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diocre de la mefure, fait le fond de cette forte de fpectacle; & dans les occafions folemnelles, il eft d'une reffource aifée qui fupplée au défaut d'imagination. Un bal eft fitôt ordonné, fi facilement arrangé; il faut fi peu de combinaifons dans l'efprit pour le rendre magnifique ; il naît tant d'hommes communs, & on en voit fi peu qui foient capables d'inventer des chofes nouvelles, qu'il étoit dans la nature que les bals de cérémonie une fois trouvés, fuffent les fêtes de touts les temps.

Ils fe multiplièrent en Grèce, à Rome & dans l'Italie. On y danfoit froidement des danfes graves. On n'y paroiffoit qu'avec la parure la plus recherchée ; la richeffe, le luxe y étaloient avec dignité une magnificence monotone. On n'y trouvoit alors, comme de nos jours, que beaucoup de pompe fans un grand faste fans invention, l'air de diffipation fans gaieté.

art,

C'eft dans ces occafions que les perfonnages les plus refpectables fe faifoient honneur d'avoir cultivé la danfe dans leur jeuneffe. Socrate eft loué des philofophes qui ont vécu après lui, de ce qu'il

danfoit comme un autre dans les bals de cérémonie d'Athènes. Platon, le divin Platon mérita leur blâme pour avoir refufé de danfer à un bal que donnoit un roi de Syracufe; & le févère Caton, qui avoit négligé de s'inftruire dans les premiers ans de fa vie, d'un art qui étoit devenu chez les Romains un objet féri.ux, crut devoir fe livrer à 59 ans, comme le bon M. Jourdain, aux ridicules inftructions d'un maître à danfer de Rome.

Le préjugé de dignité & de bienséance établi en faveur de ces affemblées, fe conferva dans toute l'antiquité. Il paffa enfuite dans toutes les conquêtes des Romains, & après la deftruction de l'empire, les états qui fe formèrent de fes débris retinrent tous cette inftitution ancienne. On donna des bals de cérémonie jufqu'au temps où le génie trouva des moyens plus ingénieux de fignaler la magnificence & le goût des fouverains; mais ces belles inventions n'anéantirent point un ufage fi connu; les bals subsistèrent & furent même confacrés aux occafions de la plus haute cérémonie.

Lorfque Louis XII voulut móntrer toute la dignité de fon rang à la ville de Milan, il ordonna un bal folemnel où toute la nobleffe fut invitée. Le roi en fit l'ouverture; les cardinaux de Saint-Seve

rin & de Narbonne y danfèrent; les dames les plus aimables y firent éclater leur goût, leur richeffe, leurs graces.

Philippe II alla à Trente en 1562, pendant la tenue du concile. Le cardinal Hercule de Mantoue qui y préfidoit en affembla les pères, pour déterminer la manière dont le fils de l'empereur Charles-Quint y feroit reçu. Un bal de cérémonie fur délibéré la pluralité des voix. Le jour fut pris; les dames les plus qualifiées furent invitées, & après un grand feftin, felon le cardinal Palavicini, dont j'emprunte ce trait hiftorique, elles danfèrent Equitation, Efcrime & Danfe,

avec autant de modeftie que de dignité.

La décence, l'honnêteté, la convenance de ces fortes de fêtes étoient au refte, dans ce temps, fi folemnellement établies dans l'opinion des hommes, que l'amer Fra-Paolo dans fes déclamations cruelles contre ce concile, ne crut pas même ce trait fufceptible de critique.

La reine Catherine de Médicis qui avoit des deffeins & qui n'eut jamais de fcrupules, égaya ces fêtes, & leur donna même une tournure d'efprit qui y rappella le plaifir. Pendant fa régence, elle mena le roi à Bayonne, où fa fille reine d'EfPagne, vint la joindre avec le duc d'Albe, que la regente vouloit entretenir. C'est-là qu'elle déploya touts les petits refforts de fa politique vis-à-vis d'un reffources de la galanterie vis-à-vis d'une foule de miniftre qui en connoiffoit de plus grands, & les courtifans divifés qu'elle avoit intérêt de diftraire de l'objet principal qui l'avoit amenée.

Les ducs de Savoie & de Lorraine, plufieurs de France, qui étoit aufli magnifique que nomautres princes étrangers étoient accourus à la cour breufe. La reine qui vouloit donner une haute idée de fon adminiftration, donna le bal deux fois le jour, feftins fur feftins, fête fur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût & d'invention.

