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enflammés, toujours plein de la même énergie, il s'assied sur un monceau de décombres. Un aide de camp arrive et le supplie de résister jusqu'au bout pour empêcher le désastre. « Allez dire à l'Empereur que je tiendrai deux heures, six heures, vingt-quatre heures s'il faut, tant que cela sera nécessaire au salut de l'armée! »

Enfin, la nuit impatiemment attendue arrive l'armée française se retire dans l'île de Lobau. Masséna le dernier franchit le pont, après s'être assuré qu'il ne laissait aucun trophée aux mains des ennemis.

Ainsi se termine cette inutile bataille, l'une des plus sanglantes du siècle : 20,000 Autrichiens et 16,000 Français, tués ou blessés, jonchaient le sol.

5. Wagram. Paix de Vienne (1809). Un mois après Napoléon réparait son insuccès de solides ponts jetés sur le Danube permettent aux Français de déboucher en masse sur la rive opposée. Sur les coteaux qui dominent les villages d'Essling et d'Aspern est gagnée la décisive victoire de Wagram. L'Autriche, bien vaincue cette fois, signe la paix de Vienne, qui donne aux alliés de la France de nouveaux territoires : c'était un bien petit résultat pour tant de sang versé!

1810,

6. L'apogée de la puissance impériale. l'année qui suit le traité de Vienne marque l'apogée de la puissance impériale. Jamais la France n'avait été aussi grande : elle s'étend depuis le Danemark jusqu'à Rome; elle est divisée en 130 départements. Hambourg aux bouches de l'Elbe, Amsterdam et la Haye, depuis que la Hollande a été réunie à l'empire, Mayence, Cologne, Anvers, Bruxelles, Florence, Gênes, Turin, Rome, qui n'appartient plus au pape, retenu prisonnier en France, sont des chefs-lieux de départements français.

Autour du vaste empire surgissent des royautés vassales. Les royaumes de Westphalie, de Naples, d'Espagne, la viceroyauté d'Italie ont à leur tête des frères ou des parents de Napoléon Ier. Le Wurtemberg, la Bavière, la Saxe sont érigés en royaumes par le terrible niveleur des peuples.

L'Autriche et la Prusse vaincues sont les alliées de la France. Le grand-duché de Pologne forme l'avant-garde du colossal empire. De Cadix au Niémen, tout s'incline devant le formidable Empereur!

Sa domination semble être affermie sur des bases indestructibles le soldat heureux de la Révolution épouse la fille des empereurs d'Autriche, Marie-Louise. Un héritier lui naît, et le faible enfant, à son berceau, est salué du titre pompeux de Roi de Rome!

7. Les armées impériales. - Que manque-t-il au gigantesque César dont l'empire est plus vaste que celui de Charlemagne? Il est fier de son armée, composée de valeureux soldats qui se sont distingués dans cent combats. La garde impériale, troupe d'élite, forte de 40,000 hommes, tenue en réserve pour les grands coups, est superbe d'allure. Les vieux grognards murmurent quelquefois, mais ils obéissent toujours à la voix de l'Empereur adoré; familièrement, eux, les héros d'Italie et d'Egypte, ils l'appellent le petit caporal, le petit tondu. 500,000 Français, 500,000 étrangers sont prêts à marcher. Ils sont commandés par des chefs que les hasards de la guerre ont fait rois, comme Murat à Naples et Bernadotte en Suède, princes comme Davout, Masséna, Ney, Berthier. Tous les généraux sont ducs ou comtes d'Empire; les colonels deviennent barons. Tous sont enrichis par les libéralités du chef qui leur prodigue les trésors arrachés aux nations vaincues.

ou

Mais combien sont trompeuses ces apparences d'éblouissante grandeur. Les armées ne sont plus aussi solides qu'au temps de la Révolution. Il avait fallu combler les vides opérés à la suite des affreux carnages d'Eylau et d'Essling, remplacer par des jeunes gens les vieux soldats, qui mouraient obscurément en Espagne. Les peuples

1. Le petit tondu. Les vieux soldats de Napoléon portaient les cheveux tressés et se terminant en forme de queue. L'Empereur avait les cheveux ras et voulait imposer cette nouvelle mode à ses grognards; mais ceux-ci, si obéissants d'ordinaire, résistèrent obstinément à l'ordre de leur chef.

vaincus et non soumis servent à regret dans les rangs de l'armée française, ou bien comme alliés combattent malgré eux à ses côtés. Survienne un choc et cet édifice au faîte resplendissant s'écroulera, semblable à ces fragiles châteaux de cartes qui sont tout à coup brusquement couchés à terre par un souffle léger. La funeste expédition de Russie marque le commencement des désastres inouïs.

