Angleterre avec une flottille chargée d'hommes et de munitions. Tourville n'a que 44 vaisseaux; les flottes anglo-hollandaises se composent de 99 navires, tous de haut bord. Attaquer avec des forces aussi inférieures était une suprême folie. Le bon sens conseillait d'attendre d'Estrée qui arrivait de Toulon avec 30 vaisseaux. Mais le roi que l'orgueil rend intraitable ne saurait attendre. Ordre formel de combattre est donné à Tourville. « Ce n'est pas à vous de discuter les ordres du roi, lui écrit Pontchartrain, le successeur de Colbert au ministère de la Marine; c'est à vous d'exécuter. » Tourville obéit : « Messieurs, dit-il froidement aux capitaines réunis à son bord, le roi nous ordonne de nous faire tuer à son service. » La rencontre a lieu non loin des côtes de la presqu'île du Cotentin, près de la baie de la Hougue'. Les Français se comportent vaillamment; dans la première journée, la longue ligne des vaisseaux anglo-hollandais fléchit, recule; deux navires sont pris ; la victoire est à nous. 2 Il était impossible de renouveler le lendemain de pareils exploits; on ne tente pas deux fois la fortune avec des forces si disproportionnées. Tourville bat en retraite. Malheureusement le port de Cherbourg n'existe pas ; on ne peut trouver de refuge qu'à Saint-Malo ou à Brest, en doublant la dangereuse presqu'île du Cotentin. 31 navires réussissent à s'échapper; les 13 derniers sont retenus par un brusque changement de vent; ils se jettent à la côte. Parmi eux se trouve le vaisseau-amiral, le Royal-Soleil, qui passait pour le plus beau navire du monde. Nos équipages continuent une lutte inégale ; ils espèrent 1. La Hougue, baie située sur la côte de Normandie, au nord-est de la presqu'île du Cotentin; ne pas confondre avec le cap la Hague, placé à l'extrémité nord-ouest du Cotentin. 2. Saint-Malo, port situé au nord de la Bretagne, dans le département d'Ille-et-Vilaine, célèbre par ses corsaires, dont le plus renommé est Duguay-Trouin. que Jacques II qui de la côte a vu le désastre viendra à leur secours. Espoir déçu, le roi ne bouge pas; il est Anglais avant tout. Il semble heureux de contempler la destruction d'une flotte française: Chassez le naturel, il revient au galop. BATAILLE DE STEINKERQUE La descente en Angleterre avail échoué. Le fleg matique Jacques II retourne dans sa magnifique résidence de Saint-Germain, cadeau princier Louis XIV. Il y vécut tranquillement << pas de sant sa vie à boire et à man ger, comme s'il n'y eût pas de prince d'O range ». Louis XIV, attaqué par des forces supérieures, est obligé de faire face au continent. Deux généraux, dignes émules de Condé et de Turenne, se couvrent de gloire Luxembourg dans les Pays-Bas espagnols, Catinat sur les Alpes. 6. Luxembourg. Bataille de Fleurus (1690). Steinkerque (1692) et Nerwinden (1693). - Le maréchal de Luxembourg, placé à la tête de l'armée de Flandre pour combattre contre Guillaume d'Orange, est petit, bossu, maladif. Ce n'est pas sur l'apparence qu'il faut juger les gens. Ce corps frêle et débile cache une âme vaillante et énergique. Luxembourg est un nouveau Condé, ardent, prompt dans ses résolutions. Bien souvent surpris, il avait un coup d'œil rapide et infaillible qui le tirait des plus mauvais pas. A Fleurus, il enlève 100 drapeaux et mérite le surnom de tapissier de Notre-Dame. A Steinkerque, les ennemis envahissent tout à coup le camp à la pointe du jour; ils se glissent jusqu'aux tentes où dormait la noblesse de France. Les jeunes seigneurs n'ont que le temps de sauter à cheval, dans un costume négligé, de donner bravement de leur personne. Luxembourg est à leur tête; les ennemis sont repoussés. La cour applaudit ce beau fait d'armes et pendant quelque temps les cravates, nouées négligemment autour du cou, à la Steinkerque, sont à la mode. A Nerwinden, la cavalerie renouvelle les exploits de Sénef elle reste immobile sous les boulets ennemis : « Oh! l'insolente nation, » s'écrie Guillaume d'Orange, rendu furieux par cette ténacité qui déconcerte ses plans. « Qui me délivrera de ce petit bossu,» répète-t-il avec amertume. « M'a-t-il jamais vu le dos,» réplique finement le général français à qui le propos avait été rapporté ! La Belgique entière nous appartient, grâce aux belles victoires de Fleurus, Steinkerque et Nerwinden remportées par Luxembourg. 