Dans une petite ifle fituée dans la rivière de Bayonne, & qui étoit couverte d'un bois de hautefutaye, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutiffoient à un fallon de forme ronde qu'on avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité immenfe de luftres de fleurs furent fufpendus aux arbres, & on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes & des princeffes du fang étoit dreffée dans le milieu du fallon, en forte que rien ne leur cachoit la vue des douze berceaux où étoient les tables deftinées au refte de la cour.

Plufieurs fymphonistes diftribués derrière les berceaux & cachés par les arbres, fe firent entendre dès que le roi parut. Les filles d'honneur des deux reines, vêtues élégamment, partie en nimphes, partie en nayades, fervirent la table du roi. Des fatyres qui fortoient du bois leur apportoient tout ce qui étoit néceffaire pour le fervice.

On avoit à peine joui quelques moments de cet agréable coup d'oeil, qu'on vit fucceffivement paroître pendant la durée de ce feftin, différentes troupes de danfeurs & de danfeufes repréfentant les habitants des provinces voifines, qui danfèrent les uns après les autres, les danfes qui leur étoient propres, avec les inftruments & les habits de leur pays,

Le feftin fini, les tables difparurent; des amphithéâtres de verdure, & un parquet de gazon furent mis en place, comme par magie; le bal de cérémonie commença ; & la cour s'y diftingua par la noble gravité des danfes férieufes, qui étoient

Rr

alors le fond unique de ces pompeufes affemblées.

Ces fortes d'embelliffements aux bals de cérémonie, leur ont donné quelquefois un ton de galanterie & d'efprit, qui a pu leur ôter l'uniformité languiffante qui leur eft propre.

Ceux de Louis XIV furent magnifiques. Ils fe reffentoient de cet air de grandeur qu'il imprimoit à tout ce qu'il ordonnoit; mais il ne fut pas en fon pouvoir de les fauver de la monotonie. Il femble que la dignité foit incompatible avec cette douce liberté, qui feule fait naître, entretient & fçait varier le plaifir. En lifant la defcription que je vais copier ici du bal que donna Louis XIV pour le mariage de M. le duc de Bourgogne, on peut croire avoir vu la defcription de touts les autres.

On partagea, (dit l'hiftorien que je ne fais que tranfcrire), en trois parties égales la gallerie de Verfailles, par deux baluftrades dorées de quatre pieds de hauteur. La partie du milieu faifoit le centre du bal. On y avoit placé une eftrade de deux marches, couverte des plus beaux tapis des Gobelins, fur laquelle on rangea dans le fond des fauteuils de velours cramoifi, garnis de grandes crépines d'or. C'eft-là que furent placés le roi & la reine d'Angleterre, madame la ducheffe de Bourgogne, les princes & les princeffes du fang.

Les trois autres côtés étoient bordés au premier rang de fauteuils fort riches pour les ambaffadeurs, les princes & les princeffes étrangères, les ducs, les ducheffes & les grands officiers de la couronne. D'autres rangs de chaifes derrière ces fauteuils étoient remplis par des perfonnes de confidération de la cour & de la ville.

A droite & à gauche du centre du bal étoient des amphithéâtres occupés par la foule des fpectateurs; mais pour éviter la confufion, on n'entroit que par un moulinet l'un après l'autre.

Il y avoit encore un petit amphithéâtre féparé, où étoient placés les vingt-quatre violons du roi, avec fix hautbois & fix flûtes douces.

Toute la gallerie étoit illuminée par de grands luftres de cristal & quantité de girandoles garnies de groffes bougies. Le roi avoit fait prier par billets tout ce qu'il y a de perfonnes les plus diftinguées de l'un & de l'autre fexe de la cour & de la ville, avec ordre de ne paroître au bal qu'en habits des plus propres & des plus riches; de forte que les moindres habits d'hommes coûtoient jufqu'à trois à quatre cents piftoles. Les uns étoient de velours brodé d'or & d'argent, & doublés d'un brocard qui coûtoit jufqu'à cinquante écus l'aune; d'autres étoient vêtus de drap d'or ou d'argent. Les dames n'étoient pas moins parées : l'éclat de leur pierreries faifoit aux lumières un effet admirable. Comme j'étois appuyé ( continue l'auteur que je copie) fur une balustrade vis-à-vis l'eftrade où étoit placé le roi, je comptai que cette magnifique affemblée pouvoit être compofée de fept à huit cents perfonnes, dont les différentes parures formojent un fpedacle digne d'admiration.

