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DIX-HUITIÈME LEÇON

LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'ESPAGNE
MORT DE LOUIS XIV.

1. Le Testament de Charles II d'Espagne. Le xvIe siècle commence: en ce moment les yeux de toute l'Europe sont anxieusement fixés sur un moribond dont l'agonie a duré plus de trente ans. Le roi d'Espagne Charles II va mourir; il n'a pas d'enfants. A qui va appartenir l'immense héritage espagnol, sur lequel, comme au temps de Charles-Quint, le soleil ne se couche pas ?

Les deux plus proches parents du royal fantôme étaient le roi de France et l'empereur d'Allemagne. Fils tous les deux d'infantes espagnoles, ils avaient épousé deux sœurs de Charles II: Marie-Thérèse et Marguerite-Thérèse. Leurs droits étaient égaux. Qui sera Charlemagne ? l'orgueilleux Louis XIV ou le puissant empereur ?

Les esprits étaient dans l'attente; le malade était bien embarrassé. Les deux compétiteurs s'étaient à l'avance partagé les immenses dépouilles. Or, ni l'Espagne, ni le roi Charles II ne voulaient de démembrement. A la cour de Madrid, les sollicitations, les intrigues, les cabales redoublent d'intensité.

Enfin quelques jours avant sa mort, Charles II se déclare. <«< Au moment où il commençait à ne plus regarder les choses de ce monde qu'à la lueur de ce terrible flambeau qu'on allume aux mourants, » (SAINT-SIMON) il consulte le pape, fait ouvrir à l'Escurial le tombeau de ses ancêtres, embrasse pieusement leurs os et laisse par testament ses vastes États à un petit-fils de Louis XIV, Philippe d'Anjou,

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1. Escurial, village d'Espagne situé à 40 kilomètres au nord de Madrid, près duquel s'élèvent le palais et le monastère bâtis par Philippe II, en mémoire de la bataille de Saint-Quentin. Dans les caveaux de l'église se trouve la sépulture des rois d'Espagne.

à condition qu'il renoncera à tous ses droits sur la couronne de France (1700).

2. Le grand Conseil à Versailles. Présentation du roi d'Espagne Philippe V. - La nouvelle arrive à Versailles, mais est tenue cachée. Louis XIV réunit dans un grand conseil les sept ou huit plus hauts dignitaires du royaume. Faut-il accepter l'héritage espagnol

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et faire encore une fois la guerre à l'Europe entière qui verra d'un œil jaloux cet accroissement inusité de la maison de France? Doit-on suivre les conseils dictés par la prudence et la raison s'arranger à l'amiable avec l'empereur, partager avec lui les dépouilles, chercher à posséder lat Belgique et la ligne du Rhin? Les avis sont partagés: Louis XIV se tait; le conseil se sépare.

Pendant deux jours, le grand roi ne souffle mot, réfléchit à l'écart. Le matin du troisième jour, il fait ouvrir à deux battants la porte de son cabinet, prend Philippe d'Anjou par la main et le présente solennellement à la

foule des courtisans; « Messieurs, voilà le roi d'Espagne! >>> L'ambassadeur espagnol se jette aux pieds de Philippe V, son maître, et dans sa joie s'écrie : « Sire, il n'y a plus de Pyrénées 1. »

3. Fautes de Louis XIV. La Coalition. L'Empereur, indigné de la mauvaise foi de Louis XIV, déclare aussitôt la guerre. Sera-t-il suivi par l'Europe? C'est douteux; car les peuples, lassés par ces interminables luttes, désirent ardemment jouir des bienfaits de la paix.

Mais le fol orgueil de Louis XIV l'emporte sur la sagesse et la loyauté. Malgré les clauses du testament, il conserve à son petit-fils tous ses droits sur la couronne de France. Jacques II Stuart vient à mourir; des honneurs royaux sont rendus dans le château de Versailles à son fils Jacques III; en dépit des clauses du traité de Ryswick, le Stuart est hardiment reconnu roi d'Angleterre.

C'était jeter un défi à l'Europe. Ce manque de sincérité exaspère les hésitants indignement provoqués. L'Angleterre, l'Allemagne, la Hollande, le Brandebourg, le Portugal et la Savoie, forment une vaste coalition.

4. La Coalition et ses généraux. La France et ses généraux. (1701). En quel état se trouvaient les belligérants au moment où éclate cette longue guerre qui va ensanglanter l'Europe? Les coalisés ont pour eux le nombre; ils ont le bonheur de posséder deux éminents généraux, Marlborough et le prince Eugène, qui dirigent leurs efforts après la mort de Guillaume d'Orange (1702).