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8. Campagne de Russie (1812). Bataille de la Moskowa. Napoléon et Alexandre s'étaient à Tilsitt juré une amitié éternelle; ils étaient sincères l'un et l'autre. Mais trop de sujets de désunion existaient entre les deux grands empires d'Orient et d'Occident. La Russie jalousait le développement de la puissance de Napoléon ; elle souffrait du blocus continental. Tout à coup elle ouvrit ses ports de commerce aux Anglais. Le sort est jeté; la guerre est déclarée. 500,000 Français et alliés franchissent le Niémen.

1. Witepsk, combat d'arrière-garde soutenu par l'armée russe.

Napoléon comptait dès le début remporter une éclatante victoire vaine espérance! l'ennemi recule, s'évanouit; il entraîne à sa suite, dans les immenses plaines de la Russie, l'armée française. Les vivres disparaissent; tout devient désert; les envahisseurs ne sont plus que 150,000 quand, après trois mois de marches pénibles, ils rencontrent enfin les Russes rangés en bataille sur les bords de la Moskowa1 pour défendre la cité sainte de Moscou.

Une furieuse bataille s'engage : les Russes occupent de formidables redoutes garnies de canons. Au milieu d'une effroyable canonnade, Ney et Murat restent intrépidement debout tandis que leurs troupes sont couchées pour être moins exposées à la mitraille. Le signal de l'assaut est enfin donné ce sont les cuirassiers qui s'élancent les premiers. La terre tremble sous les pas de ces pesants chevaux qui portent des hommes à la haute stature, couverts d'épaisses cuirasses. La hauteur est gravie au galop; les premières lignes avec les généraux et les officiers supérieurs sont exterminées; le reste entre dans la redoute. La bataille de la Moskowa est gagnée, mais à quel prix! 80,000 Français et Russes sont étendus sur le sol. Le brave des braves, Ney, reçoit le titre de prince de la Moskowa.

9. Incendie de Moscou (1812). Quelques jours après, l'armée victorieuse arrive sur les collines d'où elle aperçoit Moscou, la mystérieuse capitale, moitié européenne, moitié asiatique, avec ses dômes dorés que le soleil semble illuminer de mille feux. Les soldats croient arriver au terme de leurs fatigues; ils battent des mains et poussent des cris joyeux: « Moscou! Moscou! » Napoléon, lui aussi, éprouve une sorte d'enivrement. « Ce moment de satisfaction, vif et court, fut l'un des plus profondément sentis de sa vie. Hélas! il devait être le dernier. »

Quelle désillusion lorsque l'armée entre dans la capitale elle est déserte; les habitants ont fui; on dirait, non

:

1. Moskowa, rivière qui passe à Moscou, sous-affluent du Volga.

2. THIERS, Histoire de l'Empire.

pas une cité habitée par les hommes, mais une immense et silencieuse nécropole 1. Les Français s'établissent dans les maisons abandonnées.

Soudain des fusées sillonnent le ciel et éclairent d'une lueur sinistre les ténèbres de la nuit; le feu éclate de tous

les côtés dans 2 cette ville bâtie en bois; un vent violent promène les flammes dans toutes les directions. Moscou n'est plus qu'un vaste brasier. Les Russes vaincus ont préféré anéantir leur ville sainte plutôt que de permettre à l'étranger de s'y installer en maître. Le gouverneur Rostopchine a fait sortir les malfaiteurs des pri

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INCENDIE DE MOSCOU

sons; en leur

accordant la li

berté, il leur a donné l'ordre d'allumer l'incendie. Sauvage énergie, que nous devons admirer, car elle provient du sentiment le plus pur et le plus élevé l'amour de la patrie! Il fallait évacuer une ville devenue inhabitable, où « l'on marchait sur une terre de feu, sous un ciel de feu, entre deux murailles de feu, » Napoléon abandonne le Kremlin, l'antique palais des Czars. L'empereur s'élance à pied sans

1. Nécropole, ville des morts, cimetière.

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