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sur les côtes. Tous les arbres meurent; la famine est générale.

Les domestiques du roi vont mendier dans les rues de Versailles. Louis XIV est réduit à manger du pain de misère fait avec de l'avoine.

Si les grands sont éprouvés, quelles ne devaient pas être les souffrances des petits! Les hôpitaux pris d'assaut regorgent de malades. Dans les champs la désolation est à son comble. « On voit, dit un contemporain 1, certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés par le soleil. Ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et, en effet, ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines. »

Dévoue

7. Bataille de Malplaquet (1709). ment de Fénelon.- La France agonise, sans espoir de remède; Louis XIV, éperdu, tire de la disgrâce son meilleur général Villars, et lui confie sa plus belle armée pour défendre la frontière envahie. C'est un chef habile, entreprenant, l'enfant chéri de la Fortune. Dans la détresse commune, les troupes ne sont plus nourries. Officiers et soldats, mourants de faim, poursuivent vainement Villars de leurs prières : « Monsieur le Maréchal, donnez-nous notre pain de chaque jour! »

Le matin, avant de livrer la bataille de Malplaquet, du pain, heureux hasard, est distribué aux troupes. Le canon tonne; ces affamés le jettent pour courir plus vite à l'ennemi. Le choc fut formidable; longtemps la victoire demeura incertaine. Mais Villars est blessé; Marlborough profite du désarroi et lance vingt bataillons sur le centre de l'armée française; nous sommes rompus et forcés de reculer. Cette défaite était cependant presque une victoire : nous avions perdu 8,000 hommes et les ennemis 18,000.

1. LA BRUYÈRE, Les Caractères.

2. Malplaquet, petit village du département du Nord, près de Cambrai.

L'archevêque de Cambrai Fénelon se signale par un magnifique élan de charité. Après la sanglante bataille, livrée aux portes de Cambrai, il fait recueillir les blessés français et ennemis; son palais archiepiscopal devient une ambulance. Le généreux prélat s'assied au chevet des malades, panse les plaies, distribue aux mourants des paroles de consolation et d'espérance. Dévouement sublime qui excite l'admiration universelle !

8. Les négociations.

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Louis XIV dans le malheur. - Comment sortir de cette situation sans issue? La famine enlève des populations entières; les ennemis que la victoire rend audacieux arrivent jusque sous les murs de Paris.

L'orgueil du grand roi fléchit. Lui, si hautain, fait pour se procurer de l'argent les honneurs de Versailles à un homme méprisable Samuel Bernard, qui s'est enrichi aux dépens de la France; il choie, cajole, comble de prévenances l'opulent financier.

L'effondrement est général : Louis XIV vaincu demande humblement la paix. Il est résolu à faire les plus lourds sacrifices; il abandonne toutes ses conquêtes. « J'ai oublié ma gloire,» avoue avec humilité le monarque qui naguère aspirait à la domination.

La réponse des ennemis est impitoyable. Ils exigent non seulement la cession de nombreuses provinces; mais, à la défaite, ils veulent ajouter le déshonneur. Louis XIV doit lui même chasser d'Espagne son petit-fils Philippe V. << On voit bien que vous n'êtes pas habitués à vaincre, » répond avec indignation l'ambassadeur français.

C'était trop d'arrogance; le vieux roi relève superbement la tête: «S'il faut faire la guerre, j'aime mieux la faire à mes ennemis qu'à mes enfants! » Dans le malheur, les grandes âmes se retrouvent: autant dans la prospérité Louis XIV s'était montré dur et hautain, autant l'adversité le rendit noble et imposant. Dans une fière lettre adressée à son peuple, il reconnaît ses fautes, demande un dernier effort pour chasser l'insolent ennemi. Le peuple tout entier qui

souffre et meurt de faim tressaille d'indignation à la voix de son roi qui l'implore. Les guerres de conquêtes sont finies c'est une guerre nationale qui commence. Jamais Louis XIV ne fut aussi grand que dans son extrême infortune. 9. Victoires de Villaviciosa (1710) et de Denain (1712). - Le désespoir avait autrefois sauvé les

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Hollandais; il donne aux Français l'héroïsme nécessaire pour vaincre.

Philippe V avait été chassé de son trône par les Anglais et les Portugais. Vendôme, étrange général, qui se lève à quatre heures du soir, se laisse toujours surprendre, et qui toujours par son audace rétablit les affaires, gagne la belle victoire de Villaviciosa. Le soir de la journée, Philippe V couche sur un lit fait avec les drapeaux enlevés à l'ennemi. L'Espagne est délivrée.

