peut décider infailliblement du fuccès à la guerre; voyez le cas le plus extrême, les fituations les plus oppofées où la conduite feule triomphera infailliblement. L'armée ennemie eft obligée de paffer dans une gorge profonde de montagnes; votre général le fait ; il fait une marche forcée, il s'empare des hauteurs, il tient les ennemis enfermés dans un défilé; il faut qu'ils périffent ou qu'ils fe rendent. Dans ce cas extrême, la fortune ne peut avoir nulle part à la victoire. Il eft donc démontré que l'habileté peut décider du fuccès d'une campagne; de cela feul il eft prouvé que la guerre eft un art.

Enfuite imaginez une position avantageuse, mais moins décifive; le fuccès n'est pas fi certain, mais il eft toujours très-probable. Vous arrivez ainfi de proche en proche jusqu'à une parfaite égalité entre les deux armées; qui décidera alors? la fortune, c'eft-à-dire, un événement imprévu : un officier-général tué lorsqu'il va exécuter un ordre important, un corps qui s'ébranle fur un faux bruit, une terreur panique, & mille autres cas auxquels la prudence ne peut remédier; mais il refte toujours certain qu'il y a un art, une tactique.

Il en faut dire autant de la médecine, de cet art d'opérer de la tête & de la main, pour rendre à la vie un homme qui va la perdre.

Le premier qui faigna & purgea à propos un homme tombé en apoplexie; le premier qui imagina de plonger un biftouri dans la veffie pour en tirer un caillou, & de refermer la plaie; le premier qui fut prévenir la gangrène dans une partie du corps ; étaient fans doute des hommes prefque divins, & ne ressemblaient pas aux médecins de Molière.

Defcendez de cet exemple palpable à des expériences moins frappantes & plus équivoques; vous voyez des fièvres, des maux de toute espèce qui se guériffent, fans qu'il foit bien prouvé fi c'eft la nature ou le médecin qui les a guéries; vous voyez des maladies dont l'iffue ne peut fe deviner; vingt médecins s'y trompent; celui qui a le plus d'efprit, le coup d'œil plus jufte, devine le caractère de la maladie. Il y a donc un art; & l'homme fupérieur en connaît les fineffes. Ainfi la Peyronie devina qu'un homme de la cour devait avoir avalé un os pointu qui lui avait caufé un ulcère, & le mettait en danger de mort; ainsi Boerhaave devina la caufe de la maladie auffi inconnue que cruelle d'un comte de Vaffenaar. Il y a donc réellement un art de la médecine; mais dans tout art il y a des Virgiles & des Mævius.

Dans la jurifprudence, prenez une cause nette, dans laquelle la loi parle clairement ; une lettre de change bien faite, bien acceptée; il faudra par tout pays que l'accepteur foit condamné à la payer. Il y a donc une jurifprudence utile, quoique dans mille cas, les jugemens foient arbitraires, pour le malheur

du genre - humain, parce que les lois font mal faites.

Voulez-vous favoir fi les belles-lettres font du bien à une nation; comparez les deux extrêmes : Cicéron & un ignorant groffier. Voyez fi c'eft Pline ou Attila qui fit la décadence de Rome.

On demande fi l'on doit encourager la fuperftition dans le peuple; voyez fur tout ce qu'il y a de plus extrême dans cette funeste matière, la St Barthelemi, les maffacres d'Irlande, les croisades; la question eft bientôt réfolue.

Y a-t-il du vrai en métaphyfique? Saififfez d'abord les points les plus étonnans & les plus vrais ; quelque chofe exifte, donc quelque chofe exifte de toute éternité. Un Etre éternel exifte par lui-même; cet Etre peut n'être ni méchant ni inconféquent. Il faut fe rendre à ces vérités; prefque tout le reste est abandonné à la difpute, & l'efprit le plus jufte démêle la vérité lorsque les autres cherchent dans les ténèbres.

Y a-t-il un bon & un mauvais goût? Comparez les extrêmes; voyez ces vers de Corneille dans Cinna.

Octave ofe accuser le deftin d'injuftice,

Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton fupplice,
Et que par ton exemple à ta perte guidés,
Ils violent des droits que tu n'a pas gardés.

Comparez-les à ceux-ci dans Othon.

Dis-moi donc, lorsqu'Othon s'eft offert à Camille,
A-t-il été content, a-t-elle été facile?
Son hommage auprès d'elle a-t-il eu plein effet?
Comment l'a-t-elle pris, & comment l'a-t-il fait?

Par cette comparaifon des deux extrêmes, il eft bientôt décidé qu'il exifte un bon & un mauvais goût.

Il en eft en toutes chofes comme des couleurs; les plus mauvais yeux diftinguent le blanc & le noir, les yeux meilleurs, plus exercés, discernent les nuances qui fe rapprochent.

Ufque adeo quod tangit idem eft; tamen ultima diflant.

EZECHIE L.

De quelques paffages finguliers de ce prophète, & de quelques ufages anciens.

On fait affez aujourd'hui qu'il ne faut pas juger des

usages anciens par les modernes : qui voudrait réformer la cour d'Alcinous dans l'Odyffée, fur celle du grandturc, ou de Louis XIV, ne ferait pas bien reçu des favans qui reprendrait Virgile d'avoir représenté le roi Evandre couvert d'une peau d'ours, & accompagné de deux chiens, pour recevoir des ambaffadeurs, ferait un mauvais critique.

Les mœurs des anciens Egyptiens & Juifs font encore plus différentes des nôtres, que celles du roi Alcinous, de Naufica fa fille, & du bon-homme Evandre. Ezechiel, esclave chez les Chaldéens, eut une vifion près de la petite rivière de Chobar qui fe perd dans l'Euphrate.

On ne doit point être étonné qu'il ait vu des animaux à quatre faces & à quatre ailes, avec des pieds de veau, ni des roues qui marchaient toutes

feules, & qui avaient l'efprit de vie; ces fymboles plaifent même à l'imagination; mais plufieurs critiques fe font révoltés contre l'ordre que le Seigneur lui donna de manger pendant trois cents quatre-vingt-dix jours, du pain d'orge, de froment, & de millet, couvert d'excrémens humains.

Le prophète s'écria, pouah! pouah! pouah! mon ame n'a point été jufqu'ici pollue; & le Seigneur lui répondit: Hé bien, je vous donne de la fiente de bœuf au lieu d'excrément d'homme, & vous pétrirez votre pain avec cette fiente.

Comme il n'eft point d'usage de manger de telles confitures fur fon pain, la plupart des hommes trouvent ces commandemens indignes de la majesté divine. Cependant il faut avouer que de la bouze de vache & tous les diamans du grand-mogol font parfaitement égaux, non-feulement aux yeux d'un être divin, mais à ceux d'un vrai philosophe; & à l'égard des raifons que DIEU pouvait avoir d'ordonner un tel déjeûner au prophète, ce n'eft pas à nous de les demander.

Il fuffit de faire voir que ces commandemens qui nous paraissent étranges, ne le parurent pas aux Juifs.

Il eft vrai que la fynagogue ne permettait pas, du temps de St Jérôme, la lecture d'Ezechiel avant l'âge de trente ans; mais c'était parce que dans le chapitre XVIII, il dit que le fils ne portera plus l'iniquité de fon père, & qu'on ne dira plus, les pères ont mangé des raisins verts, & les dents des enfans en font agacées.

En cela il fe trouvait expressément en contradiction avec Moïfe qui, au chapitre XXVIII des Nombres, affure que les enfans portent l'iniquité des pères, jufqu'à la troifième & quatrième génération.

« PreviousContinue »