M. & madame de Bourgogne ouvrirent le bal par une courante, enfuite madame de Bourgogne prit le roi d'Angleterre, lui la reine d'Angleterre, elle le roi, qui prit madame de Bourgogne; elle prit Monfeigneur, il prit Madame, qui prit M. le duc de Berri. Ainfi fucceffivement touts les princes & les princeffes du fang danfèrent chacun felon fon

rang.

M. le duc de Chartres, depuis Régent, y danfa un menuet & une farabande de fi bonne grace (1) avec madame la princeffe de Conti, qu'ils s'attirèrent l'admiration de toute la cour.

Comme les princes & les princeffes du fang étoient en grand nombre, cette première cérémo nie fut affez longue pour que le bal fit une paufe, pendant laquelle des fuiffes précédés des premiers officiers de la bouche, apportèrent fix tables ambulatoires fuperbement fervies en ambigus, avec des buffets chargés de toutes fortes de rafraîchiffemens, qui furent placés dans le milieu du bal, où chacun eut la liberté d'ailer manger & boire à difcrétion pendant une demi-heure.

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Outre ces tables ambulantes il y avoit une grande chambre à côté de la gallerie qui étoit gar nie fur des gradins d'une infinité de baffins remplis de tout ce qu'on peut s'imaginer pour compofer une fuperbe collation dreflee d'une propreté enchantée. MONSIEUR, & plufieurs dames & fergneurs de la cour vinrent voir ces appareils & sy rafraîchir pendant la pause du bal. Je les fuivis auffi, ils prirent feulement quelques grenades, citrons, oranges, & quelques confitures fèches; mais fot qu'ils furent fortis, tout fut abandonné à la difcrétion du public, & tout cet appareil fut pillé en moins d'un demi-quart d'heure, pour ne pas dire dans un moment.

Il y avoit dans une autre chambre deux grands buffets garnis, l'un de toutes fortes de vins, & l'autre de toutes fortes de liqueurs & d'eau rafrai chiffante. Les buffets étoient féparés par des baluf trades, & en dedans une infinité d'officiers du gobelet avoient le foin de donner, à qui en vouloit, tout ce qu'on leur demandoit pour rafraîchiffemens pendant tout le temps du bal, qui dura toure la nuit. Le roi en fortit à onze heures avec le roi d'Angleterre, la reine & les princes du fang, pour aller fouper. Pendant tout le temps qu'il y fut on ne danfa que des danfes graves & ferieufes, où la bonne grace & la bonne nobleffe de la danfe parurent dans tout fon luftre.

A cette gravité fi l'on ajoute les embarras du cérémonial, la froide répétition des danfes, les regles rigides établies pour le maintien de l'ordre de ces fortes d'affemblées, le filence, la contrainte, l'inaction de tout ce qui ne danfe pas, on trouvera que le bal de cérémonie eft de touts les moyens fe réjouir, celui qui eft le plus propre à ennuyer.

de

[1] Bonnet lui avoit dédié foa hiftcire de la danfe, de laquelle ceci cft p:is.

Il eft cependant arrivé fouvent que la bifarrerie des circonstances l'a rendu le plaifir à la mode, au point qu'un menuet dansé avec grace étoit feul capable de faire une grande réputation. Dom Juan d'Autriche, vice-roi des Pays-Bas, partit exprès en pofte de Bruxelles, & vint à Paris incognito pour voir danfer à un bal de cérémonie avec Marguerite de Valois, qui paffoit pour la meilleure danseuse de l'Europe.

Des bals mafqués.

On s'ennuyoit à Rome dans les bals de cérémonie, & on s'amufoit dans la célébration des fêtes faturnales fous mille déguisements différents. Le goût pour le plaifir fit bientôt un feul de ces deux genres. On garda les bals férieux pour les occafions de grandes représentations, & on donna des bals maiqués dans les circonftances où l'on voulut

rire.