1. Villaviciosa, ville d'Espagne dans la Nouvelle-Castille, non loin de Madrid.

MANE, Histoire de septième.

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Les ennemis eux-mêmes sont lassés de cette guerre si longue et si meurtrière. L'empereur vient à mourir : La couronne impériale appartient à son fils l'archiduc Charles la coalition voulait faire arriver au trône d'Espagne, à la place de Philippe V. Ce n'était plus la peine d'abaisser Louis XIV pour faire un nouveau Charles-Quint. L'Angleterre se retire de la lutte.

que

Cent mille Impériaux et Hollandais, commandés par le prince Eugène, sont encore en France; ils assiègent les dernières places fortes qui résistent pour marcher ensuite sur Paris. Quelques courtisans conseillent à Louis XIV de se retirer derrière la Loire. Le vieux roi, quelque accablé qu'il fût par les revers, s'indigne de cette lâche proposition, dictée par la peur. Il confie sa dernière armée à l'illustre Villars. « Je vous remets, lui dit-il avec une noble grandeur d'âme et les larmes aux yeux, les forces et le salut de l'Etat ; je connais votre zèle et la valeur de nos troupes; mais enfin, si la fortune leur était contraire, je compterais aller à Péronne ou à Saint-Quentin, y ramasser tout ce que j'aurais de troupes, faire un dernier effort avec vous et périr ensemble ou sauver l'Etat! » Sublimes paroles qui effacent toutes les fautes inspirées par l'orgueil!

Le valeureux Villars remporte l'immortelle victoire de Denain'. Ce n'est pas seulement une journée heureuse qui nous couvre de gloire: c'est une éclatante revanche après dix ans de défaites; c'est le salut miraculeux de notre patrie!

10. Traités d'Utrecht. (1713-1714). - La paix est signée à Utrecht. Louis XIV, malgré ses récents succès, est bien vaincu. Il avait voulu, en acceptant pour son petit-fils Philippe V l'héritage de Charles II, empêcher le démembrement de la monarchie espagnole : le vaste empire espagnol est partagé: Philippe V est maintenu sur le trône d'Espagne; mais de ses immenses possessions, il ne conserve que l'Amérique. A l'Empereur sont donnés le

1. Denain, ville du département du Nord, près de Valenciennes.
2. Utrecht, ville de Hollande, célèbre par ses fabriques de velours.

royaume de Naples, le Milanais, les Pays-Bas espagnols. Le duc de Savoie reçoit la Sicile.

L'Angleterre nous prend Terre-Neuve et l'embouchure du Saint-Laurent; elle nous laisse seulement les petites îles de Saint-Pierre et Miquelon et le droit de pêcher la morue. Elle garde la formidable position de Gibraltar en Espagne.

Elle devient la maîtresse des mers.

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Deux nouveaux rois sont reconnus en Europe: le duc de Savoie devient roi de Sicile (futur royaume d'Italie); l'électeur de Brandebourg est roi de Prusse. Ces nouvelles monarchies sont aujourd'hui les audacieuses rivales de la France.

L'oeuvre des grands traités de Westphalie est détruite. La France n'est plus à la tête des nations. Les coalitions européennes arrêtent l'ambition exagérée de la France, comme elles avaient autrefois mis un frein à la puissance envahissante de la maison d'Autriche.

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11. Mort de Louis XIV (1er septembre 1715). Le roi ne survécut pas longtemps à ces douloureux traités. Les dernières années de ce long règne furent encore assombries par des morts soudaines qui affligèrent le grand Roi. Son fils, le Dauphin, ses deux petits-fils, le duc de Bourgogne et le duc de Berry, et tant d'autres meurent subitement. Il ne reste plus à ce languissant vieillard, fier naguère de sa nombreuse postérité, que le roi d'Espagne et un faible enfant de cinq ans, son successeur, le futur roi Louis XV. C'est dans les larmes que se termine cette existence autrefois si brillante (1er septembre 1715).

« Dieu seul est grand, mes frères, » s'écria l'évêque Massillon en prononçant l'oraison funèbre de Louis XIV. Paroles vraies et superbes, qui sont la plus amère critique du règne tout entier du grand Roi.

L'orgueil fit oublier à Louis XIV que toute puissance en

1. Terre-Neuve, île de l'Amérique du Nord, en face de l'embouchure du Saint-Laurent, grand fleuve du Canada; au large se trouvent les vastes bancs où se pêche la morue.

2. Gibraltar, ville d'Espagne, clef du détroit de Gibraltar.

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