7. Catinat. Victoires de Staffarde (1690) et de la Marsaille (1693). -Sur les Alpes, un autre général Catinat se distingue par des vertus bien différentes. Simple, humain, réfléchi, Catinat ressemble à Turenne. Sa bravoure et sa bonté le faisaient chérir des soldats qui l'appelaient « le père la Pensée ». Sorti des rangs du peuple, ce futur maréchal de France 1. Fleurus, ville de Belgique, près de la frontière française.. 2. Steinkerque, ville de Belgique, entre Mons et Bruxelles. 3. Nerwinden, village de Belgique près de Liége. avait lentement fait son chemin : chacun de ses grades fut conquis par un beau fait d'armes. Son origine roturière le faisait mal juger à la cour qui lui confiait à regret le commandement des armées. Quand il eut battu le duc de Savoie à Staffarde et à la Marsaille1, Louvois lui écrivait : « Quoique vous ayez mal servi le roi dans cette campagne, sa Majesté veut bien vous conserver votre gratification. » Une pareille injustice aurait rebuté une volonté moins énergique; mais Catinat, âme antique, n'écoutait que la voix du devoir. Sa conscience qui ne lui reprochait rien « lui faisait endurer, avec la même patience, les rudesses de Louvois et les difficultés de cette dure guerre des Alpes. (Michelet.) 8. Paix de Ryswick (1697). La France est donc victorieuse; mais ses succès la ruinent. Le peuple meurt de faim, tandis que l'on chante les Te Deum dans les églises. Suivant l'expression de Vauban, « la moitié du royaume vit des aumônes de l'autre ». Louis XIV signe la paix de Ryswick (1697). Vainqueur sur les champs de bataille, il est cependant obligé de souscrire aux conditions imposées par ses ennemis. De toutes les acquisitions faites en temps de paix et de guerre, nous ne gardons que Strasbourg. Suprême humiliation qui dut bien coûter à son orgueil, Louis XIV reconnaît comme roi d'Angleterre son adversaire Guillaume d'Orange. Tels étaient les fruits si peu glorieux de tant d'actions blâmables qui nous avaient fait perdre notre honneur et notre bonne renommée ! RÉSUMÉ Louis XIV, inspiré par Louvois, soulève de nouveau toute l'Europe par la révocation de l'édit de Nantes (1685), les conquêtes en pleine paix de Strasbourg et de Luxembourg, et sa conduite odieuse envers la faible république de Gênes. Les 1. Staffarde et la Marsaille, villages du Piémont. puissances irritées forment la Ligue d'Augsbourg (1686). L'Allemagne est exaspérée par l'inutile et barbare incendie du Palatinat. La précieuse alliance de l'Angleterre fait dès le début défaut à la France. Les tentatives pour chasser du trône d'Angleterre Guillaume d'Orange et pour rétablir le catholique Jacques II Stuart deviennent impossibles après le désastreux combat de la Hougue (1692). Louis XIV est obligé de défendre nos frontières menacées. Luxembourg remporte sur Guillaume d'Orange les victoires de Fleurus, Steinkerque et Nerwinden; il s'empare des PaysBas espagnols. Catinat bat le duc de Savoie à Staffarde et à la Marsaille. La paix de Ryswick met fin à la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1697). De toutes ses conquêtes, Louis XIV ne garde que Strasbourg; il reconnaît Guillaume d'Orange comme roi d'Angleterre. Synchronisme. - 1682. Papin invente la première machine à vapeur. |