Les aventures que le mafque fervoit ou faifoit naître, les caractères divers de danfe qu'il donnoit occafion d'imaginer, l'amufement des préparatifs, le charme de l'exécution, les équivoques badines auxquelles l'incognito donnoit lieu, firent & devoient faire le fuccès de cet amufement, qui tient autant à l'efprit qu'à la joie. Il a été extrêmement à la mode pendant près de deux cents ans; on a fur-tout donné des bals mafqués magnifiques durant le règne de Louis XIV. Mais les bals publics, dont je parlerai bientôt, firent tomber touts des autres pendant la régence, & la mode des premiers n'eft pas encore revenue.

Les Grecs n'ont point eu ce genre, il femble entièrement appartenir aux Romains. Mais ces derniers l'ont connu fort tard, & il paroît furprenant que les mafques en ufage aux théâtres des uns & des autres n'en aient pas plutôt donné l'idée.

La danfe fimple eft le fond du bal masqué auffi bien que des bals de parade. On l'y emploie fans action; mais on lui a donné prefque toujours un caractère.

Parmi les moyens d'amufement fans nombre que ce genre procure, il a des inconvénients & il a caufé des malheurs.

Néron mafqué indécemment couroit les rues de Rome pendant les nuits, tournoit en ridicule la gravité des fenateurs, & déshonoroit fans fcrupule les plus honnêtes femmes de Rome.

Dans un bal mafqué que la ducheffe de Berri donna aux Gobelins le 29 Janvier 1393, le roi Charles VI qui y étoit venu mafqué en fauvage, faillit à être brûlé vif par l'imprudente curiofité du duc d'Orléans. Le comte de Joui & le bâtard de Foix y périrent, le jeune Nantouillet ne se sauva qu'en fe plongeant dans une cuve pleine d'eau qu'un heureux hafard lui fit rencontrer.

Mais les règles qu'on a établies pour maintenir l'ordre, la paix & la fûreté dans ces fortes de plaifirs, en a banni prefque touts les dangers, & un peu de prudence dans le choix des mascarades peur

aifément en prévenir touts les malheurs.

Des mascarades.

Trois espèces de divertiffements affez différents. les uns des autres, ont été connus fous le nom de mascarade.

tre,

Le premier & le plus ancien étoit formé de quahuit, douze & jufqu'à feize perfonnes, qui, après être convenues d'un ou de plufieurs déguifements, s'arrangoient deux à deux, ou quatre à quatre, & entroient ainfi mafquées dans le bal. Telle fut la mafcarade en fauvage du roi Charles VI & celle des forciers du roi Henri IV. Les mafques n'étoient affujettis à aucune loi, & il leur étoit permis de faire jouer les airs qu'ils vouloient danfer, pour répondre au caractère du déguisement qu'ils avoient choifi.

La feconde espèce étoit une compofition régu lière. On prenoit un fujet ou de la fable ou de l'hiftoire. On formoit deux ou trois quadrilles qui s'arrangeoient fur les caractères ou fujets choifis & qui danfoient fous ce déguisement les airs qui étoient relatifs à leur perfonnage. On joignoit à cette danfe quelques récits qui en donnoient les explications néceffaires. Jodelle, Pafferat, Baif, Ronfard, Benferade, fignalèrent leurs talents en France dans ce genre, qui n'eft qu'un abrégé des grands ballets, & qui me paroît avoir pris naiffance

à notre cour.

Il y en a une troifième qu'on imagina en 1675; qui tenoit aufli du grand ballet, & qui, en allongeant la mafcarade déjà connue, ne fit autre chofe que d'en changer l'objet principal, en fubftituant mal-adroitement le chant à la danfe. Cette espèce de compofition théâtrale retint touts les vices des autres, & n'étoit fufceptible d'aucun de leurs agréments. Tel eft le Carnaval, mauvais opéra formé des entrées de la mascarade du même nom, compofée par Benfarde en 1668, que Lully augmenta de récits en 1675, & qui réuffit à fon théâtre parce que tout ce qu'il donnoit alors au public étoit reçu avec enthousiasme.

C'eft fur-tout à la cour que la mafcarade a été fort en ufage. Ce n'étoit qu'un petit genre; mais il exigeoit de l'efprit, de la galanterie & du goût. Il n'en eft point avec ces parties qui ne foit digne d'éloges, & qui ne mérite de trouver place dans l'hiftoire des arts.

Les mafcarades que les rois Charles IX, Henri III; Henri IV & Louis XIII ont danfées, font fans nombre; on en fit une chez le cardinal Mazarin le 2 Janvier 1655, dont étoit Louis XIV. C'eft la première que le roi ait danfée. Le Carnaval de Ben ferade, qu'on exécuta le 18 janvier 1668, fut la dernière où ce monarque, père des arts, prit le masque. Il n'avoit pas encore trente ans.

Des bals publics.

Le nombre multiplié des bals masqués pendant le règne de Louis XIV avoit mis au commence

du public! avec un peu de foin, une imagination médiocre, & quelque goût, on rendroit ce fpec tacle le fonds & la reffource la plus fùre de l'O. péra, une école délicieufe de danfe pour notre jeune nobleffe, & un objet d'admiration conftante pour cette foule d'étrangers, qui cherchent en vain dans l'état où ils le voyent, le charme qui nous le fait trouver fi agréable.

ment de ce fiècle cet amufement à la mode. Les
princes faifoient gloire de fuivre l'exemple qu'avoit
donné le fouverain. On vit au Palais Royal & à
Sceaux des bals mafqués où règnèrent le goût, l'in-
vention, la liberté, l'opulence. L'électeur de Ba-
vière, le prince Emmanuel de Portugal vinrent
alors en France, & ils prirent le ton qu'ils trouvè-
rent établi. L'un donna les plus belles fêtes à Su-
renne, l'autre à l'hôtel de Bretonvilliers. Une pro-
fufion extraordinaire de rafraîchiffements, les illu-
minations les plus brillantes, & la liberté la moins
contrainte firent l'ornement des bals mafqués qu'ils
donnèrent. Le public en jouit; mais les particu-glorieux à la France.
liers effrayés de la fomptuofité que touts ces prin-
ces avoient répandue dans ces fêtes fuperbes, n'o-
fèrent plus fe procurer dans leurs maifons de fem-
blables amufements; ils voyoient une trop grande
distance entre ce que Paris venoit d'admirer, &
ce que leur fortune ou la bienféance leur permet-
toit de faire.

C'eft dans ces circonftances que M. le Régent fit un établissement qui fembloit favorable au progrès de la danfe, & qui lui fut cependant trèsfunefte. Par une ordonnance du 31 décembre 1715, les bals publics furent permis trois fois la femaine dans la falle de l'Opéra. Les directeurs firent faire une machine avec laquelle on élevoit le parterre & l'orchestre au niveau du théâtre. La falle fut ornée de luftres, d'un cabinet de glaces dans le fond, de deux orchestres aux deux bouts, & d'un buffet de rafraîchiffemens dans le milieu. La nouveauté de ce fpectacle, la commodité de jouir de touts les plaifirs du bal fans foins, fans préparatifs, fans dépenfe, donnèrent à cet établiffement un tel fuccès, que dans un excès d'indulgence que j'ai vu durer encore, on pouffa l'enthoufiafme jufqu'à trouver la falle belle, commode, & digne en tout du goût, de l'invention & de la magnificence françoife.

Bientôt après les comédiens obtinrent en faveur de leur théâtre une pareille permiffion. Leur peu de fuccès les rebuta; leurs bals ceffèrent, & l'Opéra depuis a joui feul de ce privilège. Mais la danfe, qui fut l'objet ou le prétexte de ces bals publics, bien loin d'y gagner pour le progrès de l'art, y a au contraire tout perdu. Je ne parle ici que de la danfe fimple, telle que les gens du monde l'apprennent & l'exercent. Les bals étoient une efpèce de théâtre pour eux où il leur étoit glorieux de faire briller leur adreffe. Ceux de l'Opéra ont fait tomber touts ceux des particuliers, & on fçait qu'il n'eft plus du bon air d'y danfer. Les deux côtés de la falle font occupés par quelques mafques obfcurs qui fuivent les airs que l'orchestre joue. Tout le refte fe heurte, fe mêle, fe pouffe. Ce font les faturnales de Rome qu'on renouvelle, ou le carnaval de Venife qu'on copie.

Que de reffources cependant ne feroit-il pas aifé de trouver dans un établiffement de cette espèce & pour le progrès de la danfe & pour l'amusement

On peut mettre au nombre des bals publics'ceux que la ville de Paris a donnés dans les occafions éclatantes, pour fignaler fon zèle & fon amour pour nos rois, ou pour célébrer les événements

Dans ces circonftances les illuminations, les feftins, les feux d'artifices & les bals ont été prefque toujours la tablature qu'on a fuivie. On ne s'en eft écarté que lorsque l'hôtel de-ville a été gouvernée par quelqu'un de ces hommes rares dont les faftes s'honorent.

Lorique les Suiffes furent fur le point de venir en France pendant le règne de Henri IV, pour renouveller leur alliance, le prévôt des marchands & les échevins, qui dans cette occafion font dans l'ufage de les recevoir à l'hôtel-de-ville & de les y régaler, trouvèrent fous leur main l'ancienne rubrique, & en conféquence ils délibérèrent un festin &

un bal.

Mais ils étoient fans fonds, & ils demandèrent à Henri IV pour fournir à cette dépenfe la permiffion de mettre un impôt fur les robinets des fontaines. Cherchez quelque autre moyen, leur répondit ce bon prince, qui ne foit point à charge à non peu ple, pour bien régaler mes alliés; allez, Meffieurs, continua-t-il, il n'appartient qu'à Dieu de changer

l'eau en vin.

Feu M. Turgot fit l'équivalent d'un pareil miracle, fans furcharger le peuple & fans importuner le roi. Ce magiftrat que la poftérité, pour l'honneur de notre fiècle, mettra de niveau avec les hommes les plus célèbres du fiècle de Louis XIV, fçut bien changer une cour irrégulière en une falle de bal la plus magnifique qu'on eût vue encore en Europe, & un édifice gothique, en un palais de Fées. Tour profpere, tout s'embellit, tout devient admirable fous la main vivifiante d'un homme de génie.

BALANCÉ. Le balancé eft un pas qui se fait en place comme le pirouetté, mais ordinairement en préfence, quoiqu'on puiffe auffi le faire en tour. nant. Comme ce n'eft que le corps qui tourne, &

que

cela ne change aucun mouvement, je vais dė crire la manière de le faire en préfence.

Il eft compofé de deux demi coupés, dont l'un fe fait en avant, & l'autre en arrière ; fçavoir: en commençant vous pliez à la première pofition, & vous portez le pied å la quatrième, en vous élevant deffus la pointe; enfuite de quoi vous pofez le ta lon à terre ; & la jambe qui eft en l'air s'étant approchée de celle qui eft devant, & fur laquelle vous vous êtes élevé, vous pliez fur celle qui a fait ce premier pas, & l'autre étant pliée fe porte en

arrière à la quatrième position, & vous élevez deffus; ce qui finit ce pas.

Le balancé eft un pas fort gracieux que l'on place dans toutes fortes d'airs, quoique les deux pas dont il eft compofé foient relevés également l'un' & l'autre ; & delà vient qu'il s'accommode à toutes fortes de mefures, parce que ce n'eft que l'oreille qui avertit de pouffer les mouvements ou de les rallentir. Voyez POSITION.

11 eft fort ufité dans les menuets figurés auffi-bien que dans les menuets ordinaires, de même qu'au paffe-pied. On le fait à la place d'un pas de menuet, dont il occupe la même valeur ; c'est pourquoi il doit être plus lent, puifque ces deux pas fe font dans l'étendue des quatre que le pas de menuet contient. Voyez MENUET.

BALLET. Action exprimée par une danse.

La Grèce, fi longtemps floriffante, vit paffer fa fplendeur chez les Romains, avec les arts qu'ils lui ravirent. Rome feule dès-lors devint l'objet des regards de la tene.

La plupart des fucceffeurs d'Augufte méritèrent à peine le nom d'hommes. Rome & l'Italie dégénérèrent. La dépravation des mœurs, l'orgueil, l'ambition, la guerre plongèrent touts les états dans la confufion. Les ténèbres de l'ignorance prévalurent fur la foible lumière des arts. Elle s'éteignit. Ils dif parurent, & l'Europe entière ne fut plus que le rifte féjour d'une foule de peuples quelquefois guerriers & toujours barbares.

Je franchis cette lacune immenfe, qui, pour l'honneur des hommes, devroit être effacée des annales du monde, & qui n'eft aux yeux de la raifon qu'une honteufe & longue lethargie de l'efprit humain. Il en fut réveillé par une famille de fimples citoyens dignes du trône. L'horifon s'éclaircit, une nouvelle aurore parut, un jour pur la fuivit, l'Eu rope fut éclairée.

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On pourroit peut être dire des arts & de la gloire, ce que les poëtes racontent d'Alphée & d'Aréthufe. Ce fleuve amoureux fuit fans ceffe la Nymphe charmante dont rien ne fçauroit le féparer. Il fuit, fe précipite, fe perd avec elle dans les entrailles de la terre. La Grèce eft pour jamais privée de fes eaux fécondes, il s'eft frayé une route nouvelle vers les riches campagnes de la Sicile qu'Aréthufe vient d'embellir.

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Tels font les arts. Ils s'évanouiffent aux yeux des nations que la gloire abandonne. Ils ne paroiffent, ils ne revivent que dans les climats plus heureux qu'elle rend floriffants.

La voix de Médicis les rappella en Italie, & ils y accoururent. Dès-lors la fculpture, la peinture, la poéfie, la mufique fleurirent. Les plaifirs de l'efprit fuccédèrent à une galanterie gothique. Les hommes furent inftruits, ils devinrent polis, fociables, humains.

On éleva des théâtres. Les chefs-d'oeuvres des Grecs & des Romains qui avoient deja fervi de guide aux peintres, aux poëtes, aux sculpteurs, fu

rent les modèles des archite&tes dans la conftruction des falles de fpe&acle. Alors le talent & le génie fe réunirent avec la magnificence, pour faire eclater dans un même enfemble l'illufion de la peinture, le charme de la poéfic, les graces de la danfe.

Suivons l'hiftoire de cette dernière depuis cette époque jufqu'à nos jours, examinons fes differentes progreffions, les formes qu'elle a fucceffivement reçues, ce qu'elle eft aujourd'hui, ce qu'elle pour roit & devroit être.

Origine des ballets.

Il n'y eut point de théâtres en Italie avant la fin du quinzième fiècle. Le cardinal Camerlingue Riari, neveu du pape Sixte IV, avoit tenté d'infpirer à ce fouverain pontife du goût pour les beaux établiffemens. mais Sixte reçut avec affez de froideur quelques fpe&acles ingénieux que Riari lui avoit donnés fur un théâtre mobile dans le château SaintAnge. Ce pape avoit fait dans fa jeuneffe des volumes fur le futur Contingent, il canonifoit SaintBonaventure, perfécutoit les Vénitiens, faifoit la guerre aux Médicis, & fongeoit bien moins à la gloire de fon règne qu'à l'établiffement de fa fa

mille.

Vers l'année 1480, un nommé Sulpitius, qui nous a laiffé de bonnes notes for Vitruve, fit des efforts pour ranimer le zèle du cardinal Neveu, qui ne lui réuffirent pas. Ce prélat s'étoit d'abord réfroidi en voyant l'infenfibilité de fon oncle. Un grand fpectacle qu'il venoit de donner au peuple de Rome, où il n'avoit épargné ni foins, ni dépenfe, & qui avoit encore manqué l'effet qu'il s'en étoit promis, avoit achevé de le décourager.

Ce grand ouvrage cependant, que le zèle d'un cardinal tout-puiflant ne put ébaucher dans Rome, étoit fur le point de s'accomplir dans une des moins confidérables villes d'Italie, & par les foins dun fimple particuller.

Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie, fignala fon goût par une fête éclatante qu'il prépara dans Tortonne, pour Galcas, duc de Milan, & pour Ifabelle d'Arragon, fa nouvelle épouse.

Dans un magnifique fallon, entouré d'une gale rie où étoient diflribués plufieurs joueurs de divers inftruments, on avoit dreflé une table tout-à-fait vuide. Au moment que le duc & la ducheffe parurent, on vit Jafon & les Argonautes s'avancer fièrement fur une fymphonie guerrière. Ils por toient la fameufe toifon d'or, dont ils couvrirent la table, après avoir dansé une entrée noble, qui exprimoit leur admiration à la vue d'une princeffe fi belle & d'un prince fi digne de la poffeder.

Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta un récit, dans lequel il racontoit l'adreffe dont il venoit de fe fervir pour ravir à Apollon', qui gardoit les troupeaux d'Admette, un veau gras dont il faifoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu'il le mit fur la table, trois Quadrilles qui le fuivoient exécutèrent une entrée.

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