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a eu deux

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eiples d'Ariftote voyant leur Maître avancé en âge & d'une fanté fort affoiblie, le prierent de leur nommer fon fucceffeur ; que comme il avoit deux hommes dans fon Ecole fur qui feuls ce ilyen choix pouvoit tomber, Menedeme le Rhodien, & autres du Theophrafte d'Erefe, par un efprit de ménagement même pour celuy qu'il vouloit exclure, il fe declara de nom; l'un cette maniere : Il feignit peu de temps aprés que Philofo- fes difciples luy eurent fait cette pricre,& en leur phe cyniquest'au. prefence, que le vin dont il faifoit un usage orditre difci naire luy étoit nuifible; il fe fit apporter des vins ple de de Rhodes & de Lefbos, il goûta de tous les deux, Platon. dit qu'ils ne démentoient point leur terroir,& que chacun dans fon genre étoit excellent, que le premier avoit de la force, mais que celuy de Lefbos avoit plus de douceur,& qu'il luy donnoit la préference. Quoy qu'il en foit de ce fait qu'on lit. dans Aulu-Gelle, il eft certain que lorsqu'Ariftote accufé par Eurimedon Preftre de Cerés, d'avoir mal parlé des Dieux, craignant le deftin de Socrate, voulut fortir d'Athenes, & fe retirer à Calcis, ville d'Eubée, il abandonna fon Ecole au Lefbien, luy confia fes écrits, à condition de les tenir fecrets; & c'est par Theophrafte que fontvenus jufques à nous les Ouvrages de ce grandhome.

Poëte

tagique

Son nom devint fi celebre par toute la Grece, que Succeffeur d'Ariftote il peut compter bien-toft dans l'Ecole qu'il luy avoit laiffée jufques à deux mille difciples. Il excita l'envie de * Sophocle fils Un au d'Amphicfide, & qui pour lors étoit Preteur: tre que le celuy-cy, en effet fon ennemy, mais fous prétexte d'une exacte police, & d'empêcher les affemblées, fit une loy qui défendoit fur peine de la vie à aucun Philofophe d'enfeigner dans les Ecoles. Ils obeirent; mais l'année fuivante Philon ayant fuccedé à Sophocle qui étoit forti de charge, le peuple d'Athenes abrogea cette loy odieule que ce dernier avoit faite, le comdamna à une amende de cinq talens, rétablit Theophrafte, & le reste des Philofophes.

Plus heureux qu'Ariftote qui avoit été con

traint de ceder à Eurimedon,il fut fur le point de voir un certaint Agnonide puni comme impie par les Atheniens,feulemét à caufe qu'il avoit ofé l'accufer d'impiété tant étoit grande l'affectionque ce peuple avoit pour lui,&qu'il meritoitpar fa vertu

En effet on luy rend ce témoignage, qu'il avoit. une finguliere prudence, qu'il étoit zelé pour le bien public,laborieux, officieux, affable, bien faifant. Ainfi au rapport de Plutarque, lorfqu'Erefe fut accablée de Tyrans qui avoient ufurpé la domination de leur pais, il fe joignità Phydias fon compatriote, contribua avec luy de fes biens pour armer les bannis qui rentrerent dans leur vil-* Un aule, en chafferent les traîtres, & rendirent à toute tre quela l'Ife de Lefbos fa liberté.

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Tant de rares qualitez ne luy acquirent pas feulement la bien veillance du peuple, mais encore l'eftime & la familiarité des Rois: il fut amy de Caffandre qui avoit fuccedé à Aridée frere d'Alexandre le Grand au Royaume de Macedoine & Ptolomée fils de Lagus & premier Roy d'Egypte entretint toûjours un commerce étroit avec ce Philofophe. Il mourut enfin accablé d'années & de fatigues,& il ceffa tout à la fois de travailler & de vivre:toute la Grece le pleura & tout le peuple Athenien afhifta à fes funerailles.

L'on raconte de luy que dans fon extrême viel leffe ne pouvat plus marcher à pied, il fe faifoit porter en littiere par la ville, où il étoit vû du peuple à qui il étoit fi cher. L'on dit auffi que fes difciples qui entouroient fon lit lorfqu'il mourut, luy ayant demandé s'il n'avoit rien à leur recommander, il leur tint ce difcours. La vie nous fe duit,elle nous promet de grand plaifirs dans la poffeffion de la gloire;mais à peine commence- <* t'on à vivre, qu'il faut mourir: il n'y a fouvent rien de plus fterile que l'amour de la reputation. Cependant mes difciples: contentez-vous: fi vous negligez l'heftime des hommes, vous vous épargnez à vous-mêmes de grands tra- ** A炒

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fameux

Sculpteur

vaux s s'il ne rebutent point vôtre courage, il peut arriver que la gloire fera vôtre recompenfe: fouvenez-vous feulement qu'il y a dans la vie beaucoup de chofes inutiles, & qu'il y en a peu qui menent à une fin folide. Ce n'eft point à moy à déliberer fur le parti que je dois prendre, il n'eft plus tems: pour vous qui avez à me furvivre, vous ne fauriez pefer trop meurement ce que vous devez faire: & ce furent là fes dernieres paroles.