L'Anglais Marlborough a servi autrefois sous les ordres de Turenne ; à nos dépens il a profité de ces excellentes leçons qui lui permettent de nous infliger de grands désastres.

Le Prince Eugène est un Français, neveu de Mazarin. De cet homme entreprenant, Louis XIV a voulu faire un

1. L'expression il n'y a plus de Pyrénées veut dire que l'Espagne et la France sont devenues deux nations amies entre lesquelles les Pyrénées ne dressent plus un mur infranchissable.

abbé. Cette âme active s'irrite, regimbe; Eugène enfin, pour donner libre carrière à son humeur belliqueuse, offre son épée à l'Empereur, se signale contre les Turcs, devient l'inspirateur et le plus ferme soutien de la politique impériale.

La France et l'Espagne sont-elles capables de lutter contre des ennemis fortement organisés, dirigés par deux hommes supérieurs? La France n'a plus cette ardeur juvénile qui la faisait courir à la victoire. Tant de guerres, tant de folies coûteuses l'ont épuisée. Peut-elle au moins compter sur son alliée d'Espagne? Mais la vaste monarchie espagnole n'est plus qu'un corps sans âme »; elle est à terre, complètement brisée.

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Pour restaurer, ou tout au moins étayer ces deux grands édifices, dont l'un menaçait ruine et l'autre croulait de toutes parts, il aurait fallu un esprit jeune et vigoureux qui aurait à force de hardiesse dompté l'inconstante fortune. Mais Louis XIV vieillissait; avec les années ses défauts s'étaient accrus. Infatué de sa personne, il se croyait infaillible; il prétendait du fond de son cabinet diriger au loin les opérations militaires.

Aussi les grands généraux, comme l'heureux Villars, le prudent Berwick, l'entreprenant Vendôme sont éloignés. Les malheurs tireront plus tard de leur disgrâce ces hommes supérieurs qui auront la gloire de sauver la France.

Seuls étaient en honneur les courtisans, les vils flatteurs à qui la médiocrité donnait l'obéissance et la souplesse qu'exigeait le grand roi. Le présomptueux La Feuillade fut mis à la tête des armées; il fut vaincu comme Marsin, Tallard, Villeroy. Ce dernier était le favori de Louis XIV. Heureux nos ennemis quand ils avaient ce fanfaron pour adversaire.

Villeroy, Villeroy,

Qui si bien servit le roi...

Guillaume.

1. Etayer, soutenir avec de grosses poutres ou étais une maison, un

mur qui menacent ruine.

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5. Les défaites. Quoi d'étonnant si les défaites arrivent coup sur coup. Le sot Villeroy se laisse prendre dans Crémone' (1702). Le prince Eugène s'introduit dans la place la nuit par un égout; les Français sont surpris. Etonné de ce vacarme inusité, Villeroy sort de son lit, va dans la rue et tombe au plus épais des ennemis. Il est enlevé. Mais l'alarme est donnée; les Impériaux sont repoussés. Etrange aventure, doublement heureuse: Crémone est délivrée, l'armée débarrassée de son chef incapable.

Français, rendez grâce à Bellone 2.
Votre bonheur est sans égal;
Vous avez conservé Crémone,
Et perdu votre général.

Telle est la plaisante chanson qui tourne en ridicule le général vaincu. Le rire fait quelquefois oublier la honte. Nos vainqueurs ne sont pas épargnés par le malin peuple de Paris que la défaite rend furieux. Le grand Marlborough, qui « s'en va-t-en guerre », doit sa renommée à ses talents militaires et plus encore à l'air populaire que tant de générations ont fredonné jusqu'à nos jours.

A partir de ce moment, ce ne sont que revers. Par la défaite d'Hochstedt (1704), nous sommes chassés de l'Allemagne; battus à Turin (1706), nous abandonnons l'Italie ; vaincus à Ramillies (1706) et à Oudenarde (1708), nous perdons les Pays-Bas espagnols. La France connaît les mauvais jours de l'invasion: Lille et Toulon sont assiégés.

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6. L'hiver de 1709. - Tout s'assombrit; la nature elle-même nous déclare la guerre. L'hiver de 1709 arrive avec un épouvantable cortège de maux et d'horreurs. Les fleuves et les rivières gèlent; le cours impétueux du Rhône est lui-même arrêté par les glaces; la mer est prise

1. Crémone, ville du nord de l'Italie, située près du Pô. 2. Bellone, déesse de la guerre.

3. Hochstedt, ville de l'Allemagne du sud, sur le Danube. capitale du Piémont. Ramillies et Oudenarde, villes de Belgique.

Turin,

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