Ciceron dans le troifiéme livres des Tufculanes dit que Theophrafte mouranr fe plaignit de la nature, de ce qu'elle avoit accordé aux Cerfs & auxCorneilles une vie fi longue & qui leur eft fi inutile, lorfqu'elle n'avoit donné aux hommes qu'une vie tres-courte, bien qu'il leur importe 11 fort de vivre long-tems; que fi l'âge des hommes eût pû s'étendre à un plus grad nombre d'années,il seroit arrivé que leur vie auroit été cultivée par une doctrine univerfelle; & qu'il n'y auroit eu dás le monde,ny art nyfcience qui n'eut atteint fa perfection. Et faint Jerôme dans l'endroit déja cité affure que Theophrafte à l'âge de cent fept ans frappé de la maladie dont il mourut, regretta de fortir de la vie dans un tems où il ne faifoit que commencer à eftre fage.

Il avoit coûtume de dire qu'il ne faut pas aimer Les amis pour les éprouver, mais les éprouver, pour les aimer, que les amis doivent être communs entre les freres, comme tout eft commun entre les amis, que l'on devoit plûtoft fe fier à un cheval faus frein, qu'à celui qui parle fans jugement;quela plus forte dépense que l'on puiffe faire,eft celle du tems. Il dit un jour à un homme qui fe taifoit à table dans un feftin; fi tu es un habile homme, tu as tort de ne pas parler; mais s'il n'eft pas ainfi,tu en fais beaucoup voila quelques-unes de fes maximes.

Mais fi nous parlons de fes ouvrages, ils font infinis, & nous n'apprenons pas que nul ancien aiz plus écrit que Theophrafte: Diogene Laerce fair

l'énumeration de plus de deux cens traitez differés, & fur toutes fortes de fujets qu'il a compofez la plus grandes parties s'eftperdue par le malheur des tems, & l'autre fe reduit à vingt traitez qui font recueillis dans le volume de fes œuvres : l'on y voit neuf livres de l'histoire des plante,, fix livres de leurs caufes il a écrit des vents, du feu,des pierres, du miel,des fignes du beau tems, des fignes de la pluye, des fignes de la tempête,des odeurs, de la fueur du vertige, de la laffitude,du relâchement des nerfs,de la défaillance, des poiffons qui vivent hors de l'eau, des animaux qui changent de couleur, des animaux qui naiffent fubitement, des anfmaux fujer à l'envie, des caracteres des mœurs: voilà ce qui nous refte de les écrits: entre lefquels ce dernier feul dont on donne la traduction, peut répondre non feulement de la beauté de ceux que l'on vient de déduite, mais encore da merite d'un nombre infini d'autres qui ne font point venus jufques à nous.

Que fi quelques-uns fe refroidiffoient pour cer ouvrage moral par les chofes qui y voyeur, qui font du tems auquel il a été écrit, & qui ne font point felon leurs moeurs; que peuvent-ils faire de plus utile & de plus agreable pour eux, que de fe défaire de cette prévention pour leur coûtumes & leur manieres, qui fans autre difcution non feulemet les leur fait trouver les meilleures de toutes, mais leur fait presque décider que tout ce qui n'y eft pas conforme eft méprifable, & qui les prive dans la lecture des Livres des anciens, du plaifir & de l'inftruction qu'ils en doivent'attendre.

Nous qui fommes fi modernes ferons anciens dans quelques ficcles:alors l'hiftoire du notre fera gouter à la pofterité la venalité des charges, c'eft à dire le pouvoir de proteger l'innoncence, de punir le crime, & de faire juftice à tout le monde, acheté à deniers comptens comme une metairie, la fplendeur des Partifans, gens fi meprifez chez les Hebreux & chez les Grecs. L'on entendra parler

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par

d'une Capitale d'un grand Royaume, où il n'y avoit ni places publiques, ni bains ni fontaines, ni amphitheatres, ni galeries, ni portiques, ni promenoirs, qui étoit pourtant une ville merveilJeufe: l'on dira que tout le cours de la vie s'y paffoit prefque à fortir de fa maison, pour aller fe renfermer dans celle d'un autre que d'honnêtes femmes qui n'etoient ny marchandes, ny hôtelieres, avoient leurs maifons ouvertes à ceux qui payoient pour y entrer que l'on avoit à choisir des dez, des cartes, & de tous les jeux que l'on mangeoit dans ces maifons, & qu'elles étoient commodes à tout commerce. L'on faura que le peuple ne paroiffoit dans la ville que pour y paffer avec precipitatio,nul entretie,nulle familiarité;. que tout y étoit farouche & comme allarmé le bruit des chars qu'il faloit éviter, & qui s'abandonnoient au milieu des rues, comme on fait dans une lice pour remporter le prix de la courfe: L'on apprendra fans étonnement qu'en pleine paix & dans une tranquillité publique, des citoyens entroient dans les Temples, alloient voir des femmes. ou vifitoient leurs amis avec des armes offenfives, & qu'il n'y avoit prefque perfonnes qui n'eût à fon côté dequoy pouvoir d'un feul coup en tuer un autre. Ou ti ceux qui viendront apres nous, rebatez par des mœurs fi étranges & fidifferentes des leurs, fe dégoûtent par là de nos memoires, de nos poëfies, de nôtre comique & de nos fatyres,. pouvons-nous ne les pas plaindre par avance de fe priver euxx-mêmes par cette fauffe délicateffe, de la lecture de fi beaux ouvrages, fi travaillez, fi reguliers, & de la connoiffance du plus beau Regne dont jamais l'histoize ait été embellie.

Ayons donc pour les livres des Anciens cette même indulgence que nous efperons nous-mêmes de la pofterité, perfuadez que les hommes n'ont point d'ufages ny de coûtumes qui foienr de tous Jes fiecles, qu'elles changent avec les temps; que nous fommes trop éloignez de celles qui ont paffé & trop proches de celles qui regnent encore